2046
The Magic Moment
This magic moment
While your lips are close to mine,
Will last forever,
Forever, ’til the end of time
(Lou Reed)
Après quatre années d’attente, l’objet tant convoité
est enfin devant nos yeux. L’éblouissante réussite du
précédent opus In the Mood for Love pouvait faire
craindre une déception, il n’en est rien. 2046 est le
film le plus ambitieux de Wong Kar Wai depuis Ashes
of Time. A ce titre, il est pour le spectateur un
film plus exigeant que le précédent, dans lequel
l’identification avec le couple était beaucoup plus
aisée. Ce projet, le réalisateur le porte depuis le
dyptique que devait constituer Nos Années Sauvages, et
qui avait trouvé son amorce de concrétisation avec
Ashes of Time.
Cette troisième réalisation s’était révélée un échec,
malgré ses nombreuses qualités, en raison du trop
grand nombre d’interactions entre les différents
personnages et de la complexité de sa structure
temporelle. Wong Kar Wai était ensuite revenu à des
structures narratives plus simples pour peaufiner son
ouvrage et aboutir au diamant finement ciselé que
constitue In the Mood for Love. Restait alors à créer une parure : 2046.
L’évolution entre In the Mood for Love et 2046 peut se comparer au chemin parcouru entre Les Affranchis et Casino pour Scorcese. Ce rapprochement n’a rien d’incongru entre deux des plus grands stylistes du cinéma contemporain. Dans ces deux duos de films, les sujets sont proches, mais la perspective et le style plus ambitieux.
Chow (Tony Leung) est un journaliste/écrivain qui
raccompagne à son hôtel une ancienne connaissance,
Loulou/Mimi, (Karina Lau) qui loge dans la chambre
n°2046. Coïncidence, il a vécu une histoire d’amour
(racontée dans In the Mood for Love) dans une chambre portant le même numéro, et décide de s’installer dans cet hôtel.
Nous suivons Chow au gré de ses différents flirts, qui servent selon ses dires à faire passer le temps. 2046
est également le lieu imaginaire du roman de science
fiction écrit par Chow, où les souvenirs demeurent
inchangés. Finalement, après y être parvenu et sans
avoir avoir retrouvé l’être aimé qui pensait-il
l’attendait, le héros très autobiographique du roman,
souhaite en repartir.
Wong Kar Wai ne se répète pas ou plutôt il se répète toujours. Ses précédents films n’étaient que des
ébauches de 2046. Des liens thématiques, mais
également des liens organiques, les rattachent.
Une nouvelle fois les personnages de Wong Kar-Wai sont
à la recherche de ce moment magique de la fusion des
âmes qu’ils n’ont pas su saisir. Ils s’aperçoivent
trop tard que ce qu’ils cherchaient était à portée de
main, et en retrouvent l’écho nostalgique au gré de
leurs rencontres.
Si les rencontres avec ces différentes femmes
provoquent ces réminiscences chez Tony Leung, Wong
Kar Wai offre les mêmes sensations aux spectateurs qui
connaissent son oeuvre. Lors des retrouvailles entre
Tony Leung et Karina Lau, Siboney de Xavier Cugat joue
en fond sonore dans le night-club et plonge le
spectateur dans l’atmosphère de Days of Being Wild. Il peut ainsi d’autant plus partager l’émotion de Loulou.
Cette scène est une des plus belles du film.
Formaliste selon certains, Wong Kar Wai montre à cette
occasion, puis lors d’autres au cours du film, qu’il
sait aussi oublier sa maestria technique pour laisser
parler l’émotion. Le bruit de la discussion devient
inaudible et la caméra se concentre sur les yeux
rougis de Carina Lau, qui se remémore son histoire
malheureuse avec Yuddi. Emotion garantie.
D’autres scènes où Wong Kar Wai place le spectateur
dans la position de Chow parsèment le film. Tony
Leung filmé de dos se peigne comme dans la dernière
séquence de Days of Being Wild, lorsqu’il se prépare pour aller jouer. Peut être dans le tripot de Singapour où l’on le retrouve dans 2046...
De tels échos existent également à l’intérieur du
film. La présentation des principaux personnages au
début de 2046 prend dans ces condictions un relief
particulier. Lors de la réapparition ultérieure de ces
séquences, en entier ou en partie, elles seront pour le
spectateur de vieilles connaissances. Ainsi, la main
gantée de noir de Gong Li qui glisse le long de la
rambarde de l’escalier de son appartement. La main de
Tony Leung y circulera également. Ce montage et le
choix de centrer le scénario sur un seul homme, même
dédoublé, à la différence de Ashes of Time, rendent le film beaucoup plus lisible.
Le thème du double, récurrent chez le réalisateur
Hong-kongais, dont les films vont souvent également
par paire, est une nouvelle fois présent. Le personnage
interprété par Zhang Ziyi se transforme au cours de
l’histoire en alter ego féminin de Chow. Son destin
est peut être de devenir comme l’autre courtisane du
film, Loulou. La fin de 2046 répond de cette manière à
son commencement...
Par ailleurs, l’attirance ressentie par Chow pour Su
Li Zhen (Gong Li) n’est pas seulement dûe à son nom,
le même que celui de son amour perdu, mais aussi à
la reconnaissance de leur destin commun. “Si tu
arrives à te débarrasser de ton passé vient me
retrouver”, déclare Tony Leung à Gong Li, pour
finalement s’avouer que ce conseil s’adresse à
lui-même. Chow se consume dans l’amour des femmes, et
Zhu Li Zhen dans le jeu.
Je vous rassure sans vous en dire plus, Wong Kar Wai
laisse filtrer cependant un peu d’espoir.
Chose nouvelle pour lui, Wong Kar Wai fait preuve d’une
saine auto-dérision. Lui qui est connu pour son goût
immodéré des horloges dans ses films, s’amuse à
décompter jusqu’à l’absurde le temps passé par
l’écrivain devant sa page blanche. Une heure annonce
l’intertitre, puis dix, puis cent... Référence aux
nombreuses années que 2046 a nécessité pour voir le
jour, et à la difficulté de la création.
Les scènes très soignées sur le plan montage, du
cadre, de la musicalité qui sont la signature de Wong
Kar Wai, sont partie intégrantes de 2046, mais il évite
le piège du morceau de bravoure. La scène
emblématique de In the Mood for Love - la danse des corps qui se frôlent dans l’escalier, filmée au ralenti - superbe au demeurant, n’a pas d’équivalent dans 2046.
Les palettes, musicales et de couleurs, du film évoluent au
gré des personnages et de leurs émotions. On y
retrouve les différentes atmosphères créées par le duo
Wong Kar Wai/William Chang dans Days Of Being Wild,
Happy Together, In the Mood of Love.
Film sur la femme, sur les femmes, Wong Kar Wai nous
gâte. Si Zhang Ziyi confirme son talent, et a reçu des
louanges méritées pour sa prestation de courtisane,
Gong Li fait forte impression dans le rôle
beaucoup plus ingrat de Zu Li Zhen. Mes hommages à
Karina Lau, Faye Wong et à Maggie Cheung, qui si elle
n’imprime la pellicule que quelques secondes, est
finalement le personnage le plus important du film.
Quant à Tony Leung...
Wong Kar Wai a rassemblé pour ce film la meilleure
bande originale de sa carrière. On y retrouve certains
classiques wongien comme Xavier Cugat pour la musique
latinos ou Nat King Cole. Il rend également hommage au
cinéma européen avec des morceaux composés par le
musicien attitré de Fassbinder, Peer Raben, et la
reprise d’un thème de Vivement Dimanche. Sway
chanté par Dean Martin est aussi un bijou.
2046 marque la fin d’un cycle, le plus dur reste à
faire, Wong Kar Wai doit maintenant se réinventer.
Voir aussi l’article d’Agnes.






