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Hong Kong | Festival des 3 Continents 2012

Throw Down

Hong Kong | 2004 | Un film de Johnnie To Kei-Fung | Avec Louis Koo Tin-Lok, Aaron Kwok Fu-Sing, Cherrie Ying Choi-Yi, Tony Leung Ka-Fai, Lo Hoi-Pang, Eddie Cheng Siu-Fai, Choi Yat-Chi, Jordan Chan Siu-Chun

2004 est un peu l’année des hommages aux grands noms du cinema japonais. Alors que vient de sortir sur nos écrans le Café Lumière de Hou Hsiao-Hsien, réalisé pour le centenaire de la naissance de Yasujiro Ozu, Johnnie To présentait il y a quelques mois à Venise son Throw Down, qui se veut un hommage à la mémoire d’Akira Kurosawa. Les méthodes utilisées par les deux réalisateurs pour saluer ces deux figures historiques sont toutefois très différentes : alors que Hou a véritablement réalisé un shomin-geki moderne, rémanence de l’attention d’Ozu pour le quotidien de ses contemporains, l’œuvre de To est à la fois plus référentielle et plus personnelle, parente des récits de Kurosawa dans son fond tout en en étant très éloignée dans sa forme. Un mélange iconoclaste comme seul le réalisateur de Running on Karma semble aujourd’hui savoir les imaginer - et surtout les mettre en images.

Tony (Aaron Kwok) arrive dans les rues de Hong Kong, avec pour seuls bagages un sac à dos et son goût pour la bagarre. Pour le moins doué en Judo, Tony s’amuse à défier les videurs et autres combattants auto-proclamés qui croisent son chemin ; un chemin dont le seul objectif est un combat de judo contre Sze-To (Louis Koo). Judoka légendaire, Sze-To est aujourd’hui l’ombre, non seulement de lui-même mais aussi d’un homme respectable. Ivrogne patenté mais gestionnaire lamentable (cela va sans doute de pair), Sze-To emmène le club de son boss à la dérive, et passe son temps à dérober de l’argent à des mafieux pour le dépenser au jeu, dans l’espoir de gagner de quoi éponger ses dettes. Tony est pour le moins déçu, mais choisit de rester au « After Hours Lounge Bar », en tant que saxophoniste, jusqu’à ce que Sze-To se décide à l’affronter. A leurs côtés Mona, une jeune femme sans domicile qui caresse des rêves de gloire, tantôt à Taïwan, tantôt à Hong Kong ou encore au Japon, et qui souhaite travailler dans le club en tant que chanteuse. Alors que Tony et Mona s’attachent plus que jamais à leurs volontés, Sze-To refuse de jouer leur jeu et sombre toujours plus profondément dans l’inertie, au désespoir de ses amis, de ses ennemis, et de son ancien maître...

« Je suis Sugata Sanshiro, tu es Higaki. »

Avant de le comparer au cinéma de Kurosawa, il convient de resituer Throw Down dans la carrière de Johnnie To lui-même. A mille lieux des polars pour lesquels il s’est rendu célèbre, seul ou accompagné de Wai Ka-Fai, Throw Down va de paire avec un autre ovni, hautement sousestimé, de l’écurie Milkyway - j’ai nommé : Running Out of Time 2 (ROOT 2). Throw Down partage en effet avec le poème surréaliste/communiste avec Lau Ching-Wan et Ekin Cheng, une même passion pour les différentes forces de vie (la chance, la poursuite, l’espoir, la volonté), et surtout le même mépris des schémas narratifs traditionnels. S’il y a bien un semblant d’objectif narratif identifiable dans les deux films, leur rythme va à l’encontre de tout schéma connu, s’offrant disproportions et anti-climax à foisons, autant que de scènes d’action qui, par le biais de la mise en scène ou de l’action elle-même, n’en sont pas vraiment. Ainsi, Throw Down s’amuse-t-il à désacraliser, avec force poésie, la quasi-totalité des scènes de combat du film, préférant accentuer les échanges entre les trois protagonistes principaux jusqu’à en faire les composantes d’une joute sans merci. A ce titre, le dialogue croisé autour de trois tables dans le club, qui se termine en ballet/combat de judo, est absolument merveilleux ; mais l’action n’est pas tant dans le splendide combat qui le conclut, que dans l’enchevêtrement verbal et visuel qui nous y a conduit. De la même façon, le cadre de To est-il parfaitement exacerbé du point de vue de la mise au point et des éclairages, créant des affrontements entre les personnages alors qu’ils sont tous parfaitement immobiles.

Une fois cette technique narrative appréhendée, le rythme de Throw Down apparaît comme logique, et son traitement de la destinée de Sze-To parfaitement équilibré alors qu’il pourrait sembler bâclé. L’essentiel de l’action n’étant pas condensé dans le combat final du film, mais bien dans le chemin, presque hors-champ, effectué par Sze-To aux contacts de Tony et Mina. Le reste n’est que conséquence, comme l’illustre le transfert de « héros » des dernières séquences du film, Tony devenant réellement l’accessoire qu’il aurait toujours dû être - qu’il voulait d’ailleurs être depuis le début. Sze-To s’illustre ainsi en héros sans en avoir le curriculum ; un aspect qui accentue son côté légendaire, et contribue à faire de Throw Down un film presque surnaturel.

Et tout au long de ce bijou de réalisation, l’ombre de Kurosawa plane. De façon explicite dans cette unique phrase prononcée par le fils simplet du maître de Sze-To - « Je suis Sugata Sanshiro, tu es Higaki. » -, ou encore dans les deux séquences, d’entraînement et de combat dans les hautes herbes, qui ouvrent et concluent respectivement le film. On pense aussi à Barberousse lorsque Kong (Tony Leung), démet les épaules d’une floppée de mafieux et autres combattants, en n’utilisant qu’un seul et même geste. D’autres références sont plus subtiles, comme cette chaussure perdue par Sze-To - au cours d’une poursuite remarquable qui n’est pas sans rappeler le moment de grâce au début de Running on Karma - et que Mina tente de lui remettre. Voulue comme une référence à La légende du grand judo par Johnnie To, cette scène marque d’une certaine façon pour Sze-To, sa volonté de s’échoir plutôt que de se remettre à vivre - et par conséquent à combattre. Une volonté conditionnée par le destin, comme vous le comprendrez vous-même en regardant le film, et qui donne tout son sens à l’hommage à Akira Kurosawa. Car Throw Down partage explicitement avec l’œuvre du réalisateur japonais, cette même passion pour une volonté inflexible, conservée ou retrouvée, véritable marque de l’incroyable humanité de ses personnages. Et Johnnie To - qui filme la ville comme personne, remarquons-le une fois de plus au passage - d’ajouter discrètement, sous couvert d’une réminiscence, une merveille de plus à sa filmographie.

PS : Comme souvent, la musique du film, bien qu’excellente, est faite de versions, euh... « remixées » de titres connus. Ici, on reconnaître aisément Hotel California des Eagles, mais surtout en guise de thème principal... une variation de La maladie d’amour de Michel Sardou !!!

Throw Down est disponible en DVD HK chez Panorama, et l’édition est absolument nickelle !

- Article paru le mercredi 15 décembre 2004

signé Akatomy

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