8000 Miles 2
Surfant sur la vague du mini succès de l’étonnant 8000 Miles, et son trip hip-hop campagnard décalé, le cinéaste Yû Irie s’est empressé de prolonger sa déconstruction du rap movie contemporain en signant une improbable suite à son univers attachant et désenchanté. Toujours ancré dans les recoins champêtres de la banlieue nord de Tokyo (Gunma), il substitue au groupe masculin Sho-Gung, constitué des jeunes glandeurs banlieusards Ikku, Tom et Mighty, le girls band B-Hack et son gang de cinq rappeuses pittoresques et nostalgiques.
Loin de se départir des intentions qui avaient fait de 8000 Miles une sorte de négatif original et réjouissant de sa lointaine contrepartie américaine, Yû Irie poursuit son geste contrapuntique, livrant tout à la fois une vision jumelle à la trame narrative similaire, ainsi qu’une œuvre à la tonalité différente. Plutôt que d’opérer une simple délocalisation de son récit en dupliquant son schéma narratif par une plate féminisation de ses protagonistes, le cinéaste a l’intelligence de prolonger le lien affectif établi par son précédent métrage avec ses deux figures dominantes, Ikku (Ryusuke Komakine) et Tom (Shingo Mizusawa). Ces derniers vont alors servir de judicieux vecteurs de transition. Une transition qui va également s’opérer dans le ton du film, dont l’emblématique confrontation masculin/féminin va servir de catalyseur dynamique d’un récit à l’énergie chaleureuse et à la légèreté plus affirmée.
8000 Miles 2 fait de ses deux étourneaux en vadrouille, venus en pèlerinage dans la région voisine sur les trace d’un rappeur légendaire décédé prématurément, les déclencheurs d’une rencontre jubilatoire accentuant la verve comique du film. Lors d’une des plus belles séquences, les deux entités vont se retrouver pour la première fois, au hasard de leurs cheminements collectifs, réunis sur les lieux d’un recueillement symbolique, matérialisé par une simple plage en bordure de rivière, sur laquelle trône un imposant rocher à l’apparence d’un visage humanoïde. C’est alors que le cinéaste va en profiter pour tester les limites de son dispositif créatif et de sa mise en scène. Telles des virtuoses de l’improvisation, les deux groupes s’affrontent à coups de rimes et de "punch lines" désopilants, pour le plus grand bonheur du spectateur pris dans un tourbillon de compétition lyricale drôle et décalée sur fond de bande-son rap énergique. Là encore Irie tente de proscrire tout “surdécoupage”, réflexe évident à la mise en scène d’un tel ping-pong verbal. Il cherche à filmer dans sa continuité le développement de cette séquence climax ambitieuse, à la construction progressive astucieuse passant par tout un prisme d’émotions. Mais la caméra portée de Kazuhiro Mimura, certes plus fluide, emportée par le déluge rythmique ne parvient à éviter certaines coupes, comme le signe d’une certaine impuissance à boucler ce tour de force cinématographique, qui rappellerait presque par certains aspects les prouesses tentées dans les années 80, à force de répétitions calculées, par le grand Shinji Sômai. Cette séquence devenant aussi le signe d’une évolution, plus démonstrative, et contrastant avec la rigueur et la simplicité adoptée par 8000 Miles. Pour autant, l’œuvre n’abandonne jamais cet enthousiasme forcené qui, face à l’adversité, permettait à Ikku de garder espoir en la vie et ne jamais abdiquer son rêve de jeunesse.
On retrouve certes une certaine symétrie dans la narration, mais le traitement des personnages féminins devient ici résolument plus digne et moins pathétique que leur contrepartie masculine, même s’il s’avère en réalité plus “pop” et moins musicalement authentique. On y retrouve aussi en toile de fond la ruralité, et son contexte social qui minait les rêves de jeunesse des protagonistes de 8000 Miles. Un contexte cette fois amplifié par la crise financière généralisée, perceptible à travers la situation du personnage joué par Momoko Andô, obligée de s’endetter déraisonnablement auprès d’usuriers mafieux. Mais aussi de la condition des femmes à travers l’une des jeunes filles travaillant dans un salon de massage. Irie ne manque toutefois pas de souligner le courage et la force de caractère de ces jeunes filles rayonnantes pour qui l’on ressent au delà de l’affection, une franche admiration. Cette vision entraîne ainsi l’auteur à privilégier le ton comique et léger, au détriment du pathétisme tragi-comique illustré par les vies insignifiantes d’Ikku et Tom. Le cinéaste en profite également pour se jouer avec humour des poncifs émaillant habituellement le rapport entre femmes et culture hip-hop. Loin des potiches hyper sexualisées émaillant les clips de rap américains, la jeune héroïne pleine d’abnégation interprétée par la révélation Maho Yamada, tient davantage du garçon manqué avec sa coupe au bol et ses lunettes cerclées de métal que d’une Barbie pulpeuse à la chevelure ondulée ; bien que certaines de ses consœurs n’en soient pas si éloignées. Mais pour autant, chacune fait face à la réalité sociale dans laquelle elle se débat, leurs difficultés contrastant avec l’irresponsabilité et la futilité des personnages masculins.
Même si elle s’avère ici plus dynamique et colorée, bénéficiant de moyens plus confortables (notamment dans les lumières et le passage à la HD), la mise en scène d’Irie poursuit sa déconstruction des cannons de la mise en image de la culture hip-hop. Lors d’une scène étonnante il démontre encore toute son originalité en appliquant une austérité formelle inversement proportionnelle à son contexte, lorsqu’il se met à filmer les B-hack interprétant leur ancien tube lors d’un petit gig obtenu dans une piscine municipale. Les jeunes femmes se retrouvent alors à devoir entonner leur chanson sur le carrelage d’une piscine découverte, vêtues de ridicules maillots de bain colorés. Là encore, la caméra statique à l’imperceptible travelling avant, placée de face montrant au loin le groupe avec son public au premier plan dans un jeu de mise en abîme, joue à merveille de la distanciation, créant de l’émotion par un simple décalage entre choix de mise en scène, et expectative d’une situation cocasse, visuellement traitée de façon atonale et inventive. Il y a pourtant par moments une certaine facilité, notamment lorsqu’Irie déroge à la règle du gros plan proscrit du métrage précédent, et qu’il tombe dans la banalité sentimentale en montrant les larmes de la jeune protagoniste, demeurée seule devant la stèle symbolique, sur le point d’abandonner ses rêves. De même, la scène finale, servant à nouveau de climax épilogue, semble moins percutante et plus poussive dans sa gestion émotionnelle que ne l’était 8000 Miles.
Avec 8000 Miles 2, Irie offre un prolongement intéressant à son expérimentation précédente, signant ainsi le premier film rap féminin Japonais. Moins rigoureux mais toujours armé d’une espérance aussi farouche, il évite avec soin les clichés attendus et préfère traduire avec davantage d’humour et de légèreté l’émotion et l’attachement sincère qu’il voue à ces être simples aux rêves modestes, s’accrochant désespérément à la fugacité de leur jeunesse contre l’imposant conformisme socio-familial.
Site officiel du film (en Japonais) : http://sr2.sr-movie.com
8000 Miles 2 a été présenté dans la section Nippon Digital au cours de la 10ème édition du Festival du film Japonais de Francfort Nippon Connection (2010).






