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Japon

Kamikaze Taxi

Japon | 1995 | Un film de Masato Harada | Avec Koji Yakusho, Kazuya Takahashi, Reiko Kataoka, Taketoshi Naitô, Mickey Curtis, Kenichi Yajima, Toshi Shioya, Tomorowo Taguchi

"150.000 travailleurs étrangers, 90.000 yakuzas, et bon nombre d’hommes politiques qui déforment la réalité historique. Il peut arriver que les trois populations se rencontrent - même si un tel événement reste une chose rare". C’est sur cette affirmation que débute Kamikaze Taxi, qui crée l’occasion d’une telle conjonction, aussi rare cinématographiquement qu’elle l’est humainement. Sous la plume et la direction de Masato Harada, cette rencontre en forme de collision se transforme en pulsion de mort, partagée mais morcelée en différents niveaux de violence, du "Soyokaze" ("petite brise") au "Kamikaze" ("vent divin")...

Tatsuo est un jeune yakuza au service de Ishida, ponte mafieux lui-même au service du sénateur Domon. Pour ce dernier, Tatsuo sert d’entremetteur, choisissant avec soin les demoiselles à même d’assouvir l’appétit sexuel de l’homme politique, aussi corrompu que pervers. Conservateur et misogyne, l’ancien kamikaze ne retient en effet aucun coup dans ses ébats. Ainsi la jeune Tama se fait-elle un soir méchamment amocher, ce qui provoque la colère de la petite amie de Tatsuo - elle-même prostituée -, qui s’en plaint à Ishida. Devant tant d’insolence, bien sûr, le vieux gangster n’a d’autre solution que de faire taire - définitivement - l’âme sœur de notre jeune étalon. Tatsuo se met en tête de se venger de Domon, qu’il tient responsable de cette mort par procuration. Une idée lui vient alors qu’il écoute Tama, abattue, se remémorer l’avarice de Domon lorsqu’il est allé piocher dans une jarre, et en a retiré quelques milliers de yens - parmi plusieurs millions - pour acheter son silence...
Tatsuo se met évidemment en tête de dérober cet argent, assisté de plusieurs de ses camarades. Un vol à main armée qui se déroule sans encombre, mais qu’Ishida ne tarde pas à éclaircir. Seul Tatsuo parvient à échapper à la colère du vieil homme, emmenant avec lui le butin. Alors que Domon fait de Ishida son débiteur, afin de garantir la motivation du yakuza à retrouver Tatsuo, le jeune fuyard embauche Kantake, chauffeur de taxi nippo-péruvien, pour une course hors du commun...

Avant de pousser plus en avant cet article, il me paraît indispensable de remercier la Maison de la Culture du Japon à Paris. En effet, c’est au sein de la programmation du "Panorama du cinéma japonais des années 80 et 90" (entre le 28/01 et le 30/04/03) que nous avons eu le plaisir de redécouvrir Kamikaze Taxi, œuvre-phare de Masato Harada (Bounce Ko Gals, Inugami...). Pour l’occasion, une copie 35mm remplace le VCD hongkongais pour certains, une certaine VHS australienne acquise à prix d’or pour d’autres. Pour une dernière catégorie enfin - les absents ayant toujours tort, je suis malheureusement obligé de les exclure de ce paragraphe - l’une des deux séances programmées aura certainement représenté le lieu d’une rencontre exceptionnelle, avec une poignée de personnages qui ne le sont pas moins. Merci, donc ; je rêvais de cette projection depuis de nombreuses années.

Le ton de ces dernières lignes doit vous paraître bien solennel ; je plaide coupable, alors autant vous cracher le morceau tout de suite : Kamikaze Taxi fait partie, pour moi, de ces quelques films que l’on pourrait qualifier de parfaits. Et ce, pour une fois, en dehors de toute considération d’humeur, d’idolâtrie et/ou de fétichisme hautement subjective : quel que soit le sens dans lequel j’essaye d’appréhender Kamikaze Taxi, je suis bien forcé de me rendre à l’évidence.
Comme à l’habitude, une telle affirmation se doit d’être justifiée, de peur de paraître un peu trop prétentieux. La source de sa perfection toute particulière, ce chef-d’œuvre de Harada la tire de son époustouflante complétude, à même de transformer une simple pulsion suicidaire en véritable élan de vie.

Et pourtant, si l’on s’en tenait à sa mise en place, Kamikaze Taxi aurait pu se contenter d’être un film de yakuza sobrement déjanté, jouant de provocations dialoguées, de décalages contextuels. J’en veux pour exemple cette déroutante discussion post-coït entre Tatsuo et sa petite amie, dans un vidéo-club, au cours de laquelle nous faisons discrètement la rencontre d’une Tama peu farouche, n’hésitant pas à se changer devant tout le monde. Tel un être vivant cependant, Kamikaze Taxi ne se contente pas de suivre ses protagonistes : il évolue au même rythme qu’eux, change de forme, d’humeur, de ton. Impliquée à certains moments (caméra à l’épaule, presque intruse au sein d’une intimité), parfaitement omnisciente à d’autres (la caméra surplombe alors la scène, en plongée totale), la réalisation de Harada ne cesse de changer pour s’adapter au mieux à une narration complexe, Kamikaze Taxi étant tour à tour un film de yakuza, un drame social, un road-movie... c’est grâce à cette symbiose réussie d’une multitude d’approches, que Harada parvient à faire de son film une œuvre exceptionnellement complète. Là où beaucoup de réalisateurs auraient livré un patchwork stylisé de genres, Kamikaze Taxi parvient à puiser son identité dans sa multiplicité.

Une multiplicité qui, à y bien regarder, est l’un des mots d’ordre du film. Dans son discours social tout d’abord, qui vise à élargir une conception conservatrice et souvent réductrice de l’ "identité japonaise". Dans la personnalité duale du couple protagoniste Tatsuo/Kantake ensuite, facettes complémentaires d’une même force de la nature - le vent -, ici assimilé, selon sa "puissance" (Soyokaze ou Kamikaze), à la vie ou à la mort. Dans la multiplication des intrigues humaines enfin, la quête silencieuse - car volontairement étouffée ? - de Kantake prenant subtilement le relais de celle de Tatsuo. D’une certaine façon (c’est fou ce que j’aime lancer des polémiques), le couple Tatsuo/Kantake préfigure très largement celui constitué par Grégoire de Fronsac et Mani dans Le Pacte des loups de Christophe Gans (les deux personnages, en parfaite opposition de phases, apparaissent rapidement complémentaires ; avant de se fondre en un seul protagoniste, somme contradictoire et merveilleuse des deux entités de départ)...

En dehors de la réalisation sans faille de Harada - accompagnée d’une musique péruvienne tour à tour apaisante et troublante, en fonction de son adéquation avec les images qu’elle accompagne - l’autre atout de Kamikaze Taxi tient au choix de ses acteurs. Koji Yakusho (Lost Paradise, Cure, Charisma) est incroyable dans son interprétation de Kantake. Son attitude générale est un mélange parfait de douceur et de détermination. Pas besoin d’être bilingue en japonais par ailleurs, pour percevoir l’effort de diction fourni, afin de renforcer cette impression trompeuse de délicatesse. Dans sa dualité, Koji Yakusho est l’âme de Kamikaze Taxi, le vent qui souffle tour à tour doucement et fort en son sein.
A ses côtés, le jeune Kazuya Takahashi (The Eight Tomb Village, Hush !) est tout aussi impressionnant et Reika Takaoka (Hush ! aussi...) annonce déjà tout le bien que l’on pensera d’elle, dans les Kuro no Tenshi de Takashi Ishii notamment. Une mention spéciale par ailleurs à l’interprète d’Ishida, Kenichi Yajima (Hana-Bi, Inugami, Onmyouji), très "Kitanien" lors de la dernière scène, aussi insolite que sublime, du film.

Kamikaze Taxi vous l’aurez compris, est donc une œuvre à part. Subtil équilibre de violence et de douceur, il parvient à faire cohabiter à l’écran l’une des choses les plus difficiles à capturer sur pellicule : la complexité magnifique, et souvent paradoxale, de la vie. Pourvu que nous soit offert un jour, la possibilité de le revoir sur grand écran !

Kamikaze Taxi est aujourd’hui uniquement disponible en VCD HK chez Asia Video Publishing. Ce VCD comporte des sous-titres en chinois et en anglais, brûlés sur la pellicule.

- Article paru le mardi 15 avril 2003

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