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Japon

Tabou

aka Gohatto | Japon - 2000 | Un film de Nagisa Oshima | Avec Ryuhei Matsuda, Tadanobu Asano, Takeshi Kitano

Passé quasiment inaperçu l’année dernière malgré une sélection officielle au Festival de Cannes, Tabou représente pourtant parfaitement ce qu’est aujourd’hui le cinéma japonais. A l’image du pays, qui oscille entre tradition et modernisme, le film mélange contexte historique et problèmes contemporains. Dans le Japon des Samouraïs et des milices du XIXème siècle, sur fond de lutte de pouvoir entre shoguns et empereurs, les questions de l’homosexualité, de la séduction et du désir sont évoquées avec finesse et brio. L’arrivée d’un jeune guerrier androgyne au camp d’entraînement d’une milice est l’élément déclencheur des passions, des intrigues et des meurtres.

En partant du principe maintes fois appliqué du "loup dans la bergerie", Oshima réussit à nous faire vivre la diversité des réactions des personnages et donc à aborder l’ensemble des thèmes qui lui sont chers : séduction, érotisme, amour, mais aussi trahison, mensonge et folie meurtrière. Car c’est effectivement cette multitude de points de vue, cette diversité de personnages qui fait la force du film. Aucun jugement n’est porté sur leurs motivations, ce qui permet au spectateur de se faire lui-même sa propre idée. C’est un narrateur extérieur qui semble nous raconter l’histoire, avec un minimum d’interventions. Profitant d’interludes rappelant les vieux films muets, il nous offre les informations objectives nécessaires à la bonne compréhension de l’histoire et permet ainsi de nombreux raccourcis narratifs. De la même manière, on sent sa présence lors de certains flash-back ou plans de coupe qui sont ajoutés pour confirmer une opinion ou rafraîchir la mémoire du spectateur. Le plus souvent, ces interventions brisent le côté dramatique de l’histoire par une réflexion comique. En un sens, le narrateur brise les tabous en les tournant en dérision. Un narrateur qui semble très proche (est-ce lui ?) du personnage joué par le grand Beat Takeshi Kitano qui, profitant de son statut omniscient de capitaine de la milice, traverse le film comme observateur. Sans jamais prendre réellement part à l’action, il distille pourtant des indices, ses réflexions, et semble le seul à voir les personnages tels qu’on les imagine. Il devient rapidement notre reflet sur l’écran, ce qui permet une implication encore plus importante du spectateur à l’histoire.

Ce choix narratif permet aussi de rythmer le film. La personne qui raconte va droit au but. Si l’histoire s’inscrit dans la durée, le film lui ne s’attache qu’à la réaction de ses protagonistes à un instant donné, en réponse à une situation bien précise. D’où une succession de scènes fortes, sans temps mort (le film dure à peine plus d’une heure et demi) avec en lien ces écrans textuels, réflexions et informations données par un narrateur ironique mais impartial. Ce rythme rapide offre en outre au spectateur la possibilité de se faire sa propre opinion sur les sujets traités. En effet, de nombreuses motivations sont juste esquissées et des zones d’ombres subsistent (telle la fin, très ouverte) qui n’attendent qu’une interprétation personnelle.

Car ce qui frappe avant tout dans ce film est l’absence quasi-totale de jugement. Homosexualité, désir, tout y est abordé avec une grande pudeur (il est fait référence à l’homosexualité comme un "penchant") sans connotation vraiment négative. Même le meurtre ne bénéficie pas d’une condamnation définitive, en particulier lors du final, assez immoral. C’est d’ailleurs peut-être cette absence de jugement qui dérange et nous force à nous interroger. Le film prend pourtant des allures de thriller quasi académique (meurtre en lieu clos, suspicion, présence de l’inspecteur et musique magnifique mais entêtante), même si sa résolution passe au second plan.

Au premier plan justement, il faut signaler l’extraordinaire beauté du film. Rien n’est laissé au hasard, un soin extrême est apporté aux décors, aux maquillages. On se retrouve plongé avec bonheur dans un Japon surréaliste, aux teintes pastels et colorées, illuminé par une ribambelle de lampions et une lune pâle. L’acteur principal, Ryuhei Matsuda, dégage en permanence une sensualité et un érotisme qui justifie, aux yeux du spectateur, les réactions à l’intérieur de la milice. Plus encore, son absence d’expression (excepté un maigre sourire de temps en temps sur un visage d’une pâleur mortelle), est inquiétante et contribue à donner au personnage une réelle épaisseur dramatique qui trouve son apogée lors de la conclusion du film, très ouverte. Celle-ci, située dans un jardin idyllique à la nuit tombée, constitue certainement les dix plus belles minutes qu’il m’ait été donné de voir au cinéma. Extraordinaire final, pour un film visuellement époustouflant et dont on ressort avec des images et des questions plein la tête.

3 éditions du film sont disponibles en DVD.
La première nous vient de Hong Kong et contient le minimum syndical. Une piste son en Dolby Surround 2.0, le chapitrage, des filmographies et un synopsis. Apparemment l’image souffre de la présence de grains sur certaines scènes. Seul intérêt, elle est zone ALL...
La deuxième édition, partie intégrante de la toute nouvelle collection Auteurs de Studio Canal est magnifique. L’image, anamorphique, se base sur un master presque exempt de tout défaut. Les pistes sonores, française et japonaise sont en 5.1 Dolby Digital et contribuent grandement, grâce aux basses puissantes et un effet enveloppant, à l’atmosphère parfois étouffante du film. Côté bonus, on trouve des filmographies, deux bandes annonces (V.O st et V.F), un documentaire sur le tournage (ambiance du plateau, dernière jour,...) et des interviews totalement inintéressants des différents intervenants (compositeur, acteurs,...). Le point fort du DVD restant, et c’est le plus important, l’excellente qualité de la copie, visuelle et sonore.
La troisième vient du Japon et est bien évidemment magnifique (n’est-ce pas, Kuro et Takeuchi ?) - mais la différence de prix avec le zone 2 français est loin d’être justifiée, pour une fois...

- Article paru le mardi 12 juin 2001

signé David Decloux

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