Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Chine

Le Roi des masques

aka Bian Lian | Chine | 1996 | Un film de Wu Tian-Ming | Avec Zhigang Zhang, Renying Zhou, Xu Zhu

Bien que couronné dans de nombreux festivals de par le monde, ce film chinois est passé plutôt inaperçu en France, et ce malgré une surprenante sortie nationale. C’est bien dommage. C’est certainement l’une des révélations du cinéma chinois de ces dernières années qui, malgré de rares exemples, n’a pas connu à l’étranger l’explosion foudroyante de ses voisins asiatiques. Un tel film méritait donc bien une critique sur Sancho, ne serait-ce que pour lui rendre hommage et attirer l’intérêt sur les différentes éditions DVD, pour une fois disponibles en France. Ceux qui écrivent sur le cinéma savent combien il est difficile de parler des films exceptionnels. C’est peut-être le meilleur compliment que l’on puisse faire. Avant de rédiger cet article à la gestation laborieuse, je me suis longuement demandé ce qui faisait du Roi des Masques un de mes films préférés.

Peut-être est-ce tout simplement cette histoire simple et belle, pleine d’émotion ? La quête de ce vieux saltimbanque chinois pour trouver un héritier susceptible de perpétuer son art ancestral est un peu la quête de chacun d’entre nous : donner un sens à sa vie, transmettre un peu de soi aux générations futures pour vivre dans leur mémoire. Plus encore, ce film est un véritable voyage initiatique pour chacun des protagonistes, auxquels il est très facile de s’identifier, quelque soit son âge et son sexe, grâce au panel de personnages qui interviennent dans l’histoire (du très jeune garçon au vieillard, en passant par une petite fille et un adulte androgyne). En permanence, deux univers se rencontrent et interagissent : masculin/ féminin, célébrité/ anonymat, richesse/ pauvreté... Toutes ces individualités évoluent au contact les unes des autres, leurs sentiments changent : de la défiance au respect, de l’aveuglement à l’amour, de l’insouciance au sacrifice, du conformisme à l’indépendance.

Des individualités, car c’est bien de cela dont il s’agit. Tous les personnages du film semblent évoluer, solitaires, hors d’un contexte familial qui n’existe pas, dans une Chine "début de siècle" où il est préférable pour les pauvres d’essayer de vendre leurs filles, supposées bonnes à rien. Le film réussit le tour de force de montrer, sans complaisance, le climat social de l’époque dans tout ce qu’il a de plus cruel. Des inégalités considérables - qui se côtoient pourtant dans les villes - entre les responsables militaires ou gouvernementaux et le peuple, le poids écrasant des traditions et de la religion et un commerce d’êtres humains qui est au cœur de l’histoire. Fortement lié, le contexte culturel chinois est aussi présenté à l’écran, là encore par jeu de contrastes entre le spectacle de rue, réservé au peuple, et le spectaculaire et magnifique opéra chinois, privilège de l’élite. Le personnage de Boddhisatva, interprète masculin de nombreux rôles de femmes à l’opéra témoigne bien, dans les scènes de liesse populaire qui accompagnent sa venue, de la fascination du peuple pour ce divertissement inaccessible et la mystérieuse féminité qui se dégage de l’homme (sujet tabou à l’époque). Evocation discrète d’une sorte de "star-system" de l’époque qui aide le spectateur à faire le lien entre le monde contemporain et cette époque trouble, à la frontière entre modernité et tradition.

Cette fascination, ressentie également par le spectateur, pour cet art oriental méconnu pourrait-elle être à l’origine de mon engouement pour le film ? Il est vrai que l’on a sous les yeux des petits bijoux d’art théâtral, mariant constamment l’illusion (l’apparition des masques) à la beauté simple de l’opéra chinois (les figures des masques, les costumes) mettant en scène dieux, empereurs et rois. Toutes les disciplines y sont représentées : le chant, les arts martiaux, les acrobaties, le mime et surtout, la poésie. Tout ceci contribue à créer une sorte de bulle protectrice dans laquelle évoluent nos personnages, protégés du monde extérieur (de sa saleté et de ses dangers) par leur art. Jusqu’à ce que la bulle n’éclate, sous la pression des préjugés...

Que dire aussi du travail du chef opérateur Wu Tian-Ming (accessoirement aussi réalisateur du film) ? Si les images sont souvent superbes au naturel, grâce aux paysages, décors et costumes, le réalisation introduit un vrai jeu sur les couleurs qui vient illustrer les nombreux contrastes cités plus haut. On assiste à un défilé d’images alternativement sombres et lumineuses, ternes et étincelantes, brumeuses ou limpides suivant les péripéties et l’état moral des personnages. Un feu d’artifice permanent, un régal pour les yeux qui est aussi, fait (et c’est) beaucoup plus rare, au service de l’histoire. Le cadrage poursuit le même but. Là où les plans larges permettent d’apprécier la beauté des paysages mais aussi de faire avancer l’histoire en filmant l’action d’un œil plutôt extérieur, les gros plans jouent la carte de l’émotion à travers les visages très expressifs des deux acteurs principaux.

Des acteurs qui justifient peut-être aussi l’intérêt que j’ai porté au film ? En effet, malgré son jeune âge, Renying Zhou joue parfaitement juste et utilise sa beauté et ses grands yeux pour captiver le spectateur, tout en rendant parfaitement crédible un renversement de situation qui l’obligeait à jouer deux rôles en un. Chapeau bas, surtout lorsqu’on sait que plusieurs actrices reconnues ont relevé le même type de défi avec beaucoup moins de réussite. Quant au grand père, hésitant et perdu dans un monde qui change et se modernise sans lui, il est magnifiquement interprété par Xu Zhu, grâce à un visage qui, comme une succession de masques, exprime parfaitement la tristesse comme la joie, la déception comme la fierté, la souffrance comme l’amour, l’obstination comme l’attendrissement. Il est même tellement convaincant dans les scènes de théâtre qu’il semble avoir lui-même pratiqué cet art étonnant.

Ceci dit, pourquoi ce film m’a-t-il si particulièrement touché ? Quel ingrédient, parmi ceux cités ci-dessus, ressort par rapport aux autres et donne son mérite au film et du poids à la critique ? Je dois admettre qu’il n’y en a aucun. Il est parfait en tous points et c’est peut-être la raison de mon casse-tête rédactionnel. Mettons fin au calvaire : le Roi des Masque, c’est magnifique, un point c’est tout.

Plusieurs éditions de ce film sont disponibles en DVD. Il y a tout d’abord la version hongkongaise publiée par Mei Ah au format respecté avec sous-titres anglais et cantonais.

Columbia a aussi édité ce film en zone 1, malheureusement recadré, mais avec une piste mandarin 2.0 surround et des sous-titres anglais, français et espagnol.

Enfin, peut-être la meilleure édition, celle sortie en zone 2 par AK Vidéo et qui propose une copie correcte au format 1.85 original (non 16/9), avec des pistes mandarine et française stéréo et des sous-titres français. A noter la présence de la bande annonce et d’infos sur le réalisateur et l’opéra chinois.

- Article paru le lundi 27 août 2001

signé David Decloux

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