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Japon | Festival du film asiatique de Deauville 2004

Musumedojoji - Jaen no Koi

aka Musumedojoji - Musumedojyoji - Musume Dojoji | Japon | 2003 | Un film de Yukiko Takayama | Avec Riho Makise, Fukusuke Nakamura, Tôru Kazama, Takamasa Suga, Miki Maya, Kotarô Nakamura, Souichi Tanaka, Tôru Minegishi, Mickey Curtis, Megumi Morisaki

La dernière danse...

Le soleil matinal pointe ses premiers rayons. Shiori, jeune actrice de Kabuki habitée par le rôle de Musumedojoji, interprète une danse pour la première et la dernière fois, en se jetant dans le vide du haut d’un immeuble...

Avec un tel postulat de départ, Musumedojoji - Jaen no Koi n’a rien de particulièrement joyeux... Shiori, lors de son ultime danse, paraît pourtant radieuse, prête à accepter ce qui semble être irrémédiablement sa fin. Amour, haine, danse, beauté, et tradition se mêlent dans une fable aphoristique dont l’unique but est la recherche d’une certaine perfection...

Retour sur Musumedojoji... C’est en 1753 qu’a lieu la première représentation de Kyokanoko Musumedojoji. Dans l’enceinte du temple Dojoji, les prêtres semblent heureux d’avoir une nouvelle cloche, flambant neuf, eux qui en ont été privés durant de longues années... mais pourquoi ?
Selon la légende, le temple enfermait en son sein un prêtre d’une rare beauté répondant au nom d’Anchin, dont une jeune femme, Kiyo-hime, tomba éperdument amoureuse. Conscient de sa condition d’homme de religion, Anchin tenta tout pour la décourager. Mais la jeune femme aveuglée par sa passion, ne put s’empêcher de le poursuivre, jour et nuit. Devant une telle détermination, le jeune prêtre utilisa tous les subterfuges possibles et imaginables pour se défaire de Kiyo-hime, si bien que la passion amoureuse de la jeune femme devint ressentiment. Motivée pas une haine sans nom, elle se transforma en un serpent crachant du feu... Terrifié, Anchin se cacha alors sous la cloche du temple. La créature, en colère, s’enroula autour de la cloche et y mit le feu, jusqu’à ce que celle-ci se mette à fondre au milieu d’une chaleur étouffante, entraînant le prêtre dans une mort lente et douloureuse...

Depuis ce jour, aucune femme n’est autorisée à pénétrer l’enceinte du temple Dojoji. Mais aujourd’hui, une jeune et jolie jeune danseuse itinérante prénommée Hanako, se présente aux portes du temple afin de voir cette nouvelle cloche qui selon les dires, est magnifique. Les prêtres lui refusent l’entrée. La déception de la jeune femme semble si grande, qu’elle émeut les prêtres qui lui autorisent finalement à pénétrer dans l’enceinte de Dojoji... Hanako commence alors une danse en leur honneur ; une danse étrange pendant laquelle la jeune femme change de kimono et semble dégager une aura qui met mal à l’aise les prêtres. Troublés, ces derniers lui demandent d’arrêter et tentent de la reconduire à l’extérieur. Hanako s’enfuit alors pour grimper au sommet de la cloche, laissant dévoiler qui elle est vraiment après avoir lancé un sourire sardonique à l’assemblée : l’esprit vengeur de Kiyo-hime...

...lorsque Shiori meurt - dans ce geste qui semble inexpliqué - Haruka, sa sœur jumelle, se sent à la fois très proche et très éloignée de sa sœur. Comment comprendre ce geste aux allures de suicide ? Haruka décide de se plonger corps et âmes dans l’univers codifié et fermé du Kabuki, en devenant l’élève de Tomitarô Murayama, le plus grand acteur onnagata - interprétant des femmes - vivant, dont Shiori était la disciple. Ce choix drastique d’Haruka implique un abandon total de sa vie professionnelle et personnelle, pour se focaliser uniquement sur la compréhension d’un Art - que l’on peut croire - aussi hermétique que séculaire. La jeune femme, professionnelle de danse contemporaine "occidentale", abandonne à Kyoko, sa meilleure amie, le rôle principal d’un ballet pour lequel elle s’était préparée depuis de nombreux mois. En s’imprégnant de l’image de sa sœur, Haruka va peu à peu s’oublier pour tenter de vivre ce que Shiori a enduré ; son apprentissage difficile et rigoureux avec Murayama, et cette relation d’amour/haine qui semble être à la source de sa disparition...

Un peu à la manière d’une enquête - qui contient un aspect surréaliste omniprésent -, Haruka va se retrouver face à des énigmes - ou plutôt des phrases énigmatiques laissées ça et là par les différents protagonistes du film - puisant leurs sources aux racines du Kabuki ; autant de clefs pour éclaircir le mystère qui entoure la mort de sa sœur. C’est Hideji, jeune apprenti onnagata de Murayama, qui révèlera à Haruka le plus lourd secret liant l’étrange couple Shiori/Murayama en lui apprenant l’existence d’un autre acteur onnagata, Hanamaru. Personnage énigmatique, Hanamaru était autrefois le rival de Murayama, avant de se retirer du monde du Kabuki pour adapter à sa manière les classiques du répertoire dans un style plus ouvertement outrancier. Entre le rêve et l’imaginaire, l’univers de cette homme est à mille lieues de la vision que Murayama a de ce que doit être le théâtre Kabuki... Hanamaru va alors apprendre à Haruka, que sa soeur s’était offerte à lui sous les yeux de Murayama. Tomitarô Murayama a décidé d’oublier sa masculinité, pour que son art soit le plus parfait possible ; être plus femme que toutes les femmes, devenir "La Femme"... Mais dans cette spirale sans fin où Eros et Thanatos se côtoient, Murayama, après avoir détruit/sublimé Shiori, va entraîner à son tour la jeune Haruka en lui affirmant que pour jouer une femme, elle devra renoncer à sa féminité...

Si aux origines du Kabuki, les femmes en étaient les principales représentantes sur scène, les choses "évoluèrent" par la suite vers un art uniquement destiné aux hommes... Les troupes constituées de femmes - Onna Kabuki - étant souvent liées au commerce de la prostitution, le shogunat des Tokugawa les bannît dès 1629, interdisant par la même occasion aux femmes de se produire sur scène. Le Wakashu Kabuki - jeunes hommes - devint alors très apprécié... mais l’aspect visiblement "immoral" de la chose, couplé à la prostitution - des jeunes hommes cette fois-ci - les fit également interdire, en 1652. Le Kabuki devint alors un théâtre interprété par des hommes d’âge mur - Yarô Kabuki -, dont le jeu devait éviter toute "sensualité" afin de n’éveiller aucun désir parmi le public...
Malgré son histoire quelque peu marquée par la censure et les interdits, le Kabuki est aujourd’hui la forme de théâtre traditionnel la plus moderne ; Kabuki signifie "choquant", "inconventionnel" et "qui suit la mode"... un Art d’une modernité inouïe, comme le prouvent aujourd’hui de jeunes acteurs devenus super stars auprès d’un large public, comme l’excellent Shidou Nakamura (Ping Pong, Iden & Tity), ou encore les deux fils du grand Kankurô Nakamura, Kantarô et Shichinosuke (The Last Samurai)... L’avènement de cette nouvelle génération montante (qui joue sur scène, mais également au cinéma et à la télévision - Shidou Nakamura est le guest d’un grand nombre d’émissions télés), offre une nouvelle jeunesse au Kabuki, le rendant "in" devant toute autre forme de théâtre, du au Kyôgen en passant par le Bunraku... un Art en évolution constante.

Pour son second long-métrage après Kaze no Katami (1996), Yukiko Takayama - dont le premier scénario n’est autre que Mekagojira no Gyakushû (1975) ! - choisit donc de s’immiscer dans le Monde du Kabuki, en y montrant son amour pour cet Art séculaire empreint de modernité... à l’image de sa mise en scène, en totale adéquation avec son sujet, Takayama se joue des codes "établis" et ose - pari qui peut paraître risqué - entrer violemment au milieu des représentations ; si au départ, sa caméra se fait discrète en gardant ses distances par rapport à la scène, elle devient très vite un élément qui semble incontrôlable, se mêlant aux mouvements codifiés pour nous offrir une sorte de maelström violent et coloré, nous entraînant dans le tourbillon de la danse effectuée par un acteur transcendé par son rôle...

Les acteurs, éléments incontournables du film, sont tous exceptionnels, de Fukusuke Nakamura, grand acteur de Kabuki, à Miki Maya (OD2)... mais c’est la jeune Riho Makise (Tsugumi, Kao et le cultissime Bakumatsu Jyunjyoden) qui explose ici littéralement dans le double rôle de Shiori/Haruka, en apportant douceur, force et fragilité à ces deux personnages tourmentés par les dangereux amusements d’un homme aux allures de Pygmalion (auto)destructeur, qui se sert de ces deux femmes comme d’une matière malléable dont il extrait les sentiments qui lui sont nécessaires pour son rôle, comme d’un instrument dont il puise l’énergie... et la vie.

Une jeune femme en quête de vérité, un homme à la recherche de (sa) la perfection... Musumedojoji - Jaen no Koi nous entraîne dans un univers onirique et cauchemardesque, dans lequel l’Amour est indissociable de la Mort ; un monde où la beauté prime, où tout n’est qu’illusion. Au milieu de ce magnifique rêve coloré et empreint d’un lyrisme inouïe, Yukiko Takayama met en exergue une question essentielle : qu’est-ce qu’être une "vraie femme" ?...

Musumedojoji - Jaen no Koi sortira en salles au Japon au mois d’Août 2004.

Bonus - Site Officiel : http://www.jaen.jp

- Article paru le dimanche 18 avril 2004

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