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Hors-Asie

The Tracey Fragments

Canada | 2007 | Un film de Bruce McDonald | Avec Ellen Page, Maxwell McCabe-Lokos, Ari Cohen, Erin McMurtry, Zie Souwand

Fragments are what make us whole.

Alors que je finissais de regarder The Tracey Fragments, je me suis surpris à repenser à plusieurs séances, anodines et pourtant clés, de ma cinéphilie. Ma première rencontre avec Hal Hartley au travers de The Unbelievable Truth, la découverte de Suture de Scott McGehee et David Siegel, celle du Last Night de Don McKellar, ou encore d’Atom Egoyan avec The Adjuster. Des films indépendants, qui font beaucoup de peu de choses, assument avec conviction des postures que certains qualifieraient d’auteurisantes, forts d’une inventivité, d’un enthousiasme, restreints mais appliqués... Au fil des années, contraintes de temps et d’occupations obligent – ou du moins justifient -, je me suis recentré sur les films de genre et sur un flagrant favoritisme asiatique, perdant de vue ce « petit » cinéma, essentiel. Alors qu’elle déambule en silence dans les derniers instants du film de Bruce McDonald, vêtue d’un rideau de douche, Ellen Page m’invite à mettre un terme à cet éloignement irréfléchi.

Il est difficile de conjurer un titre plus approprié que les fragments de Tracey, pour englober ce portrait éclaté d’une adolescente de 15 ans, en guerre avec sa famille et le monde en général, parcourant les rues d’une ville anonyme à la recherche de son petit frère disparu (et qui, étrangement, se comportait comme un chien depuis que Tracey déclarait l’avoir hypnotisé). Non content de privilégier une liberté de pensée – celle de son héroïne – qui fragmente la temporalité du métrage, Bruce McDonald s’est appliqué à la retranscrire avec un usage permanent de l’écran partagé. L’image est ainsi sans cesse multiple autour de Tracey Berkowitz : certains fragments la considèrent sous des angles différents, d’aucuns anticipent légèrement ou rejouent une situation, tandis que d’autres encore embrassent son environnement ou se concentrent sur son entourage, ou même une idée, un fantasme connexe, courts-circuits cérébraux de l’héroïne.

En évitant la structuration d’un partage homogène, lieu d’un simple parallélisme ou complément narratif, McDonald construit une représentation étonnamment précise et protéiforme de la pensée adolescente, consciente et inconsciente. Lorsque l’image centrale se concentre sur Tracey, ravie du collier que lui a offert son frère, alors que toutes les vignettes alentours montrent le petit garçon se faire houspiller par son père, et la mère errer en marge de tout, le réalisateur capte le vide qu’effectue l’héroïne, sur tout ce qui parasite son contentement. Lorsqu’au contraire les vignettes s’attardent sur des détails de son environnement direct, McDonald donne à voir son attention, sur les choses comme sur les personnes. La mise en scène construit ainsi Tracey autour de la perception, ou de son absence justement, qu’elle a d’elle-même et des évènements, retranscrit son énervement, son anticipation et sa nervosité ; ou encore son abandon dans la découverte de la sexualité, à la fois paroxysme et clé de ce kaléidoscope.

Pendant que Tracey offre sa virginité à un salaud idéalisé, elle oublie son petit frère que l’on ne reverra plus. Cohérent dans sa fragmentation centrée sur l’adolescente, McDonald ne s’intéresse alors pas plus à l’enfant que Tracey, immergée dans l’acte sexuel. Et suggère ainsi que la perte de l’innocence marque aussi la fin de l’enfance, sa disparition. C’est en prenant conscience de cette réalité, malheureusement funeste, que Tracey, perdue, se retrouve, que ses fragments s’assemblent pour donner une image unique et intègre, enfin dénuée de parasites. L’espace d’une conclusion silencieuse, Ellen Page - méta-adolescente qui devrait à mon sens servir de modèle à toutes les filles du monde -, sereine en dépit de l’épreuve qu’elle vient de vivre, ne se disperse plus, ne fait plus d’associations d’idées, ne cherche plus sa place. Et si The Tracey Fragments n’est pas un film joyeux, il m’a tout de même permis d’avoir le sourire pendant toute une journée. Car à travers lui, et sa propension à encourager un visionnage à la fois attentif et ouvert aux escapades, réfléchies ou non, j’ai reconnu mon amour non seulement du cinéma, mais surtout des films qui partagent cette indéfectible affection, au-delà de toute considération commerciale.

The Tracey Fragments, inédit chez nous, est disponible en DVD aux USA et en Angleterre.

- Article paru le jeudi 14 octobre 2010

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