Id
Lose yourself.
Un tueur qui erre dans une forêt, suit le son d’une voix féminine dans sa tête, et se retrouve dans un sombre microcosme rural, presque excusivement constitué d’une usine et d’un abattoir à cochons, où il rencontre la femme qui incarne son propre subconscient. Numata, ancien flic, déambule de la même façon, suivant des traces de violence sans trop savoir pourquoi, jusqu’à se retrouver dans ce même village, au cœur duquel trône la vanne qui contient/libère le flux d’un puit protéiforme, charriant eau, crasse et sang et reflétant l’âme forcément trouble de ceux qui s’y perdent. C’est autour de ce puit que s’extériorise la violence latente de cet endroit hors du temps, alors qu’une dispute autour de deux « enfants » marginaux – l’un simplet, l’autre homosexuel – débouche sur la mort d’un homme. Un déclic de mort qui réunira Numata et sa proie, jusqu’alors dénuée de mémoire et réaffirmée en tant qu’entité maléfique et destructrice, au travers de son union avec l’incarnation féminine de ses pulsions de mort…
Dix ans après Organ, Id est la suite quasi-directe et cauchemardesque de l’incroyable charogne de Kei Fujiwara. Voyage sensoriel et expérimental aux tréfonds de la nature humaine, de sa bestialité inhérente, Id paraît plus radical encore que son prédécesseur, tout aussi dérangeant et, bien que plus libre et convolutif, tout aussi fascinant.
Miroir déformant de la structure d’Organ, qui s’ouvrait avec une narration classique et exemplaire pour se conclure dans un onirisme à la fois érotique et repoussant, Id est un cauchemar qui s’affine, s’explicite, allant de l’abstraction complète vers un certain sens du concret, de l’incarnation. Chapitré à l’aide d’intermèdes presque humoristiques hérités du théâtre – c’est une troupe, Organ Vital, qui est à l’origine des projets Organ et Id -, suivant les pages d’un livre vierge qui symbolise l’adéquation de la narration avec un projet d’adaptation, personnelle et intérieure, Id évoque une pièce expérimentale. A la fois par son unité de lieu restreinte – le gros du film se passe autour de la vanne ou dans le dortoir des travailleurs de l’usine – et par son traitement général, notamment au niveau de l’interprétation. Certaines scènes de velléités de violence sont ainsi traitées sur un modèle tragi-comique de répétition hésitante, hérité de la production scénique. Le projet même du film est celui d’une représentation – dans les deux sens du terme. De la bestialité de l’homme bien entendu, celle-là même qui est explicitement montrée du doigt par la conscience – l’ « Id » - du film, sa voix off que l’on pourrait qualifier d’ « in », et qui trouve un écho pertinent dans la proximité des protagonistes avec les cochons ; mais aussi celle, théâtrale, d’une histoire qui ne peut en être une que si l’on a lu le livret d’accompagnement, ici transformé en synopsis précieux et précis contant les différents actes du film. La sexualité, omniprésente de façon perverse dans le premier opus s’inscrit dans le même héritage, plus figurative encore que dans Organ, notamment dans son abstraction quasi-comique de l’organe masculin.
Mais le mot d’ordre d’Id reste avant tout l’expérience. Celle, sensorielle, que l’on partage en tant que spectateur avec le tueur amnésique autant qu’avec Numata, et qui entraîne Id dans des territoires graphiques et de mises en scène particulièrement violents et dérangeants, grotesques et fascinants. La conclusion du film, à compter de l’union – psychique, physique, les deux ? – de Ryo (la tueuse incarnée par la réalisatrice) et du tueur, symbolisée dans un terrifiant accouchement onaniste et extériorisé, est ainsi un modèle de cauchemar visuel, au cours duquel Fujiwara renoue avec le traumatisme originel d’Organ – le combat de Numata et de son coéquipier contre les traffiquants d’organes. On retrouve en effet la même approche graphique d’un lieu symbolisant la mort, avec son mélange de plastique et de fluides, la même perception hantée d’un Numata bloqué dans une impasse humaine, celle-là même qui conduit à l’impossibilité des deux films de poursuivre une narration traditionnelle. Une conclusion qui, dans la forme du moins, renoue quelque peu avec la rigueur de l’ouverture d’Organ, qui continue de persister en tant que modèle du genre hard boiled teinté de hard gore : un cinéma plus explicite et lisible, puisque trouvant sa dynamique dans une violence acceptée en tant que motrice, inhérente.
Il ne fait aucun doute qu’Id recelle bien des secrets que son caractère expérimental et personnel empêchent de percer à jour avec une seule vision. Mais le mot personnel ici, bien que signifiant l’appartenance à l’esprit de Kei Fujiwara, se double pour qui saura se perdre dans le puit de l’Id (je doute toutefois qu’ils soient nombreux), d’une générosité cinématographique certaine. Comme beaucoup de cauchemars, Id ne trouve en effet son sens qu’au travers du regard du spectateur, à même de reconnaître en lui cette pulsion nihiliste, pourtant positive dans sa caractérisation d’une humanité, seule capable d’ouvrir la vanne d’émotions qui trône au cœur de ce très perturbant tableau.
Id est disponible en DVD zone 2 UK chez Terra, sous-titré en anglais. La copie n’est a priori pas intégrale puisqu’une version plus longue de 11 minutes a été projetée au Japon pour la première du film, mais il s’agit de la version présentée en festival (93’). Le métrage est accompagné de bandes-annonces issues du catalogue de l’éditeur.



