2 Soeurs
"Qui es-tu aujourd’hui ?
Peux-tu me raconter ce qu’il s’est passé ce jour-là ?"
Deux soeurs, Su-Mi et Su-Yeon, reviennent chez elles après une longue période de soins psychiatriques. Elles y retrouvent un père éthéré et leur belle-mère changeante, l’inquiétante Eun-Joo. Rapidement, la tension monte entre Su-Mi et cette dernière, tandis que Su-Yeon souffre silencieusement en marge de cette dispute, terrorisée par Eun-Joo qui semble lui reprocher un acte insaisissable. Au sein de cette maisonnée chargée en aggressivité, les deux soeurs ne tardent pas à être visitées par le fantôme de leur mère, insistante figure de terreur muette. Et leur père continue de traverser cette tempête sans en comprendre l’origine ou le sens, réclamant des explications que Su-Mi de plus en plus coléreuse, refuse de lui fournir...
"Il y avait une petite fille sous l’évier."
Dés les premières images de 2 Soeurs, Kim Jee-Woon se lance dans un projet pernicieux de manipulation du spectateur. Le réalisateur multiplie en effet les figures de style "clichés" - un point de vue aquatique accompagné d’une musique inquiétante, le passage d’une ombre sur le visage d’Eun-Joo qui lui confère une méchanceté fugace - sans jamais céder à leur traditionnelle facilité. La musique reprend à chaque fois le dessus et rassure faussement le spectateur, pour mieux renouveler l’alternance. Ce cyle pervers, Kim jee-Woon le maintient jusqu’à la première manifestation surnaturelle du film - à savoir l’apparition du fantôme de la mère de Su-Mi et Su-Yeon. Alors qu’il nous a habitué à se jouer des figures imposées du film d’horreur contemporain, le réalisateur de The Foul King inverse la vapeur et saute pieds joints dans une insoutenable stratégie d’insistance. Il suffit de quelques secondes, proprement interminables, de contre-plongée sur cette apparition qui se joue de l’imagerie désarticulée imposée par Sadako dans Ring, pour que le spectateur perde toute confiance en la mise en scène évolutive du film, et accepte dés lors de subir les assauts d’une peur tour à tour mécanique et réelle.
S’il manipule le spectateur au travers de sa maîtrise de l’art cinématographique, Kim n’en oublie pas pour autant de diluer sa perversion dans le traitement des personnages et de leurs relations. Ainsi tout au long de 2 Soeurs, se pose un très délicat problème de nombre : celui des protagonistes. Il suffit de voir Su-Mi et Su-Yeon gravir côte à côte les marches de l’escalier principal de la maison pour la première fois, pour saisir l’ambiguïté de ce couple protagoniste dual. La façon dont la caméra rattrape leur mouvement synchrone, une fois parvenues à l’étage supérieur, laisse entendre que le réalisateur traite le couple Su-Mi/Su-Yeon comme un seul protagoniste. Les face à face entre les soeurs et Eun-Joo sont faussés par une instabilité de l’échange oral, et de la même manière le père ne semble jamais s’adresser directement à Su-Yeon ou se préoccuper du comportement de sa nouvelle femme. Pire encore, lors d’un repas amorcé avec humour pour mieux nous frapper d’effroi, il apparaît impossible que les deux soeurs soient réellement dans la maison. Ce sont autant de pensées qui surgissent à la première vision du film, et qui plongent le spectateur au sein d’un dialogue surréaliste entre chacun des membres de cette famille pervertie, d’autant plus éprouvant à suivre qu’il est traversé d’apparitions terrifiantes.
Puis en cours de route, 2 Soeurs dévoile brutalement l’un de ses secrets (accompagné d’une superbe fragilisation de l’image). Le spectateur perd pied avec une réalité déjà largement noyautée, et redoute d’autant plus les effets d’épouvante qu’il peine déjà à trouver son souffle au coeur de ce maëlstrom de sentiments, non-explicités et pourtant hautement démonstratifs, dont la cohésion glisse toujours plus loin hors de sa portée. La pénible réalité à laquelle il tentait de s’accrocher s’étiole par pans entiers, dans un jeu aggressifs de retournements qui font paradoxalement du film un véritable cauchemar, alors que toute trace d’influence paranormale s’évapore.
"Un jour, tu regretteras cet instant."
On pourrait reprocher à Kim Jee-Woon de pousser le spectateur trop loin, de l’entraîner trop longuement dans un épilogue dont l’ultime compréhension - un noeud narratif d’une méchanceté rare - serait presque trop éprouvante. Mais ce serait - du moins pour ma part - être malhonnête, car sous cette forme insaisissable, 2 Soeurs s’impose justement comme un traumatisme émotionnel précieux. Une expérience de peur et de douleur comme on en vit rarement (peut-être vaut-il mieux d’ailleurs !), qui se pare d’atouts esthétiques et techniques irréprochables pour mieux aspirer les proies faciles que nous sommes.
2 Soeurs se joue à la fois de nos peurs les plus simples - un peu à la manière de Ju-On - et d’une connaissance du cinéma d’épouvante qui tourne forcément en notre défaveur ; c’est cette évidente malhonnêteté qui en fait une aussi cinglante et terrifiante réussite.
Diffusé en avant-première dans le cadre d’une rétrospective Kim Jee-Woon lors des premières Rencontres du cinéma asiatique de Paris, A Tale of Two Sisters existe en double DVD coréen chez Metro et en DVD HK chez Panorama Entertainment.
La sortie du film est par ailleurs prévue sur nos écrans courant juin 2004.


