Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Chine | Festival du film asiatique de Deauville 2003

Hero

Chine | 2002 | Un film de Zhang Yimou | Avec Jet Li Lian-Jie, Tony Leung Chiu-Wai, Maggie Cheung Man-Yuk, Chan Diy Ming, Zhang Ziyi, Donnie Yen Ji-Dan

"Vous avez aimé Tigre et Dragon ? Vous adorerez Hero !" C’est pratiquement le slogan aguicheur qui couvre les affiches de promotion de Hero avant sa sortie en France. De là à dire que le film de Zhang Yimou cherche à surfer sur le succès de celui d’Ang Lee, il n’y a qu’un pas. Qu’il faut bien franchir, tant la filiation entre les deux films est évidente.

Ne serait-ce que parce que l’ombre de Miramax plane sur Hero. La major américaine avait participé au financement de Tigre et Dragon, grosse machine de Hong Kong qui avait remporté un succès critique et public quasi-unanime à l’international, jouant pour beaucoup dans la vulgarisation du cinéma asiatique et dans celui du film de sabre sauce HK. Rien de très surprenant de la part de cette filiale de Disney qu’elle tente de renouveler l’expérience...

Les castings des deux films trahissent, eux aussi, des ressemblances troublantes, blindés qu’ils sont des plus gros calibres du star-system de Hong Kong. Certains, comme Jet Li, avaient d’ailleurs été pressentis pour participer à l’aventure Tigre et Dragon - quand ils n’ont pas tout simplement joué dans le film, telle Zhang Ziyi. Sans compter leurs maîtres d’œuvre respectifs : Ang Lee pour Tigre et Dragon et Zhang Yimou pour Hero. Deux réalisateurs souvent étiquetés Art & Essai, que les goûts ont jusqu’à présent plus porté vers les drames psychologiques au ton contenu que vers la fièvre souvent exhubérante des films d’arts martiaux. Mais également deux réalisateurs au talent reconnu par la critique cinématographique, grâce à des films comme Ice Storm (Ang Lee) ou Epouses et concubines (Zhang Yimou).

Leur présence derrière Tigre et Dragon et Hero est à la fois un risque et un atout. Un risque dans la mesure où ils pourraient ne pas savoir donner toute leur mesure aux scènes d’action, accouchant de films lourds et prétentieux. Un atout parce que ces réalisateurs relativement confidentiels, en véhiculant une image d’auteurs soucieux de la psychologie de leurs personnages et des tourments de l’âme, sont susceptibles d’échapper aux clichés en vigueur à l’international, qui veulent que tout film d’arts martiaux ne soit qu’une accumulation de scènes violentes et de rictus forcés.

Si beaucoup les sépare, Lee et Yimou partagent ce souci du détail juste, de l’esquisse élégante et du tracé frémissant. Tous deux sont des peintres réservés et subtils, absorbés et comme incapables de sortir de leurs gonds mais tout en vibrations et en résonances. Leur style est classique mais ne manque ni d’allure ni de chaleur.

On pourrait épiloguer longtemps encore sur les points communs entre Tigre et Dragon et Hero (la chorégraphie des combats, les amours tourmentés et les destins tragiques de leurs personnages, l’usage parcimonieux des dialogues, etc.). Ce serait réduire Hero à une pâle copie du film d’Ang Lee, en faire un ersatz boursouflé d’un gros succès commercial. Nier même que le film puisse avoir une vie propre, un souffle particulier et une âme à part entière. D’autant qu’ils ne chassent pas sur les mêmes terres.

Dans Tigre et Dragon, Ang Lee reprenait à son avantage un schéma assez classique des films de sabre, nourri d’amertume et de vengeance. Schéma qu’il imprégna de philo zen et agrémenta de combats souples mais rythmés, presque jazzy. Zhang Yimou prend pied sur un terrain plus historique, à l’allégorie résolument politique. Surtout, il n’hésite pas à prendre une respiration bien plus ample et à donner de la voix, jusqu’à s’enhardir vers les cimes du lyrisme. Si, comme l’a dit Hugo, l’épopée, c’est l’histoire aux portes de la légende, alors, Hero est bien une épopée.

Il y a deux mille ans, une Chine en lutte perpétuelle est gouvernée par 6 monarques. L’un d’entre eux se distingue par son acharnement à conquérir les autres royaumes pour "tous les réunir sous le ciel". Considéré comme une réelle menace par ses rivaux, il fait régulièrement l’objet de tentatives d’assassinats. Un jour, un homme se présente à la cour, et prétend qu’il l’a débarrassé de ses trois plus dangereux ennemis. Introduit en présence du roi, cet homme lui raconte ses exploits. Mais le monarque suspecte la supercherie et propose une nouvelle, sa version des faits. Piégé mais désormais assez près du roi pour l’atteindre, l’homme n’a plus qu’à se dévoiler et abattre son jeu...

Trois histoires, trois versions différentes se succèdent donc, qui comprennent parfois leurs propres flash-backs. En une série de tableaux aux couleurs flamboyantes, toutes donnent lieu à des combats éthérés et fantastiques, d’une beauté à couper le souffle. Dans le premier d’entre eux, l’homme sans nom (Jet Li) affronte Sky (Donnie Yen) dans une maison d’échecs. Après une première passe d’armes, l’Homme sans nom demande à un musicien de jouer de sa cithare. Tandis qu’il entame sa mélopée, les combattants s’opposent en esprit : leur combat se joue en une transe majestueuse et aérienne, et se défait dans le sang.

Le ton est donné. A la violence et aux spasmes furieux du The Blade de Tsui Hark, Zhang Yimou oppose la grâce d’un ballet en apesanteur. Avec Hark, tout se précipite et s’entrechoque. Yimou prend au contraire de longues et profondes respirations, comme un nageur inspire avant de plonger, et étire le temps comme dans un songe. Il se laisse bercer au rythme d’une complainte distante et langoureuse, et donne à son ode l’allure irréelle d’un chant mystique.

En tout cas, politique. A mesure que les récits du complot ourdi par le tueur sans nom se succèdent, les personnalités des quatre guerriers se mêlent et se troublent parfois, tandis que s’affirme et ressort celle du roi. Au fond, peu importe ce qui s’est passé, semble dire Zhang Yimou, tout cela n’est qu’une légende, et le seul fait est que le souverain de Qin était bien là, qu’il a unifié la Chine et qu’il en est devenu le premier empereur. Au passage, c’est lui qui a fait édifier la Muraille de Chine...

L’histoire progressant, son motif politique se précise et dépasse finalement ses protagonistes. L’un après l’autre, Zhang Yimou rejette ses personnages dans l’ombre, là où on aurait peut-être préféré qu’ils finissent par percer au grand jour, et révèle son véritable objet. Hero est un film de propagande, qui établit clairement que l’individu doit s’effacer devant l’Etat, fût-ce au prix de sa vie. L’allégorie est lourde, et fera grincer des dents. D’autant que Yimou, dont bon nombre de films ont pourtant été interdits sur le sol chinois par le régime communiste, se garde bien d’évoquer la part d’ombre d’un roi considéré aujourd’hui encore comme un tyran cruel, mais remis en odeur de sainteté par Mao en personne.

Et le vernis craque. Le malaise perturbe et jette une chape de plomb sur ce qui semblait avoir pris son envol. Un arrière-goût persistant vient gâter ce qui semblait un délice exotique.

Vous vous êtes faits berner... il ne vous reste plus qu’à dire dans les salons à quel point ce film est odieux...

Hypocrites ! Vous qui vous gorgez de films hollywoodiens sans jamais rien y trouver à redire, vous vous offusquez d’un film dès lors qu’il clame un esprit communautaire !

Avec un accent totalitaire, c’est vrai... mais tout de même, il faudrait voir à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain !

Car Hero est tout de même plus que ça. Et ceux qui verront au-delà du pensum ne le regretteront pas, qui s’évaderont dans le rêve et la fantasmagorie. A ceux-là, le retour sur terre sera presque pénible...

Date de sortie de Hero sur les écrans français : le 24 septembre 2003. Pour les plus impatients, le film est déjà disponible en VCD et DVD HK (sous-titré anglais) depuis un bon moment !

- Article paru le samedi 20 septembre 2003

signé Hialmar

Hors-Asie

Dracula, pages tirées du journal d’une vierge

Chine

Hero

articles récents

Japon

Dernier caprice

Japon

Fleur pâle

Japon

Godzilla Minus One

Japon

Tuer

Japon

L’Innocence

Japon

Récit d’un propriétaire