Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Japon

Ware ni utsu yoi ari

aka Ready to Shoot | Japon | 1990 | Un film de Kôji Wakamatsu | Avec Lu Xiuling (Lui Sau-Ling), Yoshio Harada, Kaori Momoi, Renji Ishibashi, Keizo Kanie, Akaji Maro, Seiji Matano, Keiji Matsuda, Hideo Murota, Tokuma Nishioka, Ichirô Ogura, Yôsuke Saitô, Shirô Sano, Shirô Shimomoto, Miyako Yamaguchi, Hatsuo Yamatani, Ken Yoshizawa

Si Kôji Wakamatsu est surtout reconnu pour sa contribution aux fondations du pinku eiga, qu’il a transcendé par ses plongées poétiques et hautement subversives dans la libido sexuelle torturée de ses congénères, l’instrumentalisant à des fins politiques contestataires dans les années 70, son abondant parcours cinématographique, entrecoupé d’un départ pour la Palestine en compagnie de son ami et scénariste Masao Adachi, fût plus chaotique par la suite.

De retour de Palestine le cinéaste, toujours persona non grata aux États-Unis, en Chine et en Russie, s’est trouvé confronté à une société japonaise en mutation, ayant cédé aux idéaux contestataires au profit de l’entertainement et des mass médias. Après une période passée à tourner des jitsuroku (histoires vraies) illustrant des faits divers et crimes sexuels sordides, durant la fin des années 70, Wakamatsu mettra un peu d’eau dans son vin et prendra progressivement pied dans un cinéma plus mainstream, concédant un peu de sa révolte intérieure pour gagner en exposition. L’un des exemples les plus réussis de cette période très inégale, et figurant les contradictions vécues par la génération soixante-huitarde du cinéaste, vouée aux idéaux révolutionnaires, mais engluée dans l’apathie de cette fin de siècle consacrée à la consommation hédoniste, est sans aucun doute Ware ni utsu yoi ari (1990), drame et incursion insolite dans le yakuza eiga, fortement teinté de nostalgie.

Katsuhiko (Yoshio Harada), le propriétaire d’un petit bar pittoresque aux abords de Kabukicho [1] s’apprête à fêter la fermeture de son tripot après 20 ans d’activité. Alors que ce dernier prépare la fête qui réunit d’anciens amis et activistes radicaux du monde étudiant des années 60/70, dont Ritsuko (Kaori Momoi) une ancienne compagne, une jeune réfugiée vietnamienne (Lu Xiuling) blessée au bras, débarque dans son bar. Lui offrant refuge et protection, Katsuhiko gagne sa confiance et apprend qu’elle est poursuivie par des yakuzas qui l’ont forcée à se prostituer. Ayant tué l’un d’eux et leur ayant dérobé une mystérieuse cassette vidéo, elle s’est retrouvée seule et traquée. Entre temps, le meurtre du gangster à tôt fait d’alerter un vieux briscard de la police qui commence aussitôt à enquêter sur le terrain.

Si cette tentative pour aborder un genre alors plutôt cantonné au V-cinéma ne satisfera pas franchement les amateurs de gunfights et d’action hardboiled, la composante mainstream de cette oeuvre étant inévitablement servie sans effets tapageurs, ni montage stylisé, Wakamatsu livre pourtant un film beaucoup plus intime et personnel qu’il n’y parait.

Son anti-héros vieillissant est incarné par l’immense Yoshio Harada, déjà familier du cinéaste (Mizu no nai puuru, Kiss yori kantan). Arborant un visage buriné par la cinquantaine naissante, vêtu d’une vieille salopette en jeans, les cheveux mi-longs négligés et l’air taciturne, il est un double évident du cinéaste, en proie au doute face à une époque dans laquelle il ne se reconnaît plus. Ce personnage qui conserve chez lui un portrait du Che, représente la génération des anciens étudiants activistes, qui faisaient alors cause commune contre un pouvoir et une censure politique étouffante. Si Ware ni utsu yoi ari est un film d’action quelconque au regard des standards de production de l’époque, et au récit plutôt linéaire dans sa forme, il est en revanche un drame des plus pertinents dans sa critique et son analyse de l’engagement d’une génération idéaliste, aujourd’hui vendue au conformisme, à l’image des invités qui quittent le bar les uns après les autres à la suite de la mort brutale d’un des leurs, lors d’une altercation avec un yakuza. L’auteur leur reprochant de se complaire dans l’évocation complaisante d’un passé révolu, ayant perdu toute volonté d’action. Wakamatsu ajoutant même un romantisme sensible et sans excès de sentimentalisme grâce à la présence de Ritsuko accompagnant Katsuhiko dans sa révolte tragique.

Des combats de rue que livraient les étudiants contre la police il y a tout juste vingt ans - signalés par la présence d’inserts d’archives documentaires d’époque -, le cinéaste fait un parallèle avec celui que livre Katsuhiko pour sauver la jeune réfugiée vietnamienne de la pègre. Wakamatsu montrant ainsi que si les causes et les idéaux politiques ne mobilisent plus sa génération, il n’en reste pas moins des raisons de se révolter. Ce qu’il fait, fidèle à sa jeunesse et à son impulsivité, par le prolongement de son héros, dans l’action, unique moyen trouvant grâce à ses yeux. A l’image du protagoniste qui prend les armes dans une tentative désespérée pour donner sens à son engagement, qu’il n’avait en fait jamais renié, à la différence de ses compagnons de beuverie, Wakamatsu interroge sa génération sur sa coupable démission.

Même si le cinéaste n’a pas renié tout esprit de révolte, il faut bien avouer que le scénario est parfois d’une crédibilité douteuse, sans compter le manque d’épaisseur de certains personnages secondaires. La pourtant exceptionnelle Kaori Momoi [2], joue trop en retrait finissant par paraître terne, sans oublier la jeune Lu Xiuling, une habitué des romances “made in Taiwan” qui apporte le contrepoint romantique à la rudesse d’un Yoshio Harada, dans le rôle de la réfugiée sans papiers, et qui semble bien peu crédible à semer une bande de yakuzas, à pieds dans les ruelles de Kabukicho. Si cette oeuvre peine à trouver son public, la génération de l’auteur ayant depuis longtemps cessé de consommer les films de genre de l’archipel, alors que les jeunes préféreront l’outrance d’un Miike, la branchitude d’un Katsuhito Ishii, ou le style d’un Toshiyaki Toyoda, Ware ni utsu yoi ari n’en est pourtant pas moins digne d’intérêt.

Là où Wakamatsu échoue : faire un film d’action palpitant, il réussit à dépeindre avec vérité des êtres authentiques et marginaux qui se débattent dans un monde violent guidé par l’argent. Il apporte une touche mélancolique et parvient à nous émouvoir au delà des faiblesses scénaristiques évidentes, par sa démarche volontaire et son refus d’abandonner ses idéaux.

Bien que l’anti-héros tragique occupe le premier plan, l’autre protagoniste du film s’avère être l’asphalte de Shinjuku, théâtre de l’enfance du cinéaste [3]. Outre les séquences du bar et les rares scènes d’intérieurs, le film se déroule pour la plupart dans le décor naturel des ruelles du coeur palpitant de Tokyo. Le cinéaste s’attache à filmer les ambiances et couleurs diverses de ce quartier protéiforme, allant des couloirs de métros, aux rues matinales grouillantes, en passant par les ambiances nocturnes et glauques. Utilisant la lumière naturelle, il parvient à donner un portait tout aussi réaliste que celui de son héros, à ce quartier confluent et repère de marginaux aux couleurs multiethniques, évoquant l’approche d’un autre bad boy du cinéma japonais et farouche indépendant, Masahi Yamamoto.

Ware ni utsu yoi ari aurait bien pu rester une curiosité mineure dans l’abondante filmographie du cinéaste sans la superbe partition musicale de Kazutoki Umezu [4], qui parvient à transfigurer l’atmosphère unique de ce quartier, autant qu’insuffler une énergie désespérée aux états d’âmes de Katsuhiko. Il apparaît même dans une belle séquence où on le voit éructer une improvisation furieuse et free au milieu d’un parc, devant des badauds curieux, prélude au pugilat entre un groupe de yakuzas à la poursuite de la jeune réfugiée, et Katsuhiko.

A l’image du générique final se clôturant sur des images d’archives des violentes luttes étudiantes de 1970, Ware ni utsu yoi ari est une oeuvre nostalgique et critique, empruntant aux codes du genre yakuza un verni qui cache à peine un sentiment de révolte qui n’a jamais quitté son créateur. Une détermination qui malgré ses maladresses mérite toute notre considération.

Existe en VHS au Japon chez Shochiku Home Video.

[1Quartier peu étendu (3 500 m2) de l’arrondissement de Shinjuku, il compte parmi les plus importants quartiers de plaisirs du monde. C’est aussi un haut lieu de la mafia chinoise.

[2Ayant débuté une carrière artistique dès l’âge de 12 ans en entrant au British Royal Ballet, elle fera ensuite ses premières classes d’art dramatique auprès de la Bungakuza Yoseijo. Elle débute sa carrière cinématographique en 1971 avec Ai futatabi de Kon Ichikawa, et ne cessera depuis de tourner dans des productions aussi diverses que variées, dont la dernière en date, un rôle important dans le très attendu Memoirs of a Geisha (2005) de Rob Marshall. Kaori Momoi est une actrice à forte personnalité très populaire au Japon. Artiste aux talents multiples (productrice, designer, écrivain, chanteuse) elle est aussi reconnue au théâtre que dans le champ musical où elle a déjà signé une quizaine d’albums sous son nom et des collaboration fréquentes avec les jazzmen Terumasa Hino et Yosuke Yamashita.

[3C’est après avoir abandonné ses études d’agronomie au bout de deux ans que Wakamatsu fugue et s’installe dans le quartier de Shinjuku à Tokyo. Il y devient un temps gangster avant de se faire arrêter puis incarcérer.

[4Né à Sendai en 1949, il est un des saxophoniste et jazzman japonais les plus importants de ces dernières décennies. Leader du Kazutoki Umezu “Kiki” Band que l’on a pu récemment entendre au festival Jazz in Japan (3ème édition) à la Maison de la Culture et du Japon (Paris), il est un improvisateur hors pair et musicien éclectique dont les influences vont du free jazz, au rock progressif, en passant par le blues et la musique traditionnelle japonaise. Habitué de la Knitting Factory, ses fréquentes collaborations étrangères comptent notamment Mal Waldron, John Zorn, Marc Ribot, David Murray, Lester Bowie...

- Article paru le lundi 8 août 2005

signé Dimitri Ianni

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