Tôkyô Biyori
L’amour d’Araki pour sa femme exprimé à travers les yeux de Takenaka ; rencontre/fusion de deux poètes...
Mikio Shimazu, un photographe, se remémore sa vie de couple avec sa femme Yoko, décédée prématurément des suites d’un cancer de l’utérus...
Certes, ce résumé - plutôt concis je l’admet - n’a rien de réjouissant, et avec ce type de scénario il est très facile de basculer dans le mélo larmoyant de bas étages... seulement Naoto Takenaka [1] n’est pas "tout le monde", et il nous le prouve une fois de plus en signant la mise en scène de Tôkyô Biyori, son troisième long métrage... Adapté du livre éponyme du photographe mondialement célèbre Nobuyoshi Araki, Tôkyô Biyori dépeint donc les souvenirs d’un homme éperdument amoureux de sa femme, et la vie de celle-ci vue à travers les yeux de son mari.
Mais alors, me direz-vous, qu’est-ce qui fait de Tôkyô Biyori un film si différent de ses congénères ? Et bien avant toute chose, Takenaka ne choisit pas de rendre son rôle attachant, bien au contraire ; son personnage le dit lui-même pendant le film, il ne parvient pas à se souvenir des moments agréables passés avec sa femme, et les disputes, ou pire, l’indifférence, sont légion dans la vie du couple. Leur relation n’a rien d’idyllique, tout du moins dans un premier temps...
La mort de Yoko est en fait le vecteur déclenchant d’une prise de conscience - trop tardive ? - de la part de Mikio ; il pense ne pas avoir été suffisamment à l’écoute d’une épouse fragile... Yoko ; ces deux syllabes renferment tant de choses, un esprit complexe, une fragilité liée à une force extrême. Personnage lunaire et incompris, elle est le véritable éclat de cette histoire, celle sans qui rien n’eut existé. Yoko est la pureté, la douceur, le rayon de soleil que tout homme puisse rêver de rencontrer ne serait-ce qu’une fois dans sa vie. Elle parvient à se créer un monde, que certains n’hésitent pas à qualifier de folie... mais il en est tout autre.
Le personnage qui va sortir "grandi" de cette histoire est Mikio ; homme taciturne, exprimant son amour difficilement, il est en perpétuel conflit contre lui-même, ce qui se traduit par une agressivité et une indifférence vis à vis de sa femme. Dire "je t’aime" à l’être que l’on chérit le plus, est parfois un geste si compliqué... Il est intéressant de voir que la même année, deux films japonais ont parfaitement su retranscrire cette difficulté d’exprimer ses sentiments par des mots qui paraissent bien désuets ; Tôkyô Biyori, et Hana-Bi de Takeshi Kitano, deux œuvres empreintes d’une poésie désespérée puisque la rédemption se situe dans la mort, ou si vous préférez, quand Eros et Thanatos sont intimement liés. L’amour pouvant être perçu comme une prémisse de la mort, et la mort comme une continuité de l’amour... Evolution donc, tout au long du film, du personnage de Mikio qui va apprendre à redécouvrir sa femme alors qu’il l’a perdue. Alors que ses premiers souvenirs sont plutôt de mauvais, il va chercher à analyser le comportement de sa femme, si étrange à ses yeux... Il va comprendre que l’amour n’est pas une chose acquise... Puis Mikio redevient enfant ; les souvenirs, à mi-chemin entre le rêve et la réalité vont se mêler... Il va petit à petit se rendre compte que Yoko lui est vitale, et qu’elle est toujours présente au plus profond de lui...
Un film de l’acabit de Tôkyô Biyori ne serait rien sans une distribution sur mesure. Naoto Takenaka s’entoure donc une fois de plus d’un casting assez impressionnant... La question que l’on peut se poser est "que serait Tôkyô Biyori sans la présence de Miho Nakayama ?"... certainement un tout autre film... La beauté, pardon, la "Beauté" qu’elle dégage, à tous niveaux, en devient terroriste ; rarement une actrice n’a été aussi belle, ou peut-être faudrait il chercher du côté de Cassavetes et de la "Femme" dans toute sa (ses) splendeur(s) incarnée par Gena Rowlands... Miho Nakayama est une habituée des rôles bouleversants, puisque deux ans auparavant elle jouait dans le magnifique (et le mot est faible !) Love Letter de Shunji Iwai. Autre héroïne d’un film d’Iwai, Takako Matsu (Shigatsu Monogatari /April Story), l’actrice /chanteuse /musicienne, qui apporte ici son réconfort à Mikio... Egalement au casting, on retrouve dans le désordre, Tadanobu Asano, Tomorowo Taguchi, Shinya Tsukamoto, mais aussi Masayuki Suo, le réalisateur de Shall we Dance ?, ou encore Yoshimitsu Morita, metteur en scène de Kazoku Gêmu, sans oubliez une apparition de Nobuyoshi Araki en personne... Ajoutez à tout ça une musique signée Ryuichi Sakamoto, et vous comprendrez qu’une certaine perfection est proche.
Au-delà d’une étude de la vie de couple, Tôkyô Biyori est un poème ; un poème qui nous transporte dans un univers onirique, celui d’une femme dont le rêve est de devenir mère, et d’être aimée... Etre aimé, besoin essentiel de tout être humain, mais qu’est-ce que l’amour ? Au terme d’un voyage d’à peine plus de deux heures, Naoto Takenaka nous offre un début de réponse, mais c’est à chacun de nous de la trouver au plus profond de notre être...
DVD (pas vu) | King Records | NTSC | Zone 2 | Format : 1:1:85 - 4/3 | Contient des sous-titres anglais optionnels et un grand nombre de suppléments (trailers, spots TV, scènes coupées, commentaire audio,...).
VCD (HK) | Asia Video Publishing | Au format, en japonais Dolby Surround. | Contient des sous-titres anglais et chinois brûlés sur la pellicule.
Site Officiel de Nobuyoshi Araki: http://www.arakinobuyoshi.com
[1] Cf. article Rendan.