Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Corée du Sud | Festival du film asiatique de Deauville 2011

La Femme est l’avenir de l’homme

aka Woman is the Future of Man | Corée du Sud | 2003 | Un film de Hong Sang-Soo (Hong Sang-Su, Hong Sangsoo) | Avec Yu Ji-Tae (Yoo Jitae), Kim Tae-Wu (Kim Taewoo), Seong Hyeon-A (Sung Hyunah)

L’hiver à Seoul. Munho, professeur en peinture occidentale à l’université, retrouve son ami Hunjoon, de retour d’études de cinéma aux Etats-Unis où il est devenu réalisateur. Munho reçoit son camarade chez lui - ou plutôt devant chez lui, prétextant que sa femme ne veut pas laisser Hunjoon entrer car la maison est en désordre. L’artiste a tout de même dans l’enceinte de sa propriété, un cadeau insolite pour le cinéaste : la première neige de l’année, qu’il a souhaité garder intacte, allant même jusqu’à attacher son chien pour qu’elle reste vierge. Ces quelques pas dans une neige « offerte », sont pour Hunjoon l’occasion de constater à quel point son ami a changé, s’endettant à vie pour offrir un pavillon à sa famille, avec comme dernière touche au tableau l’indispensable canin.

Munho et Hunjoon sortent boire un coup ensemble. Leur conversation est gênée, jusqu’à ce que la véritable raison de leurs retrouvailles pointe le bout de son nez. Hunjoo souhaite en effet retrouver Sunhwa, sa petite amie du lycée qu’il a abandonnée en changeant de continent. Ce qu’il ignore, c’est que Sunhwa et Munho ont eu une longue relation après son départ...

Toute l’ironie de La Femme est l’avenir de l’homme est résumée dans son titre, empreinté par Hong Sangsoo à Aragon, et dans le paradoxe qui l’unit a priori à son histoire, dans laquelle deux hommes s’attachent à une femme de leur passé. Munho est un homme marié, mais sa femme est maintenue à l’écart de la narration, aussi bien par les prétextes du protagoniste que par son comportement, qui semble globalement traduire un véritable oubli - refus ? - de son existence. Pourtant, c’est autour de cette femme « invisible » que tourne toute l’histoire de Munho, véritable héros du film. Elle est prétexte et raison, excuse et motivation, victime et coupable. De façon parfaitement implicite, chacun des choix de Munho ou presque, au cours de cette tranche de vie, lui est rattaché. Ainsi l’enseignant l’invoque-t-il une première fois pour éviter que Hunjoon entre chez lui, puis pour tenter de fuir la mise à jour du triangle amoureux secret, lorsque Hunjoon l’invite à rejoindre Sunhwa avec lui.

En dépit de ce qu’il déclare à son « ami », Munho désire plus que tout revoir Sunhwa ; cette femme duale, être et objet à la fois, qui subit autant qu’elle inflige en matière de relation amoureuse. Subit car elle semble elle aussi être prisonnière de ce passé, amoureux et charnel ; inflige car elle se prête aux volontés de chacun de ces deux « chiens » qui ne pensent qu’à une chose - le sexe -, les transformant en proies faciles et réduisant la sincérité de leur amitié à néant. Sunhwa est le terrain de l’affrontement de ces deux hommes qui se cherchent ; ou plutôt qui se sont trouvés mais refusent de l’admettre. Car elle ne représente en aucun cas un avenir pour eux - elle constitue simplement un passage obligatoire pour pouvoir affronter le lendemain, en arrêtant de regarder en arrière. Munho le comprend très rapidement ; c’est sans doute pourquoi il offre à Hunjoon la « virginité » de son jardin enneigé au début du film, comme pour anticiper la conclusion de ces retrouvailles, et compenser symboliquement ce qu’il lui a pris. Mais ce qui est passé l’est pour toujours. Hunjoon le comprendra au terme d’une nuit de beuverie qui rappelle fortement celle de La vierge mise à nue par ses prétendants, tourné par le réalisateur quelques années auparavant. Munho lui, le sait donc certainement depuis le début, mais tentera tout de même de retrouver le plaisir auprès de Sunhwa, et même de revivre son adolescence, pour s’en assurer. A partir de là, il pourra comprendre les tenants et aboutissants, et surtout les engagements et responsabilités, de sa vie d’adulte, en tant qu’homme, enseignant - et mari.

Car au terme de cette incursion dans une certaine banalité sentimentale, on peut comprendre le titre de cette œuvre simple de Hong Sangsoo, et ce de plusieurs façons. La femme est l’avenir de l’homme en ce qu’elle est sa motivation quotidienne, et par conséquent sa quête du lendemain. Elle est passé, présent et futur, sous toutes ses formes, ses contacts, ses jouissements partagés. Mais celle qui incarne le véritable avenir de Munho vous vous en doutez, n’est autre que la grande absente du film, pivot de la réfléxion du réalisateur et de son héros : SA femme. Et c’est au travers de ses tromperies et préoccupations, paradoxalement, que Munho le lui prouve. A chacun de décider si l’ensemble constitue une constation résignée, ou bien une simple leçon sur la complexité magnifique de l’amour, passager et à vie.

La Femme est l’avenir de l’homme est édité en DVD zone 2 par mk2 éditions (sortie le 16 février) au sein d’un coffret Hong Sangsoo. Le film est présenté dans son format d’origine (1.85 :1), en 16/9 compatible 4/3, et la copie possède une très bonne définition. Deux pistes audio sont disponibles (VO stéro et 5.1), et les sous-titres français sont obligatoires.

L’interface du DVD est simple, à l’image de la boucle musicale qui l’accompagne, extrait de la très jolie partition « anodine » de Ham Sungwon pour le film. En guise de suppléments, les bandes-annonce du film (4’), les bandes-annonces des titres de la collection Asie de l’éditeur (8’), mais surtout des interviews des trois interprètes du film (Yoo Jitae - 5’, Kim Taewoo - 8’ et Sung Hyunah - 17’), et un making of (38’).

Les interviews des acteurs sont bien loin d’une démarche promotionnelle, et décrivent avec beaucoup de précision et d’abnégation le travail d’acteur demandé par Hong Sangoo à ses comédiens. Plus que des portraits d’acteurs, ils représentent autant d’éléments qui, mis bout à bout, peignent un portrait du réalisateur. Jitae, Taewoo et Hyunah parlent de l’apprentissage qu’a constitué ce tournage aurpès d’un réalisateur en quête du « naturel ». Tous ont du travaillé pour perdre leurs habitudes, et devenir des extensions narratives de Hong Sangsoo. Leurs récits sont très honnêtes ; ainsi Jitae exprime-t-il ses doutes originels quant à la méthode du réalisateur, Taewoo sa déception par rapport à certaines de ses prestations - pourtant retenues par le réalisateur ! -, Hyunah son « absence » dans le personnage de Sunhwa, entièrement créé par Hong Sangsoo. Tous reviennent avec amusement sur l’utilisation d’alcool au cours du tournage, afin de jouer les scènes d’ivresse avec authenticité. On retiendra cette image citée par Yoo Jitae, d’un travail commun entre les acteurs et le réalisateur afin de construire une clef pour ouvrir une porte, narrative et émotionnelle, propre à briser les illusions des spectateurs et les mettre face à la réalité. En cours de route, il semblerait que Hong Sangsoo soit aussi parvenu à briser les illusions de ses acteurs par rapport à leur métier, et tous en semblent très satisfaits !

Le making-of quant à lui, est un montage d’images de tournages, dérobées ou non. On y voit notamment Hong Sangsoo seul face à son portable, en train de réécrire le scénario (tourné dans l’ordre chronologique) au jour le jour. Le portrait dressé par les comédiens est mis en évidence par les directives très précises du réalisateur, omniprésent à chaque seconde du tournage. Chaque scène est répétée de nombreuses fois, décortiquée dans ses moindres détails (attitudes, gestes, intonations, silences) avant de lancer la caméra. Une œuvre qui semblait être quasi-documentaire dans sa peinture de rapports quotidiens, y apparaît comme étant en réalité très travaillée. L’ensemble est ponctué de courtes interviews de l’équipe technique du film et des acteurs, ainsi que de moments de détentes... et même du passage de l’année 2003 à l’année 2004, en plein tournage !

Les suppléments contituent une extension du film, dans sa volonté de briser les illusions. Ici, il s’agit cependant de la démarche inverse, puisque c’est l’illusion du cinéma qui est mise à nue, est non celle de la réalité ! (Remerciements à Alexandre Jalbert.)

- Article paru le lundi 14 février 2005

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