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Japon | Hors-Asie

Takeshi Kitano, l’imprévisible

aka Kitano Takeshi Shinshutsu-Kibotsu | France / Japon | 1999 | Un film de Jean-Pierre Limosin | Avec Takeshi Kitano, Shiguehiko Hasumi

« Le titre secondaire de cet épisode de la série Cinéma, de notre temps est constitué de quatre caractères chinois (shin-shutsu-ki-botsu) qui signifient "quelqu’un qui sème la confusion chez les dieux et les diables, quand l’un apparaît l’autre disparaît". Nous l’avons plus prosaïquement traduit par l’imprévisible. Imprévisible, toujours plus surprenante est la caractéristique première du cinéaste Takeshi Kitano » - Jean-Pierre Limosin

Comique, auteur, chroniqueur, acteur, réalisateur, peintre... pour beaucoup de gens, le magma d’idées et de sentiments, que représente autant qu’il inspire Takeshi Kitano, est une véritable énigme. En 1999, le réalisateur Jean-Pierre Limosin, avec qui Kitano avait travaillé en tant qu’acteur pour son merveilleux Tokyo Eyes l’année précédente, se décide à percer une partie de ce mystère. Le temps d’une interview morcelée autour des activités qui rythment une journée type de l’homme orchestre, Limosin fait appel à Shiguehiko Hasumi, philosophe-auteur et Directeur de l’Université de Tokyo, pour interroger Takeshi Kitano.

La majeure partie de l’interview, menée par Hasumi mais dans laquelle le réalisateur français intervient de temps en temps, bien que toujours hors-champ, tourne autour de la dualité de Taleshi Kitano ; comme le prouve la première question du Directeur, autour du nom de Takeshi. Doit-il l’appeler Beat ou Kitano ? Comment se répartissent ces deux aspects de sa personnalité ? Kitano semble en premier lieu attribuer le premier à ses activités face à la caméra, tandis que le deuxième convient à son travail à l’extérieur du cadre, de l’écriture à la réalisation. Hasumi souligne que pourtant, au générique de Tokyo Eyes, ce n’est pas Beat mais bien Kitano qui est crédité ; intervient alors la notion supplémentaire de « sérieux », qui prouve bien que Takeshi ne sait pas lui-même comment ces deux personnalités interviennent.

La vérité bien entendu, est que ces deux facettes sont complémentaires. Il n’y en a pas une bonne et une mauvaise, car Kitano est lui même ange et démon, bon et méchant, tendre et violent. Au travers de questions simples et incroyablement englobantes, Shiguehiko Hasumi guide Kitano au long de sa carrière en tant que réalisateur, mais parvient aussi à aborder son enfance, ses influences, ses aspirations et ses craintes. Au cœur du débat bien entendu, celui qui a toujours fait rage autour des films du réalisateur en Occident : son portrait de la violence. Jamais complaisante, celle-ci nait en effet d’une peur qui s’est construite en lui étant plus jeune, et qui s’est transformée, au fil des années, en fascination. Son utilisation est caractéristique de la dualité de Kitano en ce qu’elle est nécessaire, s’il souhaite pouvoir lui opposer dans une mesure identique, une quelconque tendresse.

Ces démonstrations de tendresse toujours indissociables de fulgurances ultra-violentes, sont toujours maladroites dans les films de Kitano. Ainsi que le souligne Hasumi, l’amour dans ceux-ci a « toujours un défaut, une insuffisance ». La réponse du réalisateur, sur la nécessité, pour construire un récit, de noyauter les relations amoureuses par le biais d’un handicap ou de la maladie, en l’absence de traumatismes sociaux au Japon à l’image de la guerre du Vietnam pour le cinéma américain, anticipe son implication quelques années plus tard, dans sa relecture du sublime Zatoichi. Rétroactivement et si cela était vraiment nécessaire, on mesure encore plus la réussite de ce film populaire, à la croisée du cinéma d’auteur et du cinéma commercial, mais surtout de toutes les volontés de Kitano : son « démon comique » y cotoie un certain respect pour les traditions japonaises, son personnage et sa physionomie y sont tournés en dérision, son handicap est source de violence et de tendresse dans une même mesure. Il apparaît étonnant de constater au final, à quel point le personnage du sabreur aveugle colle au portrait de Kitano qui nous est offert ici.

Beaucoup d’autres aspects de Takeshi Kitano sont abordés au cour de cette rencontre en plusieurs parties, qui se déroule tour à tour dans le bureau de Hasumi, dans un studio de télé, dans l’auditorium où Kitano vérifie le montage son de L’Eté de Kikujiro - alors en cours de finition - ou dans l’immeuble d’une chaîne de radio. Il convient de vous laisser les découvrir, car tous donnent envie, et ce d’autant plus qu’ils sont illustrés par des morceaux de choix de sa filmographie en tant que réalisateur, de se replonger dans l’univers de Kitano. Je soulignerais juste un dernier point, afin de souligner la réussite que représente ce témoignage pudique apporté par Jean-Pierre Limosin. Kitano caresse en effet l’idéal, d’un film tellement épuré qu’il serait articulé autour d’une dizaine de diapositives. L’interview menée par le Directeur de l’Université de Tokyo ressemble à cette volonté, car ses questions, courtes et précises, sont tellement bien pensées, qu’elles débouchent sur un portrait complet de l’homme Kitano, avec une économie de mots époustouflante. Un documentaire réussi se doit d’être à l’image de son sujet ; et celui-ci l’est, parfaitement.

Lire aussi :
- l’article d’Aka6T sur L’Eté de Kikujiro
- l’article d’Aka6T sur Dolls
- l’article de Zeni sur Zatoichi

Takeshi Kitano, l’imprévisible est disponible en DVD chez mk2 éditions depuis le 11 mai dernier, dans la collection « Cinéma, de notre temps ». Le documentaire (68’), tourné en 16 :9, est présenté au format 4 :3 mais la copie est suffisamment propre pour que cela ne constitue pas un défaut. En guise de suppléments, la bande-annonce de la collection dirigé par Janine Bazin et André S. Labarthe (4’26’’), avec des images des films HHH, Portrait de Hou Hsiao-Hsien, Abel Ferrara, Not Guilty, Takeshi Kitano, l’imprévisible, Catherine & Co., Oliveira l’architecte, Eric Rohmer, preuves à l’appui, Shohei Imamura, le libre penseur, Abbas Kiarostami et Aki Kaurismäki. (Remerciements à Alexandre Jalbert.)

- Article paru le mardi 31 mai 2005

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