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Japon

Désir meurtrier

aka 赤い殺意 - Akai satsui - Unholy Desire - Intentions of Murder | Japon | 1964 | Un film de Shōhei Imamura | Avec Ranko Akagi, Masumi Harukawa, Yoshi Katō, Shigeru Tsuyuguchi, Kô Nishimura, Kazuo Kitamura, Yûko Kusunoki, Shōichi Ozawa, Seiji Miyaguchi

Septième film de Shōhei Imamura, Désir meurtrier est une superbe réussite.

Victime d’une agression sexuelle à son domicile, Sadako est remplie d’un sentiment de honte et tente de mettre fin à ses jours. Son violeur tombe amoureux de sa victime, revient la voir et une relation, essentiellement charnelle et chaotique, va se nouer entre ces deux êtres malmenés par la vie. Malgré la violence qu’il exerce sur elle, il lui accorde une attention qu’elle n’a jamais connue. Cette mère de famille a de tout temps été rabaissée par son entourage : son mari, Riichi, l’insulte et la trompe, et elle est rabrouée constamment par sa belle-mère, dont le père de son mari a été l’amant de la grand-mère de Sadako.

A l’instar de nombreuses œuvres du cinéaste japonais, la sexualité occupe une place importante dans Désir meurtrier. Un détour par Sigmund Freud s’impose. Elle représente ces pulsions primitives que l’individu réprime pour rendre possible une vie sociale relativement harmonieuse. Il se construit donc dans ce refoulement, qui est associé à des formes répressives, à l’ordre et à la loi. Son prix est celui d’une certaine aliénation, d’un malaise. Si selon le fondateur de la psychanalyse la non répression de ces pulsions conduirait au chaos, le philosophe, Herbert Marcuse, qui s’appuie sur les travaux de Sigmund Freud, récuse cette idée. Pas étonnant qu’il ait été l’un des philosophes phares des révoltes de la jeunesse et de la contre-culture des années 60.

Désir meurtrier se place clairement sous son patronage et celui de son ouvrage Eros et civilisation [1], seul livre dont il est fait référence dans le film dans la bibliothèque où travaille le mari de Sadako. « Le bonheur se trouve en l’individu, dans la simple acceptation de sa constitution instinctive » est l’une des conclusions du philosophe, qui estime que cet individu doit « se battre contre l’acceptation d’une condition sociale conduisant irrémédiablement au malheur et à la frustration ».

Cet individu est ici Sadako, dont le film retrace l’émancipation qui est présentée au début comme une bonne (à rien), tyrannisée par ses proches, même son jeune fils. Dans la première partie, Shōhei Imamura présente son passé où elle est montrée déjà brimée par son entourage. Le choix du cinéaste d’inclure souvent ces flashbacks alors qu’elle est endormie ou dans un demi-sommeil semble impliquer qu’ils viennent de son subconscient où elle a internalisé sa soumission à son mari et à sa « belle-mère. Violence et voyeurisme sont aussi largement présents.

Que de chemin parcouru par la suite : Sadako devenue épouse légitime, mère de plein droit et à la tête d’une école de tricot sans pour autant que le monde autour d’elle ait basculé dans le chaos. Pulpeuse, elle est l’incarnation physique de la générosité de la nature alors que son violeur/amant et son mari sont des souffreteux. Sa rivale, toute en os, personnifie la sécheresse de l’intellect.

La société décrite par le cinéaste japonais est d’ailleurs loin d’être aussi apaisée qu’elle ne devrait l’être, si l’on s’en tient au raisonnement de Freud : leur voisine entretient une liaison avec l’étudiant plus jeune qu’elle loge et Riichi et sa femme ont le même grand-père.

Désir meurtrier rejoint La Bête humaine, comme le film qui aura le mieux utilisé le train comme symbole des pulsions primitives tapies au cœur de l’être humain. Connaissant déjà le sujet du film d’Imamura, ses premières images – celles d’un train roulant en direction des spectateurs – m’ont immédiatement fait penser à La Bête humaine que j’adore. Cette association s’est ensuite confirmée, les premières apparitions du violeur étant accompagnées de la présence d’un train à l’écran. Ce dernier occupe une place prépondérante dans la scène du viol, qui est une réussite sur le plan de l’utilisation du son : le bruit de crissement des roues du cheval de fer se transforme en couinement animal et râles humains, les trois sons devenant difficilement identifiables.

Imamura a d’ailleurs la main lourde côté symboles. Outre le train, le titre du film apparaît sur l’écran en regard de deux souris blanches tournant en rond dans leur cage et leur roue. Il y a aussi le pistolet offert à l’enfant...

Dans ce film, le réalisateur fait de nouveau appel à certaines techniques cinématographiques : gros plan (magnifique plan où Sadako se voit dans la semelle d’un fer à repasser transformée en miroir), voix off, arrêts sur image… Il adopte aussi parfois un style documentaire, allant plus loin que certains de ses films précédents (Désirs volés et Mon deuxième frère), qu’il prenait soin d’ancrer dans le réel. Ses acteurs sont mélangés à la foule, notamment lorsque Sadako sort de la gare après sa fuite ratée à Tokyo. Globalement, la photographie de Shinsaku Himeda, son DP attitré, est une tuerie, quel que soit le style adopté.

Il faudra attendre 1970 après l’échec de Profond désir des dieux pour qu’il réalise son premier documentaire : L’Histoire du Japon d’après-guerre raconté par une hôtesse de bar.

Edité par Elephant Film, le film est disponible depuis le 15 novembre en Combo (Blu-ray+DVD) ; il est sorti en même temps que Désirs volés, Mon deuxième frère et Le profond désir des dieux.

[1Ne disposant pas du temps suffisant pour lire Eros et civilisation, je me suis appuyé dans cet article sur une étude de Plenchette Perrine sur cet ouvrage, qui s’intitule : Eros et Civilisation. Contribution à Freud. Ou comment concilier désirs individuels et ordre social répressif. La citation ci-dessous provient de cette source.

- Article paru le jeudi 24 novembre 2016

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