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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2006 | Animation

Mon voisin Totoro

aka Tonari No Totoro | Japon | 1988 | Un film de Hayao Miyazaki

Mon voisin Totoro est un film puissant. Puissant, car il traite de pouvoir. Entièrement destiné à démontrer le pouvoir de l’imagination, le film est, dans cette optique, non seulement une fin, mais aussi un moyen. En effet, si l’animation fait preuve d’une originalité et d’une créativité évidente, la qualité et l’inventivité des dessins contribuent aussi à faire de Totoro beaucoup plus qu’un dessin animé. D’un autre côté, l’histoire peut en paraître simple, mais elle fait surtout la part belle à la forme d’imagination la plus fertile, la plus riche et certainement la plus puissante : l’imagination enfantine. Souvenez-vous... Tout dans ce film évoque des émotions que l’on croyait perdues à jamais, enterrées par l’âge, la sagesse et - oh malheur ! - le réalisme.

Pour retrouver un peu de cette fantaisie passée, vous décidez de partir à la découverte d’un film atypique, un dessin animé acclamé dans le monde entier et classé par Kurosawa dans son Top Ten toutes catégories confondues. Pourquoi un tel succès ? Comment expliquer l’émotion ressentie devant ce film par les plus petits comme les plus grands ? Tel un détective, vous allez enquêter. Imaginez...

Posons ensemble les bases de l’enquête : un père et ses deux filles emménagent dans une maison en bordure de forêt pour être plus proche de l’hôpital dans lequel la mère des enfants est soignée. Les deux enfants, Satsuki et May, ne tardent pas à faire, dans les bois, la rencontre de bien étranges créatures, les Totoro, prêts à les aider en cas de besoin. A première vue, on pourrait croire à une affaire de routine, mais vous êtes plus opiniâtres, et passez outre les premières constatations. Premier champ d’investigation : le rythme du film. A première vue, il est lent, de cette lenteur caractéristique des oeuvres japonaises et qui donne à l’histoire son naturel, permettant au spectateur de goûter le film plutôt que d’en être gavé de force. Paradoxalement, la présence discrète et en arrière-plan du personnage de la mère donne à l’histoire une tension palpable qui suffit à tenir en haleine. On pourrait presque dire que le sujet principal du film, en dépit du titre, est bien la mère. Sa santé, bien que jamais évoquée de manière directe, semble précaire. Tout est mis en œuvre pour nous faire deviner que la Mort rôde, derrière sa maladie supposée grave. Par le dessin, où la pâleur de ses joues et de ses vêtements contraste fortement avec les couleurs des enfants, des paysages. A travers l’animation, aussi, car elle est toujours présentée quasiment immobile dans de longs plans fixes au contraire des travellings nécessaires pour suivre les enfants dans leurs jeux. Les deux filles aussi le comprennent, et l’insouciance qui est la leur la plupart du temps laisse place à des périodes sombres et tristes encore plus émouvantes parce que soudaines, vraies. Cette peur de la Mort et de la perte d’un être cher plane donc sur le film qui prend de fait une autre dimension : on est très loin des dessins animés récents bourrés de joie de vivre et de blagues faciles. Dès le générique, peuplé de créatures morbides (araignées, chauve-souris, mille-pattes, chouette, ...), la Mort pointe le bout de son nez. Elle sera présente, telle une épreuve, tout au long de la route des enfants (le sombre couloir qui conduit à la demeure des Totoro est bien proche d’une descente aux enfers). Une épreuve qu’ils devront surmonter, parallèlement à leur mère qui se bat contre la maladie, pour la retrouver. Miyazaki a d’ailleurs avoué avoir réalisé le film en hommage à sa mère, touchée par la tuberculose. Comment, dans ce cas, ne pas voir dans une des dernières images (gros plan sur un épis de maïs offert en secret à la mère par ses enfants et gravé de l’inscription "pour maman") une tentative de dédier l’œuvre à cette mère qui en est la substance même ?

C’est bel et bien la mère qui est à l’origine de tout. On lui doit l’existence des Totoro et Satsuki, l’aînée des deux filles, trouvera à travers elle la force de devenir adulte. C’est pour vaincre l’épreuve que représente son absence que les deux filles se réfugient dans le rêve, dans ce monde féerique qu’elles imaginent. Une imagination si puissante qu’elle va leur permettre de surmonter le traumatisme. Le trou, passage d’un monde (réel) à l’autre (merveilleux, celui des Totoro) constitue le moyen de laisser derrière soi les problèmes, de tout oublier dans une dimension fantastique peuplé de créatures protectrices. On pourrait se poser la question de savoir si les aventures des filles avec Totoro ne sont pas purement imaginaires (Satsuki : "Comment se fait-il que personne d’autre ne voit le chat-bus ?") ? Cela a-t-il vraiment de l’importance ? De toute façon, les créatures deviennent réelles pour Satsuki et May comme pour nous, et ce par la seule force de leur conviction. Satsuki pourrait en effet paraître trop âgée pour croire aux Totoro et autres chat-bus. Pourtant, à un moment charnière de sa vie (la route vers l’âge adulte), elle choisit de se réfugier dans l’enfance, pour mieux rebondir. Bercé par le rythme tranquille du film, le spectateur décide bien vite d’en faire autant. Le refuge, la protection sont des thèmes majeurs de ce film, qui replace à cette occasion l’homme et la nature à leur niveaux respectifs. Totoro, roi de la forêt, symbolise effectivement le pouvoir protecteur de Mère Nature envers ses enfants turbulents et ingrats, nous. Cette idée, chère à Miyazaki (cf. Princesse Mononoke), est extrêmement bien mise en valeur par le dessin et l’animation. La recherche des détails de l’arrière-plan, l’agressivité de certaines couleurs contrastent avec les couleurs discrètes et les lignes simples, rondes et rassurantes des Totoros. La plupart des plans larges de paysage sont prétextes aux plans de "caméra" osés qui donnent du relief à l’image et ce sans utilisation d’images de synthèse. Les nombreux plans en plongée, combinés aux contrastes volontairement marqués du panorama (arbres immenses, plaines de rizières) montrent bien l’homme tel qu’il est, minuscule, sans défense, en besoin d’une protection qui ne peut venir que d’en haut. L’arbre magique que fait pousser Totoro et qui étend ses branches, une nuit, au dessus de la maison en est encore un exemple frappant. La nature, protectrice en elle-même et par l’intermédiaire de ses représentants (Totoro, le chat-bus), construit une muraille sécurisante autour des enfants, suite à leur appel à l’aide. Un refuge que d’autres, tel le père des enfants, trouveraient dans la religion.

Aussi fertile que soit l’imagination des enfants, de Miyazaki ou encore la nôtre, elle ne serait rien sans inspiration. Dans le cas de Mon Voisin Totoro, les mythes, les légendes et les symboles sont à l’origine des délires fantaisistes du réalisateur et de ses héros. Le premier, à travers son film, bâtit une véritable religion, celle de la Nature. Pour se faire, il se repose sur de nombreux mythes, japonais ou universels. Ceux-ci sont véhiculés ou entretenus par les différentes générations présentent à l’écran. Les filles bâtissent leur foi à partir de livres pour enfants (Totoro semble sortir de l’un d’entre eux). La grand-mère, énigmatique, semble connaître tous les secrets des bois. Le père, lui, trouve le réconfort dans la religion et les sanctuaires érigés le long des routes et des forêts. Tous les personnages semblent donner une interprétation personnelle des évènements qu’ils vivent, en accord avec leur âge. Ce panel rend d’autant plus aisée l’implication de tous les spectateurs à l’histoire. La religion au sens large est donc un thème majeur du film, présentée comme un refuge pour l’homme, à condition qu’elle soit respectueuse des autres et surtout proche de la Nature. La scène, magnifique, où toute la famille demande la protection d’un dieu, devant une statue perdue au milieu des bois, est là pour le démontrer. Sous la pluie, ce sont encore les dieux qui, à travers leurs autels, offrent un abri aux enfants. Totoro et ses amis, tels des anges, participent à une sorte de renaissance, une résurrection des héros qui, grâce à leur aide, vont vaincre la Mort et l’inquiétude qui les menace. Ce changement est particulièrement visible lors du générique de fin qui présente en petites vignettes la nouvelle vie des deux sœurs avec leur mère, guérie. A l’opposé du caractère morbide de celui du début, ce générique est peuplé de coccinelles et de glands, deux symboles à forte connotation. Religieuse pour les coccinelles (bêtes à bon Dieu) et mythologique pour les glands qui, en tant que fruits du chêne, héritent de la réputation de celui-ci. Synonyme de force morale et physique, il est de toutes les légendes et de presque toutes les traditions. Ce n’est certainement pas un hasard si l’immense arbre protecteur de la maison est un chêne, aussi emblème de l’hospitalité (Saint Louis recevait les pauvres sous le feuillage de cet arbre). Pas de hasard non plus, si les glands sont les premières traces visibles du passage - et de l’existence - des Totoro. Le chêne, pour de nombreuses religions instrument de communication entre le ciel et la Terre, fournit ici le lien entre les Totoro et les humains. Soyez donc rassurés : grâce à cette image, le futur des enfants semble pérennisé. Même si, à travers l’image des glands (censés pour certains préserver du vieillissement), Miyazaki semble vouloir ne pas grandir.

Un pari qui semble plutôt réussi, puisque tout au long du film, le réalisateur montre une exceptionnelle connaissance ou compréhension de l’esprit d’un enfant. Il crée un nouvel univers en leur nom, parce que c’est leur façon de gérer des émotions qu’ils ont du mal à comprendre, à justifier. Un contraste qui est flagrant dans les nombreux jeux d’ombres et de lumière sur les paysages et les habitations. La plupart des panoramas se répètent tout au long du film en plein jour, de nuit et souvent au crépuscule. Une manière de montrer la présence partout d’un côté obscur, sombre et la cohabitation en toute chose de deux mondes si différents. La musique est aussi là pour souligner cette différence. Joe Hisaishi mêle dans son score une mélodie enfantine, simple et gaie (qui suit les deux sœurs dans leurs jeux et deviendra le jingle du studio Ghibli) et une ambiance plus travaillée, plus sérieuse (ancêtre de la bande originale de L’été de Kikujiro écrite près de 10 ans plus tard) qui accompagne les scènes mystiques. Une ambiance d’ailleurs très "synthé" qui colle pourtant parfaitement avec l’image de la Nature en action et met en valeur la vraie magie qui se dégage du film.

On est certainement dangereusement proche du film parfait, et devant une telle accumulation d’indices, voire de preuves, vous tirez la seule conclusion possible : Totoro, c’est notre voisin d’en haut et Miyazaki, son prophète. Et vous, vous êtes convertis.

Totoro est disponible depuis peu en édition japonaise double DVD. Somptueuse, comme à l’habitude : image parfaite, son stéréo d’origine (en V.O. et en anglais) avec sous-titres japonais et anglais. Sur le deuxième DVD, le film complet en storyboards, esquisses et dessins préparatoires (multi-angle).Petit bémol, les sous-titres anglais sont calés sur la piste anglaise et non sur la piste d’origine, d’où la présence de sous-titres sans dialogues à l’écran ! Hormis cela, un must have pour tous les fans !!!

- Article paru le mardi 30 octobre 2001

signé David Decloux

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