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Hors-Asie

Vinyan

France – UK | 2007 | Un film de Fabrice Du Welz | Avec Emmanuelle Béart, Rufus Sewell, Julie Dreyfus, Petch Osathanugrah, Ampon Pankratok, Josse De Pauw, Omm, Joey Boy

On ne peut pas vraiment dire que Janet et Paul Belhmer se soient installés à Phuket ; tout au plus y sont-ils restés, dans l’inertie de leur douleur, après la disparition de leurs fils Joshua dans les eaux du tsunami de 2005. Six mois déjà se sont écoulés depuis la catastrophe, pourtant Janet nourrit l’espoir, affiché, de retrouver son enfant en vie. Lors d’une soirée où l’on célèbre leur investissement, parmi d’autres, dans des projets humanitaires locaux, Janet est persuadée de voir Joshua dans les images ramenées par Kim, une connaissance, de Birmanie. Elle convainc alors, par la force de son illusion, son mari de l’accompagner dans un voyage au fond de la jungle tropicale...

Janet qui sort de l’eau sous le regard de son mari, rince le sel de son corps, dans une sensibilité à la fois agréable et douloureuse. Paul qui trouve une paire de chaussures neuve pour enfant dans un placard, sollicite, perplexe, sa femme qui lui répond que les autres seraient trop petites, qu ’ « il » doit avoir grandi désormais. L’enfant n’a pas encore de nom, de réalité à l’écran, pourtant il définit déjà, dans cette remarquable esquisse d’absence, le couple Belhmer. Janet porte sa douleur en surface, sur cette peau qu’elle expose aux yeux comme aux éléments. Paul l’enferme en lui comme pour l’étouffer, tente de tuer l’espoir qui fige sa femme dans ce purgatoire thaïlandais, le leste par procuration. Puis viennent les images vidéo, l’incertitude de leur manque de définition qui devient terrain de possibles, graine de perversion d’un espoir qui, au lieu de faire vivre, condamne.

Le couple entame alors un voyage au cœur des ténèbres, portés par l’eau qui les a conduits à cette demi-vie, dans laquelle, des propres mots de Janet qui déclare à Paul qu’il ressemble, de plus en plus, à son fils, le rapport parent-enfant s’est inversé. Incapables de se définir en tant que parents, leur caractère adulte et sexué leur échappe, et l’intimité charnelle du couple est contaminée, elle aussi, par cette nécessite inversée, cet héritage antégénétique qui est celui d’une émotion constitutive. Les contacts deviennent alors plus troubles, et les interlopes locaux, symbolisés par le mafieux Thaksin Gao qui les conduit sur les traces d’une douleur collective pervertie en marchandage d’enfants aux visages teintés de blanc, contribuent à les déliter un peu plus, à menacer l’intégrité de leur réalité.

Fabrice Du Welz, dont je me dois toujours de rattraper le Calvaire, filme ce voyage métaphysique d’une humanité excentrée avec une force rare. Dès les premières images du film, bribes d’immersion qui se teintent de rouge – baptême symbolique de douleur duquel émerge une Emmanuelle Béart débordante de fragilité -, le réalisateur tente de retranscrire une réalité soumise aux assauts d’une distorsion, émotionnelle et psychologique, qui se reflète dans son incroyable bande son aux tonalités saturées, aiguisées. Très vite, Vinyan – nom donné en Thaïlande aux esprits errants, de personnes mortes dans une grande douleur – se teinte d’une sexualité ambigüe. Ainsi le couple prend il la décision de donner corps à l’espoir de Janet dans le vacarme d’un night club (le bruit ambiant, les sons étrangers, les échanges des gens sont d’ailleurs la force narrative de cette séquence étourdissante), face aux corps dénudés d’aguicheuses danseuses. Maternité, naissance et sexualité se confondent dans un onirisme de plus en plus perméable à la réalité, et l’eau, à la fois matricielle, mortelle et érotique, est l’un des vecteurs élémentaires de cet enfer naissant.

La végétation et ses sédiments en seront d’autres, au fur et à mesure que Janet se rapproche non pas de son enfant mais de tous les enfants, dépourvus de mère autre que la terre qui recouvre leurs corps, y adhère grâce à l’eau. Les larmes du ciel auront raison de celles de cette femme meurtrie, dont l’espoir se nourrit plutôt que l’inverse, dans un abandon érotique primitif qui joue encore d’une douleur littéralement à fleur de peau, s’en nourrit et la pervertit, pour piéger Janet dans cet outremonde dérangeant, perception altérée et donc nimbée de fantastique, dont elle sera, dans une hérédité toujours à rebrousse poils, la Mère. Pour Paul, qui enfouit sa douleur au fond de ses entrailles, la sentence sera, de façon à la fois surréaliste et cohérente, bien moins ambigüe.

Vinyan est un voyage sublime dans l’enfer de l’espoir, dont on s’étonne que Fabrice du Welz soit obligé aujourd’hui de défendre les intentions. Celles-ci sont aussi explicites et intenses que le regard d’Emmanuel Béart, dans lequel s’ancre, dès le départ, la perdition d’une âme, de mère et de femme, depuis longtemps abandonnée à une Terre tour à tour nourricière et meurtrière.

Vinyan est disponible en DVD depuis le 2 avril chez Wild Side. La copie, magnifique, rend justice à l’incroyable photo de Benoît Debie, toute d’Apocalyspe Now vêtue. En guise de suppléments, un making of et un entretien croisé avec l’auteur et son directeur de la photo, ainsi que le carnet de croquis de Janet. Une très belle édition donc ; tout au plus regrettera-t-on que la VO ne soit proposée qu’en DTS et stéréo, délaissant un équipement 5.1 certes daté.
Remerciements à Benjamin Gaessler et Wild Side.

- Article paru le vendredi 3 avril 2009

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