Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Singapour | Festival du film asiatique de Deauville 2003

Talking Cock

Singapour | 2001 | Un film de Colin Goh & Joyceln Yen Yen Woo | Avec Tan Cheng Han, Ronald Leo, Ellen Ji Huan, K.S. Segar, K. Latha, Jeff Singh, Rauzan bin Rahman, Mohamad Leoaidil, Yuhan, Faizal, Johan Azman, Ranall Lee

Il n’est pas nécessaire que je vous fasse un dessin, n’est-ce pas ? A votre avis, qu’est-ce qu’un décérébré comme moi pouvait bien attendre d’un film intitulé Talking Cock ? Ne me dites pas que vous n’aviez pas pensé, vous aussi, trouver ici le récit des aventures d’un pénis doté de parole (hein Céline ?!) - un remake asiatique du tristement célèbre Ich und Er de Doris Dörrie (1987) avec Griffin Dunne, par exemple... Non ? Bon ben tant pis, ça doit venir de moi alors !
Passée cette première déception (qui n’est pas à mon honneur, je vous l’accorde), que reste-t-il de nos amours - je veux dire, de Talking Cock qui puisse justifier que, même si vous ne pouvez en témoigner, j’ai le sourire jusqu’aux oreilles en écrivant ces quelques lignes ? Comment devient-on un voyou diplômé ? Pourquoi le Turbanator veut-il me pincer les tétons ? Pourquoi le chewing-gum est-il interdit à Singapour ? Enfin, comment Colin Goh peut-il être à la fois l’homme le plus sympathique et le plus ignoré de l’édition 2003 du festival du film asiatique de Deauville ?

Talking Cock : A local Singaporean term meaning either to talk nonsense or to engage in idle banter.

A l’origine de Talking Cock le film, il y a Talking Cock le site - ni plus ni moins que le site humoristique le plus populaire de Singapour. Si l’on en croit les paroles éclairées du co-réalisateur / webmaster de l’ensemble - le vénérable (et désormais vénéré) Colin Goh - le .com a été conçu dans l’objectif de refléter la réalité, linguistique et culturelle, de la population pour le moins hybride de Singapour. Comme il n’est pas évident de tirer un scénario consistant d’un site internet, vous en conviendrez, c’est cette même approche qui a été retenue pour construire le fil directeur d’un délire numérique pour le moins anarchique.

Talking Cock the Movie démarre avec une reconstitution de la naissance de Singapour ; deux colonialistes british découvrent un terrain marécageux et malodorant qu’ils veulent acquérir mais ne savent comment nommer ; ce sont alors les cris d’une indigène déclarant qu’on lui a volé ses vêtements qui donnent son nom à Singapour...
Cette introduction, excellente, résume parfaitement l’orientation comique du film qui se construit rapidement sous nos yeux : déjà, l’humour naît d’une confrontation culturelle, et plus précisément d’une méprise linguistique, qui confère au nom du pays lui-même un statut hautement symbolique.

La suite des réjouissances est véritablement saisissante : pendant près de trois quarts d’heure, le réalisateur enchaîne non-stop les sketches en "singlish" - dialecte local qui mélange la langue de chaque interlocuteur à l’anglais. Certains jeux de mots sont difficiles à saisir, mais les ressorts comiques de Talking Cock deviennent rapidement évidents : Singapour étant un véritable carrefour entre les chinois, les malaisiens, les indiens et j’en passe, c’est du télescopage de leurs cultures que va naître le rire. Ainsi la quête d’un homme pour son téléphone portable va-t-elle se transformer en authentique spectacle bollywoodien, ou Colin Goh et sa femme Joyceln Yen Yen Woo offrent à la population Sikh une revanche de choix sur une blague locale, en la personne du Turbanator.
Les saynètes sont habilement reliées entre elles par un jeu de croisement qui rappelle - en plus potache - les narrations chères à Robert Altman mais aussi John Sayles (je pense notamment au merveilleux City of Hope) ; servent ainsi de lieux de transitions les déambulations d’un ivrogne-poète, les exploits d’un alpiniste reconverti dans l’escalade de parkings multi-étages, ou encore la poursuite entre un vieux pervers et une jeune femme aux aisselles pour le moins pileuses (laquelle demoiselle prépare soi-disant un remake du "film le plus célèbre de Brigitte Lin, The Bride with White Hair", si l’on en croit le générique de fin ;-).
Un trait culturel commun à toutes les cultures abordées par Talking Cock sert par ailleurs de point de repère dans l’univers bon enfant développé par les réalisateurs : la propension des asiatiques à appeler toute femme mûre "Auntie". Une idée judicieuse de conspiration d’Aunties (au travers de la corporation "Auntie, Auntie"), qui donne au film certains de ses moments les plus drôles.

Au cours de sa première moitié, Talking Cock multiplie à un rythme effréné les morceaux de bravoure ; on retiendra notamment "Hoot U", ce merveilleux concept d’école de gangsters, où s’enchaînent cours de provocation, d’attitude yakuza et de gestion de "Red Light Districts". La seconde partie néanmoins est très différente, puisqu’elle se compose de deux sketches beaucoup plus longs : une histoire d’amour parodique qui se termine au tribunal, et la transformation (prévisible) d’un groupe de thrash en boys band pathétique. Pour le spectateur occidental, ce ralentissement provoque une certaine perte d’intérêt, et pour cause... Après discussion avec Colin Goh, il apparaît que ce dernier sketch notamment joue le rôle d’hommage aux acteurs malaisiens sous-employés, ainsi qu’à leur dialecte si particulier. Etant donné que ces considérations culturelles nous sont malheureusement inaccessibles, ces deux sketches trop longs et convenus font quelque peu baisser à nos yeux le niveau de Talking Cock...

Reste que cette heure et demie de parodie remplit plusieurs objectifs, qui auraient dû attirer un peu plus l’attention des spectateurs et membres du jury du cru 2003 de Deauville. Déjà, Talking Cock était, avec Saving my Hubby, le seul film "adulte" véritablement comique de toute la sélection. Ensuite et surtout, avec son mélange de cultures, certes parodique mais en réalité infiniment respectueux, Talking Cock est certainement le film programmé qui remplissait le plus le cahier des charges de l’échange culturel et du "pan-asiatisme". Maintenant, il apparaît que nous sommes les seuls à nous être intéressés au cas Colin Goh ; pour vous rendre compte de la richesse de la rencontre, qui nous a permis de juger Talking Cock à sa juste valeur, je ne saurais que trop vous conseiller d’aller jeter un œil à notre entretien avec le personnage... en attendant bien sûr, que "Sancho does Asia le film" se concrétise !!!

N’oubliez pas d’aller faire un tour sur www.talkingcock.com, mais aussi sur www.colingoh.com !!!

Talking Cock est disponible en VCD et DVD, oui messieurs-dames !!!
Si vous ne me croyez pas, vous n’avez qu’à cliquer sur la bannière ci-dessus !

- Article paru le jeudi 20 mars 2003

signé Akatomy

Tadjikistan

Luna Papa

Singapour

Colin Goh

Hong Kong

Missing

Hors-Asie

P2

Corée du Sud

Sorum

Corée du Sud

Eye for an Eye

articles récents

Japon

Dernier caprice

Japon

Fleur pâle

Japon

Godzilla Minus One

Japon

Tuer

Japon

L’Innocence

Japon

Récit d’un propriétaire