Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Afghanistan | Festival des 3 Continents 2004

Trio afghan

Amour et amitié (1946) / La demande (1969) / Les statues rient (1976)

Une sélection de trois films afghans, diffusés au cours de la rétrospective "Une histoire du cinéma afghan" lors du 26ème Festival des 3 Continents (Nantes, 2004).

Amour et amitié
aka Ishq Wa Dost | Afghanistan | 1946 | Un film de Reshid Latifi | Avec Abdul Mahra, Noor Ahmad, Naïm Rasa, Nira B. Lahori, Karim Sarhadi

Premier film de l’histoire du cinéma afghan, Amour et amitié conte le triangle amoureux qui unit les destins de Sawar, de son ami le général et d’une jolie femme.

Le premier, poète de son état, est amoureux de la belle mais ne peut se résoudre à l’exprimer. Il est habile avec les mots, qu’il manipule pour enjoler la jeunesse et les femmes, mais oublie de séduire les tranches plus âgées de la population. Un reproche que lui fait le général, son seul ami, un veuf célèbre pour ses exploits militaires. Si celui-ci peut préparer un plan de bataille en un instant, il est cependant bien incapable de jouer avec les mots. Aussi demande-t-il un service à son compagnon de vie : jouer de son talent pour proclamer son amour à... l’objet commun de leur affection. « Funeste destin ! » Voilà que Sawar doit exprimer ses propres sentiments pour le compte d’un autre, son ami qui plus est ! Il tente bien de refuser mais le général, véritable militaire jusque dans sa gestion des services amicaux, insiste. Soit ; Sawar fait ce que son ami lui demande, mais la belle refuse d’épouser le grand timide. Elle exprime même son regret au poète, que les mots dans sa bouche n’aient pas été les siens. « Funeste destin ! » Sawar trop honnête, rapporte la discussion au capitaine, qui le traite dés lors en traitre et lui promet de l’occire à son retour de campagne...

Déroutante introduction au cinéma afghan que cet Amour et amitié. Sans véritable nationalité, ce premier film lorgne fortement vers le cinéma indien, auquel il empreinte d’ailleurs non seulement ses actrices mais aussi ses scènes chantées. Ainsi l’héroïne du film, objet de toutes les convoitises, exprime-t-elle son désespoir en chanson uniquement - ou du moins c’est ce que l’on peut déduire du ton de ces séquences, malheureusement non sous-titrées au cours de la projection. Outrancier et caricatural, Amour et amitié se veut le théâtre d’une propagande à la fois sociale et morale. S’y rencontrent pêle-mêle la considération des arts, qu’ils soient linguistiques ou militaires (poète et général incarnent le meilleur de l’homme), le respect des autres et de soi (la supposée trahison de Sawar), la valeur de l’amitié (la sombre méprise du général, qui finalement restera en vie le temps de s’excuser auprès de son ami) et celle de la famille (le général se propose de jouer le rôle de père pour les deux tourtereaux). Une naïveté de propos, propre à un cinéma naissant, qui trouve écho dans la forme du film lui-même. Les tentatives techniques réussies (les superpositions notamment) y cotoient les faux raccords et autres insolences de montage, pour le plus grand plaisir de l’aventurier/cinéphile contemporain, désarçonné par autant d’optimisme et de nonchalance !

La demande
aka Le prétendant - Talabgar | Afghanistan | 1969 | Un film de Khalek A’Lil | Avec Kahn Aqasorur, Rasol Maimuna, Rafiq Sadek, Habiba Askar, Farida

Si, comme Amour et amitié, La demande est aussi le théâtre de préoccupations morales et sociales, celui-ci s’affirme en revanche comme un film pessimiste. Le film de Khalek A’Lil nous expose l’histoire, non pas d’une méprise mais d’une tromperie. Son héros, simple homme des rues qui perd son temps et son argent au jeu, est amoureux de Parwin, fille de bonne famille, et désire l’épouser. Pour convaincre l’avide paternel de la belle de lui céder la main de sa fille, il usurpe l’identité d’un riche héritier, se forge un curriculum redoutable. Intéressé au sens propre comme au figuré - alors que sa fille ne l’est aucunement, c’est un détail important ! - le père demande au prétendant de lui offrir quelques bijoux appartenant à sa famille. Notre « héros » se rend alors dans une bijouterie, où il piège une cliente en mettant un bijou dans sa poche, afin de le récupérer par la suite. Pour ce faire, il arrête la dame en pleine rue et l’accuse simplement de vol. Fort convaincant, il réussit à lui faire croire qu’elle a réellement dérobé le bijou, et obtient même quelques billets en échange de son silence !!! Quel vil stratége que notre prétendant ! Heureusement, ses manigances seront déjouées, la femme n’étant autre que la mère de Parwin...

En l’espace de vingt ans, le cinéma afghan semble avoir pris une certaine assurance, aussi bien stylistique qu’au niveau du contenu. Le montage est audacieux et résolument moderne, jouant d’alternances rapides de gros plans, d’effets de zoom caricaturaux et de surexpositions quasi-surréalistes - le tout souligné par une musique tout autant excessive ! Mais le fond est encore plus étonnant que la forme dans La demande... On y découvre en effet une femme afghane particulièrement irresponsable - à moins qu’elle ne fasse l’objet d’une réduction purement machiste ? Si le personnage de Parwin est hautement féministe - prônant les études comme véritable instrument de la réussite -, son temps de présence réduit à l’écran invalide la théorie d’une affirmation féminine. Tandis que la longue scène opposant la mère au prétendant, au cours de laquelle elle renie son intégrité, se taille la part du lion... Du coup, même si la conclusion - expédiée (le père décroche son téléphone pour appeler la police et « c’est fini » s’inscit à l’écran) - reste moralement « positive », on ne peut s’empêcher de froncer les sourcils face à la mauvaise fois machiste de l’ensemble, et ce même si le comportement du père, caricatural, est montré du doigt. Il n’y a pas de doute, le cinéma afghan a beaucoup évolué en vingt et quelques années !

Les statues rient
aka Mujasema Ha Mekhandan | Afghanistan | 1976 | Un film de Toryalai Shafaq | Avec Abdula, Fatulah Parand, Zakia Kohzad, Saira Azam, Shahda

Ahmad est un artiste, pauvre, amoureux de Nasrin. Nasrin est une étudiante de sa classe, superficielle, riche et belle, qui rêve d’un homme lui aussi beau et riche, plus vieux qu’elle, ayant fait ses études en Europe ou à l’étranger, et qui possède une grosse voiture. Son ami Shahla essaye de la convaincre de la valeur d’Ahmad, mais Nasrin lui préfère un playboy quelconque. Celui-ci s’avèrera de plus être un homme de main pour un mafieux caricatural, qui cherche uniquement à atteindre Nasrin pour obtenir d’Ahmad qu’il sculpe des statues creuses, dans lesquelles écouler du haschich !

D’une certaine façon, Les statues rient se situe dans la continuité thématique de La demande, puisque l’ensemble des enjeux y est inversé. Ainsi la jeune fille de bonne famille n’est-elle plus motivée par l’acquisition d’un savoir, mais uniquement par un paraître détestable. Elle cherche à tout pris à se marier, en dépit de ses propres sentiments pour Ahmad. Ahmad lui, est un artiste (et renvoie du coup au héros d’Amour et amitié) et possède une valeur bien supérieure à n’importe quel richard. Il est amoureux certes, mais n’en possède pas moins un certain honneur, et ne se rabaisse jamais. Il ne perd de temps à aucun simulacre, et est tout entier dédié à la réflexion et l’admiration de la beauté. Bref, Ahmad souffre ! Nous avons donc un jeune homme trop honnête (réminiscence de Sawar et opposé du « prétendant »), une jeune femme superficielle (l’opposée de Parwin)... et une série de malfrats trop méchants pour être crédibles.

Seul long métrage des trois titres chroniqués ici (les deux autres films durent moins de quarante cinq minutes), Les statues rient est une fois de plus un film moralisateur, sorte de compilation des deux œuvres précédentes dans les thèmes abordés. Sauf qu’ici, durée oblige, le réalisateur est obligé de consolider son discours avec une intrigue à même de tenir le spectateur en haleine pendant près d’une heure et demie... et autant dire que, au premier degré, c’est un échec ! Le complot mafieux qui sert de pilier à l’histoire est un bien grotesque prétexte à la défense de valeurs artistiques et amoureuses - et donc sociales. Prétexte qui traîne en longueur dans son exposition, mais offre la place à certaines expérimentations de réalisations, comme ce plan « rocking chair » (l’image bascule comme si l’on était soi-même dans le fauteuil) et autres isolements partagés par la magie de la superposition. Autre nouveauté dans Les statues rient, l’arrivée de la violence - et même d’un effet gore ! - à l’écran. Celle-ci reste très retenue (à la même époque, l’ultra-violence éclate sur les écrans du monde occidental), mais marque tout de même une volonté de créer une véritable œuvre de fiction, et pas juste un conte à connotation social. S’il est difficile à prendre au sérieux aujourd’hui, le film de Toryalai Shafaq demeure donc, comme ses deux camarades présentés ici, un témoignage passionnant pour comprendre l’histoire et la finalité du cinéma afghan. On retiendra surtout, hormis les maladresses délicieuses, la place qu’y occupe l’artiste, visiblement essentielle.

- Article paru le jeudi 16 décembre 2004

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