30 jours de nuit
Barrow, Alaska, la ville la plus au nord des Etats-Unis. Alors que le soleil s’apprête à se coucher pour la dernière fois avant 30 jours de nuit, le sheriff Eben Oleson se retrouve face à une recrudescence inexplicable des actes de vandalisme sur sa commune. Des téléphones portables volés puis retrouvés brûlés, tous les chiens de traineaux de la communautés exécutés, l’hélicoptère local réduit en pièces détachées… il semblerait que, un à un, les moyens de communication de Barrow, séparée par des centaines de kilomètres de neige de la ville la plus proche, soient supprimés. Stella Oleson, femme légale d’Eben mais séparée, effectue un rapport sur Barrow et s’apprête à prendre l’avion pour Anchorage, mais un accident l’empêche de rejoindre l’aéroport avant sa fermeture. La voilà donc coincée avec quelques 150 habitants au bout du monde, sous une tempête de neige. 150 hommes, femmes et enfants, plus une menace de plus en plus présente, le vandalisme se transformant en meurtres barbares. En quelques heures, la population est réduite à une poignée de survivants par un groupe de vampires. Il leur faut désormais survivre 30 jours à ce siège sanglant…
A l’origine de 30 jours de nuit, le travail à la fois novateur et classique de l’un des plus importants duos du comics contemporain, Steve Niles & Ben Templesmith. Le premier, scénariste stakhanoviste, est en passe de devenir le Stephen King de l’histoire illustrée, signant plusieurs titres par mois. Le second, illustrateur tout aussi féru de travail, que certains auront découvert il y a quelques années au travers de son travail sur Hellspawn (déjà avec Niles), est certainement l’un des fils spirituels les plus extraordinaires de Bill Sienkiewicz, tellement familier d’une horreur moderne et viscérale qu’il fut aussi le premier à décliner sur papier l’univers de Silent Hill. Son trait simpliste, crayonné rapide, est sublimé par un travail de colorisation à la fois brouillon et technique, usant de textures, de gerbes de peintures et autres montages numériques pour créer des ambiances particulièrement saisissantes. 30 jours de nuit donc, a certainement contribué à faire du logo d’IDW Publishing, éditeur indépendant, une estampe durable face aux géants DC et Marvel. Premier volume d’une saga désormais épique, c’est une histoire restreinte et fulgurante, au rythme rapide, et basée sur l’exploitation pertinente de deux idées simples. La première est une période nocturne prolongée en Alaska, propice à l’assault des saigneurs de la nuit ; la seconde tenant du spoiler, vous ne la découvrirez qu’en lisant le livre ou en regardant le film – il s’agit toutefois de l’un des ajouts les plus brillants à la mythologie vampirique. 30 jours de nuit est avant toute chose une palette, une série B éminement picturale, certainement construite dans l’idée de mettre en scène sa remarquable conclusion. Volontairement simpliste, rapide, concise, brutale. Comment étendre un tel concept à une adaptation en long-métrage ?
Adapté tel quel, à la lettre, le livre de Niles et Templesmith n’aurait fourni qu’un canevas pour un moyen métrage. Le réalisateur David Slade (Hard Candy) et son équipe de scénaristes – parmi lesquels Niles, bien entendu – ont donc retravaillé l’histoire pour qu’elle convienne au format long-métrage, la transformant plus ou moins radicalement sans pour autant en perdre l’essence, la défigurer ou dénaturer la brutalité merveilleuse de sa conclusion accélérée. Avec pour influence principale, très certainement, l’œuvre d’un certain John Carpenter, tant 30 jours de nuit, le film, possède quelque chose d’Assaut mâtiné de The Fog, avec une touche de The Thing (la palette du film, la neige, l’ajout des chiens de traineaux par lesquels la violence rentre dans le champ).
L’influence de Carpenter se retrouve jusque dans les modifications apportées aux personnages. Ainsi le premier « étranger » rencontré en ville n’est-il pas un vampire mais leur intermédiaire, saboteur officiel, intervention normale précédant l’arrivée du surnaturel. Le couple Oleson, solidaire dans le livre, est séparé dans le film ; une situation d’instabilité chère aux films d’horreur et au cinéma de Carpenter. Femme forte dans le comics, Stella est plus fragile sur grand écran. Ce qui pourrait être un problème pour d’éventuelles adaptations des autres tomes de la BD, si le regard véhiculé par les dernières images du film ne trahissait une telle évolution, une telle prise de conscience de la part de Stella / Melissa George. Preuve que David Slade connaît l’ensemble de l’univers originel, et que son adaptation a été conçue dans l’idée d’une cohérence globale et respectueuse de la réappropriation. Les vampires enfin, pas moins organisés, sont moins locaces et explicites que leurs équivalents illustrés ; mais leur réalité, elle, est bien la même.
Cette « réalité » qui est au cœur de la conception « Nilesienne » du fantastique (voir la merveilleuse approche mythologique de Criminal Macabre, qui parvient habilement à refaire du neuf avec du vieux) est l’essence de la réussite de 30 jours de nuit. La réalité des vampires au sein de la ville de Barrow, cadre pictural parfait pour un film d’horreur, Slade nous l’assène avec puissance et sauvagerie, avec une brutalité démoralisante résumée dans un plan aérien qui n’est pas sans rappeler la prise de recul aérienne du remake de Dawn of the Dead par Zack Snyder. Le sang sur la neige, composante graphique essentielle du livre, y apparaît comme une signature visuelle durable, à même de symboliser ce nouveau mètre étalon de l’horreur vampirique.
30 jours de nuit ne serait rien sans son final savoureux, idée grandiose merveilleusement retranscrite par David Slade, mais aussi sans sa ville, devenue véritable personnage du film (un autre trait commun avec l’œuvre de Carpenter, féru de l’horreur « localisée »). Les visuels presque monochromes sont magnifiques, d’autant plus sublimes lorsqu’ils sont teintés par un feu destructeur, à même d’éclairer la résolution de l’histoire. Les acteurs enfin, ont été bien choisis : Josh Hartnett incarne un Eben parfaitement latent, tandis que Melissa George, après Turistas, continue de s’affirmer comme l’une des plus belles actrices de l’horreur contemporain. Effrayant, violent, sans concession et parfaitement conçu, avec une conscience étonnante de son potentiel visuel et de ses contraintes narratives et budgétaires, 30 jours de nuit est une réussite remarquable, le premier chef-d’œuvre d’une mythologie qui, ayant franchie le pas du comics au grand écran, est désormais apte à jouir du rang qui lui revient : celui d’un nouveau référentiel moderne, aux côtés de ce pilier incontournable qu’est l’édifice Silent Hill.
30 jours de nuit est sorti sur les écrans français le mercredi 9 janvier 2008.



