Solo, Solitude
1996 en Indonésie : un parti fondé illégalement, le Parti démocratique du peuple, est accusé par le gouvernement Suharto d’être à l’origine d’une émeute. Il ne s’agit que d’un prétexte du dictateur pour arrêter les membres de certaines organisations qui luttent pour l’établissement de la démocratie dans le pays. Le poète Wiji Thukul est membre de ce parti, et il part se réfugier à la campagne afin d’éviter de subir le même sort que ses camarades. Nous le suivons dans sa vie de tous les jours, passant d’une planque à une autre chez des amis. Pendant ce temps, sa femme et ses enfants sont surveillés et harcelés par les sbires du gouvernement.
Mes rares rencontres avec le cinéma indonésien - hormis les films d’arts martiaux, genre qui répond à des critères communs quel que soit le pays d’origine - me laissent assez perplexes. Non pas que les films soient mauvais - ce qui n’est pas le cas ici - mais j’ai l’impression que certaines clés me font défaut afin de pouvoir pleinement les apprécier.
Pour son deuxième long-métrage, Anggi Noen Yosep centre sa biographie du poète sur ses quelques mois d’exil intérieur, jusqu’au moment où il revient chez lui pour la première fois. Une biographie filmée, bien éloignée de ce que le cinéma nous propose traditionnellement. Le réalisateur a construit Solo, Solitude dans un refus total de la dramatisation.
Lorsque sa femme le retrouve pour la première fois en secret dans un hôtel, le récit des humiliations dont elle et ses enfants ont fait l’objet se fait par le biais d’une voix off ; la sienne alors qu’elle est assise impassible sur un lit pendant qu’il prend sa douche. S’agit-il seulement d’un monologue intérieur ou le lui a-t-elle dit ? Le mystère demeure. Un autre réalisateur les aurait installés face à face, le récit alimentant les émotions des deux personnages.
Si la tension existe lors de sa cavale, elle n’est jamais mise en avant. Elle n’éclate qu’une seule fois : la femme bat comme plâtre un voisin qui fait courir de faux bruits sur sa moralité.
Le cinéaste utilise la même retenue dans sa dénonciation - le mot semble trop fort étant donné la manière dont le metteur en scène l’évoque – de la répression. Le pouvoir de l’armée est montré dans une scène chez un coiffeur où un officier passe avant tout le monde, s’enorgueillit de ne pas avoir à payer et révèle sans aucun scrupule et gêne avoir massacré des gangsters. Pendant ce temps là, le poète assis sur son banc se fait le plus petit possible pour ne pas se faire remarquer. Il reste silencieux, à l’image d’une population vivant dans la peur du pouvoir. Une très belle séquence qui en dit beaucoup sans démonstration.
Mais la majorité du film montre la réalité de la retraite intérieure du poète dans ce qu’elle a de plus prosaïque : les changements de logements, les discussions politiques avec ses hôtes, la solitude, l’ennui, la poursuite son œuvre... L’expression française, se mettre au vert, par ce qu’elle évoque de calme et d’isolement, semble avoir été inventée pour décrire Solo, Solitude, film délicat dans sa mise en scène et plastiquement réussi.
Solo, Solitude a été présenté en compétition officielle lors de la 38ème édition du Festival des 3 continents (Nantes, 2016).