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Hors-Asie

Matrix Revolutions

USA | 2003 | Un film de Andy et Larry Wachowski | Avec Keanu Reeves, Laurence Fishburne, Carrie-Anne Moss, Hugo Weaving, Jada Pinkett Smith, Harold Perrineau Jr., Nona Gaye, Clayton Watson

Où en étions-nous...

Il y a six mois, les frères Wachowski nous laissaient, non pas sur notre faim, mais en attente du dernier pilier de l’édifice Matrix. Celui-là même qui, portant le nom de Révolutions, se chargerait à défaut de révolutionner nos modes de pensée, de boucler la première réécriture contemporaine authentique de nos religions judéo-chrétiennes. Et déjà il y a six mois, la majorité des spectateurs perdaient de vue l’enjeu de cette trilogie / trinité des "contre-cultures" ; à savoir que le manifeste stylistique constitué par Matrix premier du nom, s’il ne pouvait se contenter d’être l’affirmation d’une identité visuelle, de l’appartenance à une mouvance faite de cyber-trucs, de techno-machins et de video-choses, était déjà dual, autant vecteur que générateur de sens.

Ainsi le "Bullet Time", effet de style caractéristique de la trilogie, constitue-t-il à la fois un élément fondateur (car générateur d’une nouvelle "marque" visuelle), somme (car aboutissement de nos technologies) mais surtout perturbateur et réflexif. Né du film pour le film, l’apparat novateur est à la fois cause et effet : effet de par sa nature ; cause en ce que, rétroactivement, il justifie l’existence de la trilogie Matrix. Car le "Bullet Time" en tout état de cause, n’est autre qu’une perception numérique de ce qu’il convient d’appeler un miracle. Dés lors, au sein de l’édifice Matrix, le "Bullet Time" occupe une place ambivalente de (self-)packaging et de contenu.

Le "miracle Bullet Time" donc, justifie l’existence d’une narration autour de Néo autant qu’il se suffit à lui-même, en tant qu’élément de base d’une réécriture religieuse. Il apparaît alors logique que la narration de Matrix Reloaded soit dotée d’une certaine inertie visuelle. L’inertie en effet, est bien ce que l’on retenait du look du premier opus : un mélange d’attentisme (le ralenti extrême) et de mouvement posé - lui-même né d’une contradiction, bénéfique, entre volonté (l’assimilation des comics, des manga et du "cinétisme" asiatique) et constatation (Keanu Reeves ne peut faire illusion à vitesse réelle). En tant que pièce centrale d’une histoire en trois parties, le deuxième opus se doit de faire avancer l’enjeu narratif, d’aller au-delà de l’exposition et de préparer le terrain pour la conclusion. Les dialogues sont par conséquent réduits au minimum, et la forme "Bullet Time" se voit explicitement transformée en élément narratif autosuffisant. Une démultiplication - formelle et quantitative - du miracle originel, qui concrétise la position de Messie de Thomas Neo Anderson, et assied définitivement les intentions évangéliques des frères Wachowski. Le public malheureusement, se perd dans cette inertie qu’il avait pourtant encensée, car sa nature réaffirmée l’indispose.

Au début de Matrix Revolutions, Neo est perdu entre deux mondes, "connecté" mentalement sans l’être physiquement. Passeur/ressuscité, constituant désormais le lien métaphysique entre le monde réel et le monde virtuel, Neo devient lui-même un miracle, et permet à la narration de Matrix de basculer vers sa conclusion puisque le contenu et la forme sont désormais incarnés par un personnage. De Messie, Neo est discrètement en train de devenir un Dieu. Accessoirement, le troisième opus s’offre une structure de séance "stand alone", laissant le temps à l’inertie de la mythologie de se reconstituer de nouveau avant d’entamer les festivités.

Un Dieu bien entendu, s’intéresse avant tout aux hommes qui lui confèrent son statut. Matrix Revolutions s’éloigne donc logiquement, pour une grande partie du film, de Neo et de Trinity. Morpheus lui-même devient un simple personnage secondaire tandis que des figures à l’origine moins importantes - tels Mifune et le Kid - deviennent des croisés avant l’heure. Une étape essentielle du film, au cours de laquelle les réalisateurs livrent des images d’une force ahurissante, qui restera à mon avis longtemps inégalée. Puis le film s’en retourne de nouveau - question d’équilibre - à la source de la foi, qui motive ceux qui ont choisi de "croire", et concrétise son objectif de façon cohérente - et bien entendu incroyablement spectaculaire. Le spectacle néanmoins, n’est pas celui d’une débauche mais comme il se doit celui d’une retenue (relative), puisque propice à une consolidation et non à un retournement/révélation.

Au terme de Matrix Revolutions, la "révolution" du titre semble faire référence à la circonvolution effectuée par le spectateur ("mouvement en courbe fermée" et non "changement brusque de l’ordre établi"). Le contenu des Textes n’a pas changé en cours de route, mais leurs nouveaux évangélistes se sont adaptés, de façon remarquable, à notre époque et à ses diverses cultures. Comme le dit si bien Niobe : "I don’t believe in the One. I believe in him." Cette conviction nouvelle, simple transfert de sujet qui incarne le véritable enjeu de la science-fiction contemporaine, symbolise parfaitement l’inestimable réussite des frères Wachowski.

Matrix Revolutions est sorti sur les écrans du monde entier le 5 novembre 2003.

- Article paru le mercredi 12 novembre 2003

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