Antarctic Journal
Une équipe de six hommes menée par l’impassible Capitaine Choi (Song Kang-Ho) foule la glace de l’Antarctique, dans le but d’accomplir un exploit rare : atteindre un endroit tellement éloigné, qui plus est plongé dans une température de -80°C, qu’il porte le nom, explicite, de point de non-accessibilité. Le début du voyage se fait dans la bonne humeur, jusqu’à la découverte d’un étrange journal, tenu par une expédition anglaise similaire à la leur - six hommes ayant relevé le même défi - dans les années 1920. D’étranges évènements commencent alors à se produire, et la peur monte au sein du groupe. Mais Choi refuse d’appuyer sur le bouton qui leur permettrait de s’extraire de cet enfer blanc...
De tous les films présentés au cours de la 8ème édition du Festival du film asiatique de Deauville - Loft de Kiyoshi Kurosawa mis à part -, Antarctic Journal est certainement le plus inclassable. Ni film d’aventures, ni film d’horreur, mais quelque part entre les deux, cette première réalisation du jeune Yim Phil-Sung est assurément, quoiqu’on en dise, un film réussi, d’ambiance et de trouille.
Dès les premières images enneigées, Antarctic Journal instaure une ambiance particulière. La partition simple (et non pas simpliste) de Kenji Kawaï, pour peu qu’elle bénéficie d’une restitution démesurée de ses basses fréquences (ce qui est toujours le cas dans la salle du CID à Deauville, avis aux amateurs), assied le spectateur dans un état d’incertitude, entre la béatitude procurée par les paysages et le pied de basse qui, revenant en boucle, se ressent physiquement comme un signal d’alarme. Introduction rapide, avec un compte à rebours qui renforce encore cette angoisse sans fondements : nos six héros n’ont qu’une soixantaine de jours pour parvenir à leur fin, avant de se retrouver plongés dans une obscurité totale de six mois. Puis, sourires et enthousiasme aidant, l’ambiance s’allège. On en oublierait presque la menace esquissée en introduction, si ce n’était pour la présence angoissante de l’acharné Capitaine.
Choi, interprété par un Song Kang-Ho que l’on sait effrayant depuis le chef-d’œuvre de Park Chan-Wook, Sympathy for Mister Vengeance, incarne la seule source tangible d’effroi - car identifiée - pour le spectateur. Sa volonté inhumaine, le secret qui semble l’attirer vers le néant, son manque de considération pour la douleur et la peur ressenties par les autres... A l’image du film entier, Choi est limitrophe - entre l’aventurier et le monstre, entre le sur- et le sous-homme. Ses face-à-face avec le reste du groupe et notamment le jeune Kim (Yu Ji-Tae), glâcent le sang, par leur égoïsme et leur violence sous-jacente. Choi n’est pas un leader à proprement parler, tout au plus une locomotive qui, à défaut de savoir instaurer une dynamique de groupe, sait imposer le mouvement de l’ensemble. Et l’entraîner vers son inévitable destruction.
Pour nous immerger dans la peur panique, Choi est assisté des paysages et du climat d’une Nouvelle-Zélande magnifiquement travestie en Antarctique, ainsi que de notre imagination. Reprenant au Projet Blair Witch la force de son flou narratif, tout en le resituant dans un cadre ultra-réalisé, Antarctic Journal développe une peur qui est celle de l’incertitude : ces hommes sont-ils en train de vivre un cauchemar ? Sont-ils sous l’épée de Damoclès d’une menace fantastique, ou simplement perdus dans une hallucination collective ? Pas moyen de le savoir, d’autant que le regard incarné que la glace porte sur ses prisonniers au cours du film est rendu difficilement reconnaissable... monstres ? Extra-terrestres ? Ou, à l’image du journal éponyme, simples vestiges du passé ?
Yim Phil-Sung nous entraîne ainsi, dans une arythmie déstabilisante - certaines scènes sont très longues, d’autres si rapides qu’elles semblent tronquées - vers une incarnation de cette hésitation, entre la peur imaginaire et la peur réelle, conscient que la première est certainement la plus efficace. Antarctic Journal reste donc volontairement flou jusqu’au bout et c’est tant mieux : à défaut de livrer une explication aux évènements vécus par ces damnés de l’extrême, il offre à vivre un cauchemar d’une beauté froide et fascinante.
Présenté dans la section Panorama du 8ème Festival du film asiatique de Deauville, Antarctic Journal est disponible en DVD coréen, sous-titré anglais.



