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Hong Kong

Nos années sauvages

aka Days of Being Wild | Hong Kong | 1990 | Un film de Wong Kar-Wai | Avec Leslie Cheung Kwok-Wing, Andy Lau Tak-Wah, Maggie Cheung Man-Yuk, Carina Lau Ka-Ling, Jacky Cheung Hok-Yau, Rebecca Pan Di Hua, Tony Leung Chiu-Wai

Nos années sauvages (NAS) n’est peut-être pas le meilleur film de Wong Kar-Wai - ce titre revient à In The Mood for Love, son oeuvre de la maturité - il n’en reste pas moins la matrice de ses réalisations suivantes. Entre ces deux films, la boucle est bouclée, l’homme aux lunettes de soleil est passé de l’échec commercial à Hong Kong à la consécration internationale. Alors que l’industrie du cinéma de la colonie tombait en décrépitude, film après film, il a réussi à se hisser parmi le gotha mondial des réalisateurs actuels.

Un brin de nostalgie pour un film nostalgique, le premier de l’auteur qu’il m’a été donné de voir. Pourtant, je suis tombé amoureux des films de Wong Kar-Wai, avant d’en avoir visionné un seul... Enfin, plutôt subjugué par la beauté de Carina Lau, dont un photogramme de NAS ornait l’article consacré à WKW dans le Cinéphage spécial Asie de l’été 1993. La belle Carina trônait lascivement dans un fauteuil en osier baignant dans une lumière tamisée, Sylvia Kristel à la mode asiatique. Le film dont cette photo était tirée ne pouvait pas être mauvais. Je ne suis sans doute pas le seul à avoir été fasciné par cette image, elle sera en effet reprise trois ans plus tard pour illustrer l’affiche du film lors de sa sortie en France. Ce film n’est pas seulement une rencontre avec un réalisateur, c’est également une rencontre avec une actrice, Maggie Cheung. Après avoir vu le film, l’image de Carinau Lau aura disparu derrière le charme de Maggie Cheung.

Yuddi (Leslie Cheung), jeune dandy dilettante et briseur de coeur, entretenu par sa tante (Rebecca Pan), ancienne courtisane, est le fil rouge qui relie les personnages du film. Il dissout son ennui dans la compagnie des femmes, mais ne souhaite surtout pas s’engager. Son but est de savoir qui est cette mère qui l’a abandonné à sa naissance. Après avoir laissé la barmaid, Su Li-zhen (Maggie Cheung), le quitter, il abandonne sa nouvelle conquête, une danseuse de cabaret, Lili, jouée par Carina Lau, pour tenter de retrouver sa mère aux Philippines. Le film comporte deux autres personnages masculins. Un policier joué par Andy Lau, auprès duquel Maggie Cheung vient s’épancher suite à son chagrin d’amour et l’ami de Yuddi, interprété par Jacky Cheung, qui tente en vain de l’imiter.

Pour la première fois, un duo essentiel à la carrière de Wong Kar-Wai se trouve réuni sur ce projet. Son directeur de la photographie, bien sûr, le génial Christopher Doyle, mais également le directeur artistique de tous ses films, William Chang Suk-Ping, qui assume parfois le rôle de monteur. Ce dernier a non seulement travaillé avec d’autres familiers de WKW, dont Patrick Tam qui est considéré comme le mentor de ce dernier, mais également avec Tsui Hark - notamment sur The Blade pour ne citer qu’une de leurs collaborations... Même si sa spécialité est moins sexy que celle de chef opérateur ou réalisateur, il est néanmoins un des composants essentiels à l’alchimie WKW. On oublie trop que les films de Wong Kar-Wai, sont aussi des films d’équipes de techniciens et d’acteurs. Dans ses interviews, WKW aime d’ailleurs à définir son rôle comme celui d’un chef d’orchestre. WKW donne le tempo, mais sa méthode de travail, avec des films qui peuvent s’étaler sur de longs mois, nécessite de disposer d’une équipe fidèle pour interpréter la partition. La complicité de ses membres permet à WKW de s’exprimer dans toute sa mesure.

Pour un deuxième long-métrage, NAS témoigne d’une maîtrise formelle manifeste. L’aspect visuel du film, à dominante de ton bleu et vert, est un régal pour les yeux. Le soin a été poussé jusqu’au mobilier et aux accessoires. Outre le travail sur les couleurs, celui sur la lumière est également de tout premier ordre. Même si techniquement, ce film n’est pas exempt défaut comme peut l’être In the Mood for Love, ni aussi expérimental que ses films suivants, il marque cependant le début d’une grande histoire créative avec C. Doyle. Depuis ce tournage, où WKW a indiqué avec précisions ce qu’il souhaitait, ils travaillent en harmonie. Selon les déclarations de WKW, ils n’ont besoin de discuter ni de la lumière, ni du cadre ou des objectifs ! Une complicité qui s’explique également parce qu’ils partagent les mêmes références et la même idée du cinéma. Christopher Doyle en donne une très belle définition : "l’expression visuelle d’une expérience émotionnelle". Cette attention portée à la photographie n’est pas le fruit du hasard, il s’agit de la spécialité première de WKW. Un talent qu’il a développé lors de ses études de design. Cette maîtrise et cette inventivité formelle deviendront la marque de fabrique de WKW, une marque qui lui vaudra au choix l’admiration (surtout maintenant) ou le rejet. Son style sera ensuite copié - une reconnaissance pour un réalisateur hongkongais - malheureusement souvent pour le pire. Cette attention portée à la forme n’est pas étrangère à l’intérêt que je porte à ce réalisateur. Rarement avant NAS, il ne m’avait été donné l’occasion de voir une photographie qui ravisse autant mon regard. Vision après vision, on est gagné par la poésie qui se dégage du film.

Dans son projet initial d’un film en deux volets, WKW avait l’intention d’utiliser quatre styles différents. Le premier devait être à base de gros plans, à la manière de Bresson. On trouve ce style, lorsqu’il filme la relation entre Yuddi et Su Li-zhen, afin d’illustrer leur intimité. L’objectif du deuxième style était de donner au film un air de série B, grâce à l’emploi de mouvements d’appareil compliqués et de plans séquences. La fin de NAS, alors que l’action se déroule aux Philippines, en fournit l’exemple. En ce qui concerne les deux autres styles, le troisième devait utiliser la profondeur de champs, et enfin le dernier se rapprocher du deuxième, mais avec plus de mobilité.

Le cinéma de Wong Kar-Wai n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait passer des sensations. Des moments de pur plaisir filmique, instants en apesanteur dans le cours du film, où la musique, les images et les corps des acteurs en mouvement, sont en harmonie. La scène où Yuddi quitte la propriété de sa mère, alors que la caméra le filme au ralenti de dos, tout en le laissant s’éloigner d’elle, avec la musique de Los Indios Tabajaras en contrepoint en est la parfaite illustration. Plus récemment, les scènes d’In the Mood for Love, où Maggie Cheung et Tony Leung se croisent dans l’escalier, filmées au ralenti et accompagnées par le morceau Yumeji’s, en sont une formidable illustration. WKW est fasciné par le mouvement des corps et chorégraphie celui de ses acteurs. Avant de devenir l’actrice qu’elle est désormais, WKW avait jeté son dévolu sur Maggie Cheung car il avait remarqué qu’elle savait "vraiment bouger".

Qui dit mouvement, dit musique. La musique du film est d’origine latino-américaine, avec en particulier le musicien de mambo, Xavier Cugat. Ce dernier a connu son heure de gloire dans les années 50 et 60. Cette musique sert de référence temporelle et sa suavité renforce la sensualité des images.

La structure du film comme toujours chez WKW est plutôt lâche. Interrogé sur ce sujet, WKW fait toujours référence aux livres de son écrivain préféré, le sud-américain Emanuel Puig. Dans ceux-ci, la structure de l’histoire est constituée de blocs, lâchement liés entre eux. Des liens qui font plus appel aux hasards et correspondances qu’à la causalité. Une structure de narration qui correspond bien à la façon de travailler de WKW. Ses films prennent naissance à partir de concepts, avant qu’il ne les développe du tournage au montage. C. Doyle ou Wong Kar-Wai décrivent le processus de création à l’oeuvre comme une "jam session". Le peu d’importance du scénario dans le processus créatif a quelque chose d’ironique, pour celui qui a exercé le métier de scénariste, avant de devenir réalisateur.

Dans de sa structure, NAS représente l’esquisse inachevée de ce qu’il va développer dans ses films suivants. Elle est constituée d’histoires parallèles qui finissent pas s’entrelacer (sic) et qui se font écho. Le film débute sur la relation entre Yuddi et Su Li-zhen, puis se poursuit avec celle entre Yuddi et Lili, alors que Su Li-zhen rencontre le policier joué par Andy Lau. Lorsqu’elle souhaite le revoir, il est déjà trop tard, le policier est devenu marin et a rencontré par hasard Yuddi aux Philippines. Yuddi réalisera également trop tard son attachement à Su Li-zhen... Dans la seconde partie non tournée, les actions de Yuddi dans la première partie devaient influencer la seconde. Cette structure se retrouve dans Les Cendres du Temps, mais avec un nombre plus important de personnages et l’utilisation de flash-back. Ce qui rend alors difficilement compréhensible le film. La structure de Chungking Express en est une version épurée. Chaque récit est séparé, mais traite du même sujet et ne fait intervenir qu’un seul couple. Les deux histoires se font écho par l’intermédiaire des protagonistes, qui apparaissent en arrière plan l’une de l’autre.

Une structure de narration lâche et complexe qui ne facilite pas l’accès à ses films - j’avoue avoir été décontenancé lors de ma première vision de NAS -, mais qui en fait également leur richesse.

Dans une des interviews qu’il a accordées pour Happy Together, WKW nous livre une clé importante pour comprendre ses films en déclarant : "je pense parfois que quand une personne est en paix avec son passé et avec elle-même, c’est le début d’une relation qui peut être heureuse, ou qu’il sera plus ouvert à d’autres possibilités dans le futur avec d’autres personnes". C’est bien là le malheur de Yuddi, qui obnubilé par la recherche de sa mère, rejette l’amour que lui porte Su Li-zhen ou Lili. Il ne s’apercevra que trop tard de son attachement à Su Li-zhen. Le même sort est réservé au personnage également joué par Leslie Cheung dans Les Cendres du Temps. Amoureux de Maggie Cheung, il pense qu’elle va l’attendre pendant qu’il se perfectionne dans l’art du sabre, mais elle va finalement se marier avec son frère. Dans l’impossibilité de surmonter ce "traumatisme", il vit isolé du monde et a fait de la mort son commerce. Cette dimension tragique fait du héros wongien un héros romantique. Même si le pessimisme domine dans les films de Wong Kar-Wai, parfois comme dans la seconde histoire de Chungking Express, le réalisateur laisse entrevoir que le bonheur est possible.

Les personnages de Wong Kar-Wai sont à la recherche de ce qu’ils ont perdu et/ou de qu’ils n’ont peut-être jamais connu. Ils s’aperçoivent souvent trop tard que ce qu’ils cherchaient était à portée de main. Pourtant, ce n’est pas que pas tant ce qui s’est déroulé dans le passé que l’impact de cet évènement sur ses personnages qui l’intéresse. Il préfère le laisser hors champs, hors temps. On retrouve ce procédé dans In the Mood for Love, où la relation adultérine et les conjoints de Maggie Cheung et Tony Leung ne sont jamais montrés. On retrouve ainsi dans NAS, nombre de thèmes qui jalonnent les oeuvres suivantes de WKW : le temps, la solitude, l’amour impossible...

Pour la première fois, on retrouve ensemble trois de ses acteurs fétiches : Maggie Cheung, Leslie Cheung et Tony Leung.

Maggie Cheung est une véritable actrice caméléon. Au naturel, la messe est dite, sa beauté est éclatante. Et pourtant en fonction du type de lumière, de l’angle de la prise de vue, c’est une toute autre femme qui peut se dévoiler, de la femme fatale à la fille d’à côté. C’est ce dernier rôle que lui fait endosser WKW. A la différence du rôle de Carina Lau, tout en exubérance, Maggie Cheung doit exposer sa fragilité. Dans une de ses interviews, WKW révèle qu’elle était jalouse du rôle de Carina Lau avant de comprendre l’intérêt du sien. L’image que je retiens d’elle dans le film, est celle de nuit, où cadré en gros plan, elle discute sous un réverbère avec Andy Lau. Elle est alors semblable à une apparition fantomatique sortie tout droit du théâtre . L’ancienne dauphine de Miss Hong Kong, et faire valoir de Jackie Chan, a depuis largement fait la preuve qu’elle n’est pas seulement un jolie minois. Elle est l’une des rares stars féminines chinoises - avec Gong Li - à pouvoir se flatter d’être reconnue au niveau international pour ses capacités d’actrice et non martiales. Une réussite à laquelle le caractère décidé que l’on devine lors de ses interventions publiques ne doit pas être étranger. A ce sujet, il est assez frappant de constater la différence entre Tony Leung et elle. Le premier, de petite taille et à la voix douce, projette sur l’écran une image plus grande que nature, alors que Maggie, qui a l’air plus retenue à l’écran, dégage une réelle présence naturelle.

Leslie Cheung est parfait dans son rôle de séducteur, avec son coté féminin, mais également de petit dur. Parmi les nombreuses scènes du film qui ont ma faveur, il y en a une qui montre l’intelligence de mise en scène de WKW. Yuddi vient récupérer un bijou de sa tante chez un gigolo et après l’avoir bousculé, se saisit d’un marteau pour le menacer. Au lieu d’un tabassage en règle, il fait exploser la glace et le lavabo de la salle de bain où s’est réfugié le gigolo, effet dissuasif garanti.

Tony Leung n’apparaît qu’à la fin du film, alors qu’il s’apprête à aller jouer aux cartes. Il devait occuper le rôle de l’un des principaux personnages du second volet.

Nos années sauvages et In the Mood for Love.

Le film était sensé se dérouler en deux parties, mais étant donné le four commercial de la première partie, les producteurs ont préféré couper les financements. Dans son projet original, WKW souhaitait raconter l’histoire de deux familles, l’une originaire de Hong Kong et l’autre de Shanghai. Ces deux familles séparées par la langue finissaient ensuite par se connaître. La période traitée par les deux films devait s’étaler entre 1960 et 1967, avant la période de soubresauts que la colonie a connue au début de la révolution culturelle en Chine Populaire. Cette période des années 60 représente un âge d’or et la toute prime jeunesse du réalisateur. WKW a 5 ans quand en 1963, il arrive de Shanghai à Hong Kong avec sa mère. C’est donc une vision fantasmée du Hong Kong des années 60, qu’il nous livre. Le Hong Kong qu’il nous présente est curieusement dépeuplé, loin de l’image que véhicule la colonie. Une période heureuse que l’on peut mettre en parallèle avec les années qui ont précédé 1997, et le retour à Chine. Un retour à la mère patrie qui était alors plein d’incertitudes. Une mère que la jeunesse de Hong Kong n’a jamais connue... Tony Leung, qui apparaît dans les dernières minutes de NAS, devait être dans cette seconde partie, le contrepoint de Leslie Cheung et l’amant de Maggie Cheung. On peut remarquer que sa chambre est aussi petite que l’appartement de Leslie Cheung est grand. Si le personnage joué par Leslie Cheung n’est plus présent dans la seconde partie, les conséquences de ses actions devaient cependant l’influencer.

C’est finalement In the Mood for Love qui se rapproche le plus de cette seconde partie. Comme l’explique WKW, ce film n’en constitue pourtant pas une à proprement parler. Elle est néanmoins sa vision de ce qu’aurait pu être son projet original, mais vu par lui, avec dix ans d’expérience en plus. On y retrouve trois acteurs du précédent film, Maggie Cheung, qui porte d’ailleurs le même nom, Tony Leung, mais également Rebecca Pan. Le film se déroule également dans les années 60, dans les milieux shanghaiens de Hong Kong. Pour la musique, toujours de type sud-américaine, il a fait appel cette fois-ci à Nat King Cole.

Rendez-vous au festival de Cannes, où Wong Kar-Wai pourrait présenter son nouveau film, 2046, dans lequel on devrait retrouver plusieurs acteurs qui ont déjà participé à ses films : Tony Leung, Maggie Cheung, Faye Wong et Carina Lau.

PS : Les citations proviennent de : Positif numéro 410 avril 95, Positif numéro 477 novembre 2000, Cahiers du Cinéma numéro 490 avril 95, Asia Studios, Schlock Magazine.

Nos années sauvages est disponible en DVD HK chez Mega Star.

- Article paru le samedi 1er mars 2003

signé Kizushii

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