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Corée du Sud | Festival du film asiatique de Deauville 2008

Shadows in the Palace

aka Goongnyeo | Corée du Sud | 2007 | Un film de Kim Mee-jeung | Avec Park Jin-hee, Seo Young-hee, Lim Jung-eun, Jun Hae-jin, Yun Sae-ah

Shadows in the Palace se positionne très clairement dans la veine des drames historiques coréens, très populaires depuis l’énorme succès de King and the Clown dont il réutilise les décors. Reconstitution minutieuse et visuellement spectaculaire, costumes léchés, intrigues de cour emmêlées, ce huis clos royal plutôt classique se distingue pourtant de ses prédécesseurs grâce à un ingrédient inédit : la place faite aux femmes. A la tête d’un casting et d’une équipe technique quasi exclusivement féminins, la jeune réalisatrice Kim Mee-jeung fait ses débuts en détournant le genre pour faire de Shadows in the Palace un film sur les femmes, par les femmes. Et ça change tout.

Dans le palais royal de la dynastie Chosun, une suivante est retrouvée pendue. L’infirmière Chun-Ryung pratique une autopsie et soupçonne qu’il s’agit d’un meurtre et non d’un suicide. Contre l’avis de ses supérieures, elle décide de mener l’enquête…

Au-delà de l’intrigue policière plutôt bien ficelée, c’est évidemment la réflexion sur la situation des femmes de cette époque qui interpelle le spectateur. Bien qu’au cœur du palais royal, on navigue tout le film durant auprès des servantes, infirmières, nounous et brodeuses, toutes protagonistes principales d’un film qui va plus loin que le simple thriller. Si le scénario, sobre mais consistant, brouille bien les pistes et propose l’habituel dédale de mystères, c’est bien cette ambiance féminine qui rend le puzzle passionnant. De personnages sans visages, reléguées aux confins de l’Histoire par le faste et la puissance de leurs maîtres et rois, ces suivantes inconnues deviennent les modèles d’un portrait fouillé, intimiste, et surtout très honnête dans les relations que les femmes développent entre elles, teintées de cruauté froide et de compassion. Dépendant de leur caste, elles sont tour à tour victimes ou bourreaux, mais toujours simples pions perdus dans cet espace clos régi par la crainte et, ultimement, par les hommes.

Si l’on aurait pu penser que la description par une femme des arcanes du palais serait tendre et indulgente, on est loin du compte. Kim Mee-jeung assume pleinement le sadisme de l’époque. Certaines scènes de torture sont difficilement soutenables et, bien que s’inscrivant finalement assez naturellement dans l’atmosphère lourde et viciée du film, à mon sens superflues. L’introduction du fantastique dans l’histoire, lieu commun du cinéma coréen, était elle aussi évitable. En dépit d’une remarquable intégration cinématographique, on se sent plutôt pris par l’intrigue elle-même que par les ombres qui se baladent dans le palais.

Jeux de lumières et de contrastes, c’est en substance le parti pris de la réalisatrice qui montre une fois encore tout le savoir-faire coréen en matière d’image et de mise en scène. Elle utilise les caractéristiques très géométriques des bâtiments du palais, chaque angle étant prétexte à des jeux d’ombres, souvent tremblotants à la lueur des torches et des bougies. Les couleurs, vives ou sombres mais jamais tièdes, participent également à ce feu d’artifice visuel qu’est le film, capitalisant sur des décors et des costumes tout à la fois somptueux et fonctionnels. Ils permettent en effet au spectateur d’identifier plus facilement les protagonistes via leur rang ou rôle social. La bande son se fait discrète mais s’accorde parfaitement à l’image. Un challenge au vu du rythme effréné imposé par la réalisatrice et son monteur qui ne fait souffler ni ses personnages, ni ses spectateurs. Les comédiens tiennent la cadence, pourquoi pas nous ?

Premier long-métrage d’une jeune réalisatrice, Shadows in the Palace fait la démonstration d’une impressionnante maîtrise, tant scénaristique que cinématographique. On devrait donc entendre à nouveau parler de Kim Mee-jeung, et c’est largement mérité. On regrettera peut-être l’intervention du surnaturel sur la fin du film. On aurait tout simplement préféré que les « ombres dans le palais » restent ces femmes insignifiantes, oubliées, invisibles pour qui ne réside pas dans une enceinte royale totalement imperméable, comme le montre le très beau plan final.

Shadows in the Palace a été diffusé au cours de la dixième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2008), dans la section Panorama.

- Article paru le mercredi 26 mars 2008

signé David Decloux

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