Aditya Assarat
Wonderful Town d’Aditya Assarat sort sur les écrans français le 5 mai. Ce premier film du réalisateur thaïlandais s’est fait remarquer dans les festivals (Pusan, Rotterdam, Deauville) comme cela avait déjà été le cas de ses courts métrages. Comme son compatriote Pen-ek Ratanaruang, le réalisateur thaïlandais a fait ses études aux Etats-Unis avant de revenir travailler dans son pays natal. Aditya Assarat a évoqué avec Sancho son parcours de jeune cinéaste et la genèse du film.
Sancho : Qu’est ce qui vous a poussé à vouloir devenir réalisateur ?
Aditya Assarat : J’ai étudié le cinéma à l’université de Californie du sud. Mais c’est au cours de mes études à l’université de New York que j’ai commencé à regarder beaucoup de films et décidé de devenir metteur en scène. Un de mes films préférés est Yi Yi d’Edward Yang. Je voudrais être capable de réaliser un film comme celui-là.
Vous avez travaillé à Hollywood avec la réalisatrice d’origine indienne Mira Nair pendant un an. Que vous a apporté cette expérience ?
A cette époque, j’étais déjà un professionnel du cinéma. J’avais réalisé des courts-métrages et des vidéos et savais quel type de films je souhaitais faire. Vous savez, réaliser un film, une grosse ou une petite production, au final le réalisateur se retrouve avec une caméra et parle à ses acteurs.
J’ai été plus intéressé par le fonctionnement d’une importante production. Faire un film à Hollywood, comme dans le cas de Mira Nair, revient à faire des affaires, le côté artistique disparaît pratiquement. Elle est entourée d’agents, de managers.... Je ne dis pas qu’elle n’est pas une artiste. J’ai découvert comment elle gérait cet aspect du métier et comment en tant que productrice, elle devait trouver le temps d’être une artiste.
Quelle est la genèse de Wonderful Town ?
J’en ai eu l’idée lors d’un séjour dans une ville du sud de la Thaïlande, Takua Pa. Il y régnait une atmosphère particulière et, en tant que réalisateur, j’ai toujours été intéressé par les lieux et les atmosphères. Cette ville est très vieille et triste, il n’y restait pratiquement plus que les gens âgés et les enfants. Les jeunes étaient partis à la ville pour trouver du travail. Comme l’amour est un sentiment juvénile, j’ai pensé qu’elle conviendrait bien comme cadre à une histoire d’amour. J’aime ce contraste entre une vieille ville et une histoire d’amour.
Mon sentiment à l’issue de la projection est qu’il s’agit d’un film de fantômes sans fantômes...
Oui, un film de fantômes différent. Dans Wonderful Town, la mémoire du tsunami joue le rôle du fantôme. C’est quelque chose de fort qui appartient à la fois au passé et au présent comme un fantôme. Les habitants ressentent constamment sa présence, mais ne l’aperçoivent jamais.
Est-ce pour cette raison que vous donnez peu d’indications sur le passé malheureux des personnages ?
Je ne voulais pas faire un film sur le tsunami. Lorsqu’il s’est produit j’étais à Bangkok et j’ai vu les images à la télévision. J’ai simplement voulu faire un film dans cette ville. Avec la femme et l’homme, elle est le troisième personnage principal du film. De la même façon que vous devez évoquer le passé du couple, vous devez aussi parler de celui de la ville. Il était impossible de faire un film sur Takua Pa sans faire référence au tsunami.
Lorsque vous avez écrit le scénario, vous saviez déjà comment vous alliez le filmer ?
Chaque film a son rythme propre et je pense qu’un film de ce genre doit adopter un rythme lent. La vie se déroule lentement dans la ville, et il faut du temps pour que des personnes tombent amoureuses. Et en qualité de spectateur, j’apprécie les films qui prennent leur temps.
Vous avez procédé à beaucoup de changements au cours du tournage ?
C’est mon premier film et j’ai fait des erreurs. Parfois, vous écrivez une scène et sur le tournage ou au montage, vous vous apercevez qu’elle ne fonctionne pas. Mon premier montage ne me plaisait pas et j’ai fait des coupes, mais le film est devenu trop court. J’ai donc dû retourner des scènes. Mais j’ai beaucoup appris : devenir metteur en scène consiste à s’adapter aux aléas du tournage.
Quelle est la principale difficulté dans la réalisation d’un long-métrage par rapport à un court-métrage ?
C’est très fatigant et vous demande beaucoup d’énergie. Un court-métrage ne demande que trois, quatre ou cinq jours de travail. Un long-métrage nécessite 25 ou 30 jours et vous devez beaucoup réfléchir. En tant que réalisateur, vous subissez une pression importante. Et même si vous êtes très fatigué parce que vous ne dormez que quatre ou cinq heures par nuit, vous ne pouvez pas interrompre le tournage pendant une journée car l’argent file.
Quels conseils donneriez vous à quelqu’un qui veut réaliser son premier film ?
Je lui conseillerai de faire un film à petit budget avec un nombre restreint de lieux de tournage et de personnages. Il faut aussi mettre en scène un sujet qui vous motive réellement. Le fait que ce projet vous tient à cœur vous permet de tenir lors des moments difficiles.
Pourquoi avez-vous choisi d’utiliser des acteurs non professionnels ?
En raison de notre petit budget et parce qu’il s’agit d’un film sur des gens normaux. Ce n’est pas un film commercial produit à l’aide d’une importante société de cinéma qui aurait souhaité des actrices ou acteurs célèbres. Si mon prochain film est financé par une société de premier plan, je ferais peut être appel à des acteurs plus connus. Mais sur une petite production, il y a tant de problèmes que la présence d’acteurs célèbres en provoquerait d’autres. Ils coûtent chers, leur agenda est chargé... Les acteurs sont des gens payés pour jouer, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont bons. Quand vous réalisez votre premier film, rendez vous la vie la plus simple possible : travaillez avec vos amis, utilisez des acteurs non professionnels... Le plus important est de parvenir à réaliser votre objectif artistique et cela n’a rien à voir avec la présence d’acteurs de premier plan.
Pourquoi, étant donné la fin du film, la ville est quand même « formidable » ? (attention, spoiler !)
Quand j’ai écrit le scénario, l’histoire finissait déjà ainsi. J’ai toujours voulu faire une tragédie. Même si les jeunes tuent l’homme, ils ne le connaissent pas vraiment et ne le détestent pas. Ils commettent un acte de violence sans savoir pourquoi, juste parce qu’ils sont jeunes, stupides et désorientés. Ils n’ont ni rêve, ni travail. Ils sont si pleins de colère qu’ils doivent trouver quelque chose pour se défouler. Je ne pense qu’il s’agit d’un phénomène universel. Et le tsunami qui a touché cette ville n’a fait que renforcer cette frustration en raison des nombreuses personnes qui sont mortes. Généralement, suite au décès de quelqu’un, vous cherchez un bouc émissaire. Or dans ce cas, on ne peut jeter le blâme sur personne car il s’agit d’une catastrophe naturelle. L’homme est arrivé en ville, ils ont alors trouvé quelqu’un à accuser. Après ses "funérailles", je pense que la ville va pouvoir repartir de l’avant.
Remerciements à Matilde Incerti et Audrey Tazière.
Photos d’Aditya Assarat : Kizushii.




