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Chine | Festival du film asiatique de Deauville 2010

Une Jeunesse chinoise

aka Summer Palace | Chine / France | 2006 | Un film de Lou Ye | Avec Hao Lei, Guo Xiaodong, Hu Ling, Zhang Xianmin

1987. Dans une province chinoise, à la frontière de la Corée du Nord, Yu Hong est partagée entre enthousiasme et tristesse. Acceptée dans une université de Pékin, elle quitte son premier amour, sentimental et physique, pour une ville et des préoccupations qui ne sont pas les siennes. Il lui faut attendre 1989 pour parvenir à s’intégrer, avec la rencontre de Li Ti. L’amitié avec cette jeune femme posée lui ouvre la porte de Ruo Gu, son petit ami installé à Berlin, mais surtout celle de Zhou Wei, dont Yu Hong s’éprend immédiatement, avec la froideur qui la caractérise en dehors de ses rapports physiques. Incapable de communiquer autrement qu’avec l’intimité de son corps, Yu Hong est une jeune femme idéaliste, qui ne peut pourtant vivre l’amour rêvé puisqu’elle refuse la dépendance qu’il implique. Quand elle n’est pas nue contre un homme, elle se perd dans des considérations existentielles, se déplaît, s’évanouit dans la piscine vide du Palais d’Eté. Autour d’elle, les étudiants s’agitent, et Yu Hong tente de se mouvoir, à défaut de s’émouvoir, avec eux...

Une Jeunesse chinoise est le quatrième long-métrage de Lou Ye, dont le film Suzhou River est aujourd’hui encore interdit en Chine. Diplômé en réalisation de la Beijing Film Academy, il réalise avec Une Jeunesse chinoise une fresque amoureuse dépressive sur fond d’Histoire chinoise, avec une attention particulière sur les évènements de la Place Tian An Men en 1989. Ce qui lui vaut d’être interdit de tournage sur le Mainland pendant cinq ans, mais nous offre à nous, spectateurs, l’opportunité de découvrir un film riche et courageux, et de faire la rencontre de la fascinante Yu Hong / Hao Lei, incarnation, en écho comme en creux, d’une génération perdue.

Yu Hong, donc, est à tous les niveaux le personnage principal d’Une Jeunesse chinoise, cette jeunesse qu’elle incarne en s’y opposant involontairement, en la détruisant de l’intérieur. Car à l’image de l’une des figures du roman Ecstasy de Ryû Murakami, Yu Hong est un trou noir. Toutes les personnes qui croisent son chemin, garçons ou filles, se retrouvent absorbées émotionnellement, avant de se perdre. Sa beauté déroutante, si consciente et fatiguée, contraste avec l’impression qui se dégage de son regard. Car Yu Hong d’une certaine façon, nous apparaît comme étant morte humainement, et ce dès le départ, condamnée. Et la mort qui se lit dans ses yeux n’est pas uniquement celle de sa mère : elle préfigure l’échec des manifestations étudiantes, celui de sa relation avec tous les hommes auxquels elle prétend s’abandonner, l’impossibilité de sa symbiose avec Zhou Wei. Figure dépressive et pessimiste au possible, en étant de plus consciente de l’être, Yu Hong n’en est pas moins une figure d’attachement. Son visage est le terrain d’expressions contradictoires qui la transforment du tout au tout : son sourire est d’une grande générosité, ses colères effrayantes. Complément physique de ce lieu d’émotion, le corps de l’actrice est pour sa part moins ambigu, entièrement tourné vers l’autre. Car il n’y a que dans le rapport charnel que Yu Hong est capable d’être douce, comme elle le comprendra elle-même au cours de son parcours. Physiquement ouverte, comme les étudiants de l’époque. Engoncée psychologiquement, comme le gouvernement chinois. Lieu d’une sérénité impossible.

Fresque amoureuse - ou plutôt fresque d’une blessure amoureuse insurmontable -, Une Jeunesse chinoise dresse le portrait d’une génération, prenant pour toile de fond les perturbations et évolutions sociopolitiques majeures de la fin du siècle dernier, de Tian An Men à la rétrocession de Hong Kong à la Chine, en passant par la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique. Passant rarement au premier plan - et ne s’exprimant alors que par bribes, même si leur puissance évocatrice est étonnante - le background historique trouve écho dans l’évolution des relations de Yu Hong, dans son courage sans cesse renouvelé et paradoxalement nihiliste. S’appuyant de plus sur une utilisation omniprésente de la musique, Lou Ye parvient à rendre vivant un film qui aurait pu être terne tant la force d’attraction qui émane de Yu Hong est destructrice.

La chair est finalement l’une des seules choses qui ne soit pas triste dans Une Jeunesse chinoise, car si elle est souvent désespérée, elle est le seul lieu de réconfort et d’honnêteté et du film, faisant constamment pâlir des protagonistes étriqués dans le mensonge de leurs sentiments. Pour le reste, le film de Lou Ye bien qu’avec beauté, est un lieu de désespoir, de condamnation par l’amour pour l’autre. Un étrange et passionnant objet que cette réminiscence d’une année passée à proximité du Palais d’Eté, marquant l’apogée d’entités condamnées au déclin, émotionnel et psychologique.

Une Jeunesse chinoise est sorti sur nos écrans le 18 avril 2007.

- Article paru le vendredi 27 avril 2007

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