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Japon

Shikoku

Japon | 1999 | Un film de Shunichi Nagasaki | Avec Yui Natsukawa, Chiaki Kuriyama, Michitaka Tsutsui, Toshie Negishi, Ren Osugi, Makoto Satô, Taro Suwa

Shikoku s’ouvre sur une séquence particulièrement effrayante de spiritisme, au cours de laquelle la jeune Sayuri Hiura, ligotée par sa mère, sert d’ "interface" entre un couple d’adultes et leur fils décédé. La séance semble douloureuse pour Sayuri, momentanément possédée par la volonté du défunt ; lorsque l’entité manifeste la volonté d’être libérée, difficile de savoir si c’est l’esprit ou son hôte qui s’exprime...
Ce talent à communiquer avec l’au-delà est un secret que Sayuri refuse de partager avec ses deux meilleurs amis, le petit Fumiya et la jeune Hinako. A eux trois, ils forment une espèce de triangle amoureux prépubère, aux relations particulièrement intenses. Si Fumiya est au centre de ce triangle, Hinako est par ailleurs anormalement attachée à Sayuri - comme en témoigne sa manifestation de désespoir à l’annonce de son déménagement vers Tokyo. Les relations entre les deux jeunes filles changent pourtant le jour où Hinako surprend Sayuri dans l’une des séances de spiritisme imposées par sa mère...
Hinako quitte le village de l’île de Shikoku, laissant Sayuri seule avec Fumiya. Lorsqu’elle revient sur les lieux de son enfance une vingtaine d’années plus tard, elle apprend que Sayuri est morte noyée. Alors adolescente, elle entretenait une relation amoureuse avec Fumiya - lui aussi désormais revenu au village. Le père de la disparue est dans un lit d’hôpital, inerte depuis une chute en montagne huit ans auparavant, tandis que sa mère accomplit pour la énième fois le pèlerinage des 88 temples de l’île. Dans ce cas-là, qui donc Hinako a-t-elle aperçu à la fenêtre de la maison Hiura ?

Si Shikoku est un film parfaitement original, il ne fait aucun doute que Shunichi Nagasaki a été fortement influencé par la structure de Ring, sorti un an auparavant au Japon. Néanmoins, là où le chef-d’œuvre de Nakata/Suzuki réalise une certaine symbiose entre peurs japonaises séculaires et terreurs cosmopolites modernes, Shikoku s’intéresse uniquement à la tradition japonaise - à l’image de son concept purement linguistique.
Effectivement, comme l’explique le personnage de Fumiya au cours de l’histoire, il est possible d’écrire "Shikoku" à l’aide de deux combinaisons de Kanji différentes. La première, usuelle, signifie littéralement "quatre royaumes", tandis que la seconde signifie "royaume des morts". Le scénario de Shikoku utilise cette manipulation de retranscription comme point de départ, s’appuyant ensuite sur l’histoire religieuse de l’île de Shikoku - l’ "île aux pélerinages" -, pour développer une histoire magnifique d’amour au-delà de la mort.

Ce n’est pas par hasard que j’ai cité le Ring de Hideo Nakata comme élément de comparaison, même si l’on aurait un peu trop tendance aujourd’hui à se servir de ce film comme "mètre-étalon horrifique". A l’image de l’histoire de Sadako Yamamura, les manifestations surnaturelles de Shikoku interviennent par le biais d’une rupture d’un certain mode de fonctionnement. Si dans Ring il s’agissait de la propagation du message post-mortem de Sadako - imprimé sur bande magnétique - interrompue par l’effacement d’une partie cruciale des informations de reproduction, le medium ici perverti est celui du pèlerinage. Les 88 temples de l’île de Shikoku se visitent en effet en suivant une série de boucles concentriques, dans un sens donné ; l’acte de pèlerinage symbolise une matérialisation de cette boucle, destinée à séparer le monde des morts, de celui des vivants. Que se passerait-il si le trajet mystique était effectué en sens inverse ? C’est là la rupture "religieuse" imaginée par Shikoku.

Le film de Shunichi Nagasaki s’appuie donc sur ce concept fascinant pour donner libre cours à la passion d’outre-tombe de Sayuri pour le personnage de Fumiya. Si son aspect visuel est celui, traditionnel, des yokai nippons, et par conséquent proche de celui de Sadako, seuls la robe blanche, les longs cheveux noirs et certaines postures sont ici conservés. Contrairement à Sadako, Sayuri emprunte ses traits à la charmante Chiaki Kuriyama (Toire no Hanako-san, Ju-On, MPD Psycho, Battle Royale). Son caractère effrayant - passionnant car développé à partir d’une insistance éprouvante et non d’effets de surprises - provient donc avant tout de la réalisation exemplaire de Nagasaki. Mélange habile de plans à la grue et de caméra à l’épaule, sa mise en scène navigue entre l’hésitation/la panique d’un point de vue "porté" et l’omniscience des déplacements en plongée. Ces derniers sont d’ailleurs utilisés à bon escient pour "perdre" le personnage de Hinako au milieu d’une communauté dont elle ne fait plus partie, ou de la nature verdoyante de l’île de Shikoku.

Par ailleurs, les ressemblances avec Ring ne s’arrêtent pas à ces deux aspects (fonctionnement et entité "maléfique" similaires), puisque le rythme de l’enquête de Hinako et Fumiya est identique à celle menée par Reiko Asakawa et Ryuji Takayama, et qu’il est aussi question - à un certain degré - d’implication progressive, indissociable de leur progression.

Habilement effrayant - par le biais notamment d’apparitions "hors-trame", fugitives - Shikoku jouit de plus des prestations de ses acteurs et actrices, et plus particulièrement de Yui Natsukawa (Hinako), que l’on a déjà pu apprécier devant les caméras de Takashi Ishii (Seule dans la nuit, Gonin 2) et Hirokazu Koreeda (Distance). La séquence où son personnage apprend le décès de Sayuki est à ce titre étonnante de retenue et d’authenticité.

A la fois terrifiant et touchant, habité d’une nostalgie qui est à la fois celle des hommes, de la nature et de certaines traditions, Shikoku est un film d’horreur conceptuel et superbe, largement du niveau du film auquel il était rattaché lors de sa sortie en salles (Ring 2). Il serait par conséquent peut-être bon de lui rendre la place qui lui revient au panthéon des films d’épouvante asiatique, et non de le classer dans les nombreuses dérives plus ou moins dignes d’intérêt qui ont suivi la réussite de Monsieur Nakata.

Dispo en DVD au Japon chez Kadokawa, sans sous-titres, avec copie anamorphique et piste son en 5.1 ; ou alors en VCD HK chez Universe sous-titré anglais, mais la copie est très moyenne...

- Article paru le mardi 17 décembre 2002

signé Akatomy

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