Assaut sur le central 13
Il y a des jours où toute croyance en ce que doit être le cinéma nous abandonne - après de sombres merdes comme Alone in the Dark par exemple. Par contre il y a des jours où, sans que l’on comprenne pourquoi, en l’espace d’une heure cinquante on retrouve la pêche dans ce cinéma qu’on adore et que l’on voit de moins en moins sur grand écran. Celui du bon thriller qui vous attrape là ou ça fait mal dès les premières images, et ne vous lâche plus jusqu’au générique de fin. Assaut sur le central 13 fait partie de ceux là, et chapeau bas à Jean-Francois Richet pour avoir réalisé ce que des Pitof et Kassovitz ont essayé de faire avec des budgets beaucoup plus gros, sans pour autant arriver à la même réussite.
Disons-le tout de suite, le remake n’a pas vraiment grand-chose à voir avec l’original et c’est sans doute cela qui fait sa force. Richet a bien compris que refaire ce qui avait déjà été parfaitement fait par Carpenter n’avait aucun intérêt. Arriver à créer le mix entre un thriller des années 70 et l’essence même de Rio Bravo n’était pas facile, et pourtant Richet vient de le réussir haut la main. Mais bon avant de nous lancer dans les détails de ce film « de mec et de femmes qui en ont », voyons ce que nous raconte cette nouvelle histoire : « La nuit du réveillon 2005, un dangereux mafieux du nom Marion Bishop, est incarcéré dans un vieux commissariat en attendant que les routes enneigées soient à nouveau ouvertes. Le bâtiment est gardé par une équipe de police placée sous le commandement du sergent JakeRoenick. Très vite coupés du monde par le blizzard, flics et malfrats vont devoir s’unir pour avoir une chance de survivre à l’assaut mortel d’une bande de flics ripoux. Face aux moyens démesurés des attaquants, un seul objectif : tenir jusqu’à l’aube... » Quel est selon vous l’élément le plus important pour réussir la recette du film de siège ? Très simple, des méchants !!! De préférence implacables et bien décidés coûte que coûte à accomplir ce pour quoi ils sont venus. C’est aussi là que les puristes se sont déchaînés : pourquoi avoir donné un visage à ces assaillants ? Cette masse impossible à identifier était ce qui faisait la force du film de Carpenter. Richet quant à lui opte plus pour un compromis dans le domaine, car seuls les pontes des flics menant l’assaut évoluent à visages découverts. Le reste des assaillants restent sans visages, cachés sous leurs combinaisons de combats. Ils restent pour la plupart identiques aux assaillants de Nid de guêpes, en gros des prédateurs mortels surarmés qui ne font aucun détail lorsqu’il s’agit de tuer.
En tant que leader des flics corrompus, Gabriel Byrne dans le rôle de Marcus Duvall est le reflet dans le miroir du personnage que Fishburne interprète. Prêt à tout pour sauvegarder son train de vie et celui de ceux qui l’entourent, il apparaît comme un personnage affreusement vénéneux. Loyal à ceux de sa « famille », il n’en reste pas moins une version bis du personnage de Bishop. Là ou ce dernier garde un sens moral et un code d’honneur qu’il démontrera dans le film, Byrne n’affiche aucune morale. Tuer des civils ne lui fait pas plus plaisir que cela, mais il n’hésitera pas à les liquider lorsqu’il le faudra. C’est dans ce caractère sans faille que l’on trouve l’essence même de ce qui fait un méchant mémorable. En effet les paroles de Byrne dans le film sont minimales (il cause pas il flingue, serais-je tenté de dire) ; tout comme pour Fishburne dont il est le némesis tout passe par le regard. Dès qu’on le voit on sait que ce mec est dangereux, et l’aura qui se propage autour de lui est même palpable au-delà de l’écran. Mais fort heureusement Byrne n’est pas le seul acteur réussissant à tirer son épingle du jeu dans le film, loin de là même car si l’on parle de lui, il faut bien parler de celui qui est le cœur de ce film. Marion Bishop, celui par qui l’apocalypse arrive.
Dès le début du film une chose s’impose en voyant le personnage de Fishburne évoluer dans l’univers de Assaut sur le central 13. Il n’a rien à dire ou à faire de particulier pour que les autres le craignent. Il est dangereux, il le sait, les autres le savent et il ne fait rien de plus pour le rappeler. La connexion qui va le lier avec le personnage de Ethan Hawke rappelle celle, digne d’un western, où deux ennemis naturels se voient obligés de mettre de côté ce qui les oppose afin de trouver un moyen de survivre face à l’adversité. Mais ce qui fait toute la différence avec le personnage de Duvall est que, malgré sa volonté de faire tout ce qu’il faut pour survivre, Bishop ne tue pas gratuitement. Si vous le respectez, il en ira de même pour lui. La force de Fishburne est d’arriver à faire passer un tel sentiment de menace avec une telle parcimonie d’effets. C’est un gangster qui connaît tous les rouages et qui est des plus mémorables. Cela nous amène donc à parler de Ethan Hawke, le troisème maillon fort de la chaîne...
... et ce dès les premières minutes et son immense interprétation d’un flic undercover complètement borderline (il faut le voir pour le croire, il y est totalement effrayant et flippant). Pour vous donner une idée, pensez à ce qu’aurait put devenir le flic qu’il interprétait dans Training Day s’il avait continué sur la voie de Denzel Washington. Rien que cette séquence violente et sèche permet de poser les bases du personnage, et tout le voyage émotionnel qu’il va accomplir dans le film pour s’en sortir. Car pour le personnage de Hawke cette attaque, aussi horrible soit-elle, aura un effet bénéfique. Celle de lui permettre de retrouver la trace du grand flic d’antan qu’il avait perdue dans les méandres de la drogue et de l’alcool. En gros c’est dans le sang, la peur et la mort qu’il se retrouvera lui-même. Il devra retrouver ses qualités de leader et faire en sorte de garder en vie toutes les personnes sous sa surveillance. Une tâche qui ne lui sera pas vraiment rendu facile on s’en doute. Là où d’autres personnages dans un film identique n’auraient pas bougé d’un iota sur le plan émotionnel du début à la fin, celui de Hawke connaît un vrai changement, de faux trouillard se cachant derrière ses blessures il repassera au statut de bad boy sans pitié et ça fait mal. Peu à peu, son retour aux sources de ce qu’il était durant ces années de flic undercover laisse apercevoir un flic beaucoup moins lisse qu’on ne le présageait au début. Voir le héros d’un film abattre un des assaillants dans le dos d’une balle en pleine tête n’est pas monnaie courante, mais se justifie totalement ici. La violence n’est pas minorée le moins du monde, les coups de couteaux en pleines têtes, les headshots et autres morts par armes blanches se succèdent sans pour autant jamais se montrer sans fondement. Pourquoi ? Car l’on comprend aussi bien d’un côté que de l’autre ce qui pousse chacun des camps à agir ainsi. Chacun le fait pour sauver sa vie, ou bien son style de vie, et ne se pose pas de question. Comme le dit le personnage de Bishop, c’est ici l’instinct de préservation qui domine tout du long.
Il ne faut pas non plus oublier que ce film d’hommes est aussi un film de femmes. Deux d’entre elles (en fait elles ne sont que trois) sortent principalement du lot : Drea de Matteo et Maria Bello. La première dans le rôle d’une secrétaire légèrement junkie du sexe qui, au fil de la nuit, va découvrir sa vraie nature et se révéler sous un jour beaucoup plus bad girl qu’on aurait put le croire. Là où tout laissait croire à la simple bimbo des familles sommeillait une guerrière de la pire espèce, sorte de condensé entre une Helen Ripley et une amazone du Bronx. Le genre de fille auprès duquel il vaut mieux ne pas se frotter sans avoir peur d’y perdre des plumes ou tout le sang de son corps. De l’autre côté, Maria bello dans le rôle de la psychologue apporte la touche de sensibilité du film. Seul élément n’ayant rien à voir dans ce commissariat, sa peur devient palpable et se transmet vite au spectateur, tout simplement car elle est comme vous et moi, elle est celle à qui le spectateur peut s’attacher le plus. Elle est une simple humaine perdue dans un univers qui la dépasse. C’est ce genre d’attachement qui nous permet de ressentir encore plus fortement les morts qui se succèdent. On apprend à s’attacher à ce genre de personnages, et lorsque la mort en frappe certains on en est que d’autant plus touché malgré le fait d’être bien à l’abri dans nos petits sièges confortables.
Last but not least, il ne faut pas non plus oublier l’artisan ultime de cette réussite : Jean-François Richet. En ce qui me concerne, Ma 6t va cracker m’avait laisser aussi froid que la banquise, tout comme le reste de ses œuvres d’ailleurs. Donc rien ne présageait la claque de folie qui m’attendait avec ce film. Là où d’autres réalisateurs auraient pris le parti de mettre des effets de styles foireux un peu partout, Richet impose un style nerveux, sec et sans fioritures à l’ensemble de son métrage. La marque des gens qui ont du talent est simple pour moi - savoir rebondir et exploser là où on ne les attendait pas - et c’est exactement ce que Richet vient de faire. Passer du film témoignage social, au polar style année 70 nerveux et qui en a avec autant de talent force le respect.
Je n’ai plus assez de mots pour dire tout le bien que je pense de ce film. Un français qui s’exporte aussi bien et qui fait un film aussi réussi, ça ne mérite qu’une seule chose : que vous courriez en salle immédiatement pour voir son boulot sur le plus grand écran possible. Vous ne le regretterez pas !
Assaut sur le central 13 est sorti sur les écrans français le 2 mars 2005.



