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Hong Kong | Festival du film asiatique de Deauville 2013

Les Cendres du temps

aka Ashes of Time - 东邪西毒 | Hong Kong | 1994-2008 | Un film de Wong Kar-wai | Avec Leslie Cheung, Maggie Cheung, Tony Leung Chiu-wai, Tony Leung Ka-fai, Jacky Cheung, Brigitte Lin Ching-hsia, Charlie Young Choi-nei, Carina Lau, Bai Li

Je n’ai pas su garder celui que j’aimais à mes côtés.

De sa maison dans le désert, Feng sert d’intermédiaire entre des commanditaires et de fins bretteurs. Il y habite seul après une jeunesse passée à rechercher la gloire des armes. Délaissée, sa fiancée n’a pas attendu son retour et s’est mariée avec son frère. Chaque année à la même époque, il reçoit la visite d’un ami, Yaoshi, qui apporte cette fois un vin censé effacer la mémoire ; un cadeau qu’il a reçu d’une amie. Un homme fait appel aux services de Feng pour supprimer ce même ami, coupable de ne pas avoir tenu sa parole d’épouser sa sœur. Au cours de l’année qui s’écoule pendant le film, Feng fournit les services de plusieurs gens d’épée, qui ont comme point commun d’avoir des relations conflictuelles avec leur femme.

De ma première vision des Cendres du temps à sa sortie, j’étais ressorti avec une impression mitigée. Comme la plupart des spectateurs, j’avais éprouvé beaucoup de mal à identifier les personnages du film. Ce défaut n’a pas été corrigé dans Les Cendres du temps Redux qui posera le même problème aux spectateurs le voyant pour la première fois sans connaitre les acteurs.

De même, 19 années plus tard ce film reste une tuerie sur le plan visuel. Mieux, il est désormais possible de l’admirer dans toute sa splendeur. Dans Redux, les couleurs ont connu un bain de jouvence par rapport à la version précédente. Le jaune désert (souvent trop criard à mon goût), déjà couleur dominante, occupe désormais toute sa place et le reste de la palette du duo Christopher Doyle - Wong Kar-wai bénéficie d’un contraste rehaussé.

Si King Hu transposait dans Raining in the Mountain la calligraphie au cinéma, les mouvements de caméra remplaçant ceux du pinceau, WKW fait basculer le Wu Xia Pian du côté de l’art abstrait. Lorsque Wong Kar-wai et son acolyte Christopher Doyle filment le combat marquant l’entrée en scène du personnage joué par Jackie Cheung - l’un des plus beaux du film - ils semblent projeter des couleurs sur l’écran comme le faisait Jackson Pollock sur sa toile. Cet affrontement à l’image filée illustre la principale qualité du bretteur, sa vitesse, comme le percevra le spectateur, mis dans la situation de Tony Leung lors de son ultime bataille. Les combats me semblent plus réussis que dans mon souvenir. Sans doute parce qu’entre temps, les montages épileptiques sont devenus la norme pour les combats, au point d’en rendre illisibles un bon nombre.

De même, comme un peintre qui applique différentes couleurs et plusieurs couches de peinture pour aboutir à la texture voulue, le réalisateur hongkongais joue avec le grain de sa pellicule, avec différentes vitesses de ralenti...

En discutant du film il y a quelques années, Akatomy avait lancé l’idée que la confusion qui fait prendre un personnage pour un autre, entretenue notamment par leurs vêtements similaires, était voulue par Wong Kar-wai.

La scène où Yaoshi dans les brumes de l’alcool sent (rêve) qu’une femme lui caresse le visage est à ce titre emblématique. Elle porte un vêtement rouge comme le personnage joué par Maggie Cheung, dont il est amoureux et auquel il consacre ses pensées. Si elle reste pour lui un mystère, le spectateur très attentif dispose d’un bref instant pour apercevoir le visage au menton si caractéristique de Brigitte Lin lorsqu’elle s’enfuit.

Et si, finalement, peu importait que le spectateur reconnaisse ou non tel ou tel protagoniste ? Chaque personnage masculin du film contient des échos de l’existence de Feng ou de celle qu’il aurait pu vivre. Yaoshi est un amoureux-malheureux du personnage joué par Maggie Cheung. Tony Leung regrette amèrement d’avoir abandonné sa femme. Jackie Cheung rêve d’exploits guerriers comme lui dans sa jeunesse, mais a pris une décision différente au sujet de sa femme. Pris dans leur ensemble, ils forment une image syncrétique de Feng.

Si ces personnages représentent pour Feng des échos mémoriels, ils correspondent pour le spectateur à des échos visuels. Le réalisateur hongkongais cherche ainsi à faire partager au spectateur l’expérience vécue par Feng. N’oublions pas que les films de Wong Kar-wai sont des voyages sensoriels. 2046 reprendra ce mécanisme avec plus de réussite en raison du nombre réduit de personnages.

Dans sa nouvelle mouture des Cendres du temps, le réalisateur a plus insisté sur le principe du yin et du yang. Si les occidentaux ont tendance à raisonner en termes de dualité, les asiatiques raisonnent plus en termes de complémentarité. Celle-ci est illustrée par le fameux symbole noir et blanc du yin et du yang. Le film débute sur un duel pendant une éclipse de soleil, tandis que le magnifique combat de Brigitte Lin contre son image a été intégré dans le montage. Son personnage est le plus emblématique du film. Ses deux personnalités illustrent sur un mode paroxysmique les conflits intérieurs inhérents à tout homme (ou femme). Ils contribuent à définir sa personnalité et à façonner sa destinée. Est-ce que je préfère rester auprès de ma mie ou partir chercher la gloire ? Est ce que je sacrifie ma vie familiale pour réussir ma vie professionnelle ?

Arrivé à un certain moment de son existence, on est amené à se retourner sur la vie que l’on a menée. On se rend alors compte que certains de nos choix ont fait basculer notre destin. Le héros chez Wong Kar-wai n’a pas saisi la chance qui lui était donnée de vivre avec la femme aimée. Le caractère nostalgique de ses films provient du souvenir de cet amour à jamais perdu et auquel ses expériences le ramènent toujours. La mémoire a ceci de douloureux qu’elle ne peut pas être contrôlée. Tout d’un coup, un événement, un visage, une action vont vous rappeler un moment de votre passé, heureux ou triste.

A Sofi G.

- Article paru le mardi 12 mars 2013

signé Kizushii

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