After Life
Tresspassing, inc.
C’est un lundi comme un autre dans une administration tout sauf ordinaire : Takashi, Shiori, Satoru et leurs collègues s’apprêtent à recevoir une vingtaine de défunts, pour une semaine transitoire avant de rejoindre l’au-delà. Au cours des quelques jours dans cet intermède bureaucratique, purgatoire pas forcément douloureux de considération de soi, les défunts devront choisir un souvenir, un seul, avec lequel passer l’éternité à venir, au détriment de toute autre émotion passée. Les conseillers, qui les assistent dans leur choix au travers d’une écoute généreuse, se chargeront alors de mettre ce souvenir en images, à la visualisation desquelles les âmes contentées s’en iront pour un ailleurs de longue durée. Parmi les reçus, d’aucuns trouvent facilement chaussure à leur éternité, tandis que d’autres peinent à faire un choix ; quand ils ne refusent pas simplement de s’adonner à un exercice forcément réducteur.
Aujourd’hui célébré de par le monde et les festivals les plus en vue, Hirokazu Kore-Eda est encore, à peu de choses près, inconnu de par chez nous lorsqu’il tourne After Life, fable optimiste sur la vie après la mort, qui s’attache à puiser dans l’instant, anodin et éphémère, une éternité fondatrice à la partialité bienveillante. Conciliant légèreté et gravité, humour et émotion, Kore-Eda déploie un cinéma au service de la mémoire positive, résume les êtres dans la mise en scène de souvenirs qui se substituent à leurs modèles, au point de redéfinir ceux qui y trouvent le contentement d’une existence charnelle achevée. Ce faisant, le réalisateur souligne l’impossible exhaustivité de la forme cinématographique, tout en insistant sur l’omnipotence de sa représentation réfléchie : l’essence même du cinéma, qui pour toute chose puise dans la conscience et l’inconscience de ceux qui le construisent et le regardent, retranscrivant le global par le détail symbolique.
Pour ce faire, Kore-Eda parvient à éviter l’écueil d’un cinéma frigide et théorique, contourne un entre deux-monde potentiellement Kafkaïen et livre un film posé plutôt que lent, dans lequel St Pierre serait un salaryman empathique, dévoué à l’accomplissement de l’autre. Mis en scène sans fioriture ni hyper-réalité, n’abusant ni de musique ou mouvements complexes, After Life se regarde comme une utopie subtile, dans laquelle l’intelligence sociale, d’êtres aptes à évincer les fautes de chacun, pallie à tout besoin religieux, et où seule la reconnaissance de soi ouvre les clefs d’une conception étonnante du paradis, en marge de toute notion de bien ou de mal. Implicitement, dans le superbe parcours d’un Takashi confronté à son histoire interrompue – je ne vous en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher la (re)découverte du film – Kore-Eda, en insistant sur l’importance de l’ouverture à l’autre, assied le potentiel réconciliateur d’un cinéma humaniste, sans aucune niaiserie ou misérabilisme. L’omission du négatif, loin d’être une faute, étant une qualité dont chaque spectateur devrait, tôt ou tard, savoir se munir.
La grande force d’After Life est de savoir déployer l’objectivité au travers de la subjectivité d’individualités esquissées, d’amours frustrés et autres bribes relationnelles ; tout en trûchant sa narration de considérations sur sa propre forme, comme l’illustre si joliment le banc de montage de l’éternité d’un indécis, confronté aux improbables bandes VHS – une par année – qui constituent l’archive de sa vie, et dont ne devra subsister qu’un plan reconstitué, incarnation immortelle de la mémoire individuelle, offerte au collectif. Wonderful Life est le titre original de cet After Life qui emploie son énergie et celle de ces protagonistes – exceptionnels Arata et Susumu Terajima – à ce que chaque vie, au bout du compte, apparaisse justement merveilleuse ; un qualificatif que l’on retourne sans hésiter au film lui-même.
After Life est disponible en DVD français chez Potemkine & Agnes B. DVD depuis le 4 août dernier. L’image n’est pas anamorphique mais qu’importe, puisque le film s’affranchit de toute esbroufe. En guise de supplément, une analyse de Charles Tesson que je n’ai pas regardée, préférant conserver un moment mon intimité avec le film.
Remerciements à Emmanuel Vernières et Potemkine & Agnes B. DVD




