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Chine

Balzac et la petite tailleuse chinoise

Chine / France | 2001 | Un film de Dai Sijie | Avec Zhou Xun, Kun Chen, Liu Ye, Suang Bao Wang, Xu Zu

Peut-on inventer un titre aussi contrasté que celui-ci ? Quel rapport peut-il exister entre Balzac, grand metteur en scène de la société française d’après la Révolution, et cette petite tailleuse chinoise, recluse dans un village de montagne et ne sachant ni lire, ni écrire ? Justement, toute la malice du titre vient du fait qu’il n’y aurait jamais dû en avoir un. A l’isolement naturel et géographique de la jeune fille devaient s’ajouter un isolement culturel (une jeune provinciale chinoise des années soixante n’a pas besoin de savoir lire) et politique (tous les livres non communistes sont interdits après la révolution culturelle du camarade Mao) censés la préserver des démons subversifs venus de l’occident capitaliste... Malgré tout, le plan du grand Timonier s’est retourné contre lui, et la petite tailleuse s’est ouverte au monde, à travers Balzac...

Alors que la révolution culturelle de 1968 bat son plein, les comités révolutionnaires se multiplient à travers les campagnes, et les fils de dissidents sont envoyés travailler sous leur tutelle pour être "rééduqués". Deux jeunes citadins cultivés font donc irruption dans la vie de montagnards méfiants, isolés au sommet du Phoenix du Ciel. Rendus rebelles par l’attitude bornée et réfractaire des communistes locaux, ils décident d’éduquer une petite tailleuse du village voisin, grâce à une sacoche volée pleine de livres interdits. Entre ébats amoureux et lectures tardives, ils vont mener leur propre révolution culturelle, aux côtés de Balzac, Kipling, Dumas...

Il est toujours délicat d’adapter un roman à l’écran, plus encore lorsque le réalisateur est l’auteur du livre, largement autobiographique de surcroît. Dans le cas présent, c’est loin d’être un handicap. Le réalisme poussé des images (caméra à hauteur d’homme, mise en scène bucolique et décor naturel) et du propos (nombreuses illustrations de scènes de vie quotidienne) confère au film une très forte impression de vécu et donne du poids à la critique sociale que l’auteur veut illustrer. A l’opposé, la nature et ses monts luxuriants, son relief accidenté et constamment embrumé, éclairés de manière sublime, apportent cette touche d’irréel, de désordre et de flou qui caractérisent les souvenirs, nous faisant pénétrer dans l’esprit du jeune héros, à la fois narrateur, réalisateur et écrivain. Le spectateur ne peut alors s’empêcher de ressentir le même attachement pour ces paysans, et le regard posé par Dai Sijie sur ses personnages nous semble d’avantage bienveillant que complaisant. L’humour léger qui parsème ces scènes de vie pour la plupart difficiles, finit de rendre le film attrayant et atteint son objectif (la remise en cause d’un système politique) par l’absurde et l’ironie, mais sans méchanceté ni violence. Cette méthode se révèle redoutablement efficace. L’absurde et la malice sont d’ailleurs une tactique de survie pour les deux captifs qui leur permet de contourner les règles draconiennes instaurées par les communistes. Ainsi, Mozart est accepté dès lors que sa sonate est renommée "Mozart pense fort au président Mao", le Lac des Cygnes également, s’il a été écrit spécialement pour le camarade Lénine...

En effet, l’objectif principal pour les deux garçons consiste à s’évader par tous les biais possibles de cette prison. Prison omniprésente dans le film, symbolisée par une doctrine (la révolution culturelle de Mao), un système politique (le communisme), un environnement naturel (l’enclave montagneuse, le brouillard) et des conditions de vie (travail dans une mine souterraine, vêtements serrés, accès interdit à la lecture ou à l’écriture). Tout participe à cette sensation d’enfermement, d’étouffement, d’isolement qui rejaillit si bien sur le spectateur et augmente l’impact des moyens d’évasion trouvés par les adolescents. A travers la lecture et une préférence pour les auteurs étrangers de pays lointains, mais aussi la musique et l’amour. Partie intégrante de l’histoire racontée, la musique bénéficie d’un traitement sonore particulier (splendide bande son aux accents de violons, à la fois discrète et enveloppante), mais également visuel (plans à la Delicatessen, où l’on suit l’évasion du son vers le ciel en caméra subjective). Tous liés au domaine du rêve (lecture, musique et amour), ces jeux de l’esprit briseront tous les liens. Leur évasion géographique dans le Paris de Dumas, culturelle à travers les patronymes utilisés par Balzac et les descriptions des costumes de l’époque, rapprochera encore les trois héros, unis par un même secret, un même désir de vivre. L’histoire d’amour qui en résulte est une autre expression d’un désir de découverte, chacun puisant chez l’autre des ressources qu’il n’a pas, que ce soit la lecture, la médecine, la musique ou la couture. Cette relation triangulaire est idéalement interprétée par des jeunes acteurs au physique et au jeu parfaits, chargés d’une émotion sincère. Relation qui sera rompue par la jeune fille, esprit façonné par ses compagnons dont c’était là le projet frankensteinien, qui échappe finalement à leur contrôle. C’est en définitive le plus bel exemple de libre arbitre et d’évasion. Une morale insidieuse qui confirme l’importance de l’esprit et de sa maîtrise. On découvre, avec le départ de la jeune fille, l’absence de réels obstacles physiques à l’évasion, le point crucial étant de s’affranchir d’une pensée castratrice.

C’est finalement cet aspect frondeur et critique qui donne réellement du poids au film, sur fond d’une Chine très nature rarement exposée au cinéma (on pense notamment à The Bird People in China de Takashi Miike) et d’une histoire d’amour rafraîchissante. On regrettera toutefois ce saut dans le présent annonçant le final qui, s’il montre la fin d’un système (l’ouverture de la Chine et l’occidentalisation de Shangaï en particulier), n’en casse pas moins le rythme de l’œuvre et lui fait perdre en grande partie sa magie. On dit que cet épilogue aurait aidé Dai Sijie à obtenir la permission de tourner en Chine. Si c’est le cas, cela renforce d’autant le propos de son film et en dit long sur une doctrine et un passé qui ont la vie dure, telles ces "bulles musicales" remontant à la surface au dessus du village englouti par les eaux...

En salles !

- Article paru le mercredi 6 novembre 2002

signé David Decloux

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