Bad Guy
11éme Commandement :
"Ne convoite pas le portefeuille d’autrui, sous peine de devenir une pute."
Un homme marche dans la rue et s’arrête net à la vue d’une jeune femme assise sur un banc public. Il s’assied auprès d’elle et la fixe tellement intensément du regard qu’elle change de banc. Son petit ami arrive mais ne peut empêcher le gêneur d’embrasser sauvagement la frêle jeune fille. Il faut l’intervention de trois militaires pour pouvoir les séparer. La scène se termine par un crachat vengeur de la part de Seo Hwa, la fille de 21 ans souillée par ce curieux personnage.
Ce goujat de la pire espèce revient jour après jour dans ce parc, assis sur le même banc, dans le fol espoir de revoir la fraîche Seo Hwa. Ses efforts sont récompensés et il suit le jeune couple pendant toute la journée. Et le soir il est témoin d’une scène frappante, qui va le convaincre d’agir de la sorte les jours suivants : le petit ami force Seo Hwa à entrer dans un Love Hotel pour passer un moment intimement nu. Le jeune fille se débat et lui assène un formidable coup de pied dans le tibia.
Plus tard Seo Hwa trouve un portefeuille et vole l’argent ; poursuivie par le propriétaire elle est sommée d’emprunter à un "loanshark" de l’argent pour le rembourser (en plus d’avoir rendu la somme initiale !!). La clause principale du contrat stipule que si la jeune femme est dans l’impossibilité de payer ses dettes, elle se verra dans l’obligation de vendre son corps. Nous y voilà !!
Le forcené se nomme Han Gi et occupe le poste de maquereau dans une rue prévue pour ce genre de commerce. Dès lors, Seo Hwa devient la propriété d’Han Gi, et par la force des choses - et finalement du destin - une prostituée !!
C’est avec une très grande joie que le DVD de Bad Guy fut acheté. Et c’est avec une joie encore plus immense que je mis la galette argentée dans le lecteur extra plat de chez Pioneer. Maintenant après avoir vu le film et étant donné l’état dans lequel je me trouvais, je ne pouvais écrire dessus. Sans doute sous l’emprise de colère mêlée à de l’incompréhension, j’aurais été véhément et carrément vulgaire. Aussi par respect pour l’œuvre de Kim Ki-Duk, je décidais d’attendre un peu avant de prendre ma plume. Je dois dire que c’était tout à fait ce qu’il fallait, certains événements se sont imbriqués avec des comportements que je ne saisissais pas et qui me scandalisaient. Je vais donc me permettre de vous donner mon avis tout neuf.
Même si Han Gi a les pleins pouvoirs sur Seo Hwa, il n’en profite pas pour son simple plaisir, il reste discret et ne se montre jamais à elle. Il préfère la surveiller du haut de sa terrasse qui surplombe la rue tel un mirador. Mais au fer et à mesure de l’apprentissage forcé de la jeune recrue, une étrange relation s’installe. En effet, le maquereau, qui ne parle jamais, observe à travers une vitre sans teint, la malheureuse dans sa prison d’horreur - accentuée par le fait qu’elle était vierge.
Toute l’intimité de Seo est violée. Son premier client qui la viole quasiment, ses nuits de pleurs, ses tentatives de s’évader physiquement et mentalement. Han Gi va assister à tous ces événements sans jamais intervenir. Pourtant le film est beau, et croyez-moi, ce n’était pas évident d’écrire ça - il y a 24 heures, je pensais même carrément le contraire.
Voyez-vous, Han Gi cherche malgré tout à paraître sous un bon jour. Mais son problème c’est qu’il ne sait pas s’y prendre. Plusieurs situations nous le prouvent. Han Gi a surpris Seo en train de déchirer une page d’un recueil de peinture en pleine bibliothèque. Alors que le destin de Seo semble scellé, Han Gi lui offre ce livre, sans s’expliquer. Autre comportement ambigü de la part de Han Gi, c’est l’entrevue qu’il accepte d’organiser entre Seo et son petit ami, pour que ce soit lui qui la déniaise. Mais l’ennui c’est que Han Gi pense "non", agit comme s’il pensait "oui" - pour finalement se rétracter par un "non" définitif. Ainsi il répond à la demande de Seo, alors qu’il n’a aucune raison d’y accéder et qu’il ne le veut pas. Au beau milieu du pathétique rendez-vous il intervient et envoie ses compagnons mettre fin à ces préliminaires automobiles. Une fois encore, Han Gi n’ose pas se montrer et préfère se réfugier dans la petite pièce qui lui permet d’observer sa proie à son gré.
Han Gi est donc un Bad Guy au sens plein du terme. Un délinquant, une ordure de la pire espèce, un homme sans foi ni loi. Pourtant dès les premières images, on ne peut éprouver que de la compassion devant un tel regard. Certes son comportement est plus que scandaleux et mérite sans attendre que quelqu’un mette fin à ses jours, moi-même étant le premier candidat pour cette basse besogne. Mais une fois encore, à l’image de The Isle, Kim Ki-Duk parvient (et je n’ai toujours pas saisi de quelle façon il s’y prend !!) à nous faire aimer non pas la personne d’Han Gi, mais la relation qui l’unit à Seo Won. Elle est peut-être là sa prouesse ; je ne sais pas !?
L’extraordinaire Seo Won, dont c’est le seul film à ce jour, prête ses traits à la prostituée. Il faut avouer que comme première expérience d’actrice, y’a mieux... Ce qui lui arrive semble banal, tant son entourage - représenté ici uniquement par son petit ami - n’intervient pas et ne paraît pas la rechercher ; ce qui, comme raccourci scénaristique, reste tendancieux car enfin, elle a bien une famille ou tout du moins des amis, non ? Pour parvenir à faire passer ce type d’émotion, le travail fourni fut sans doute titanesque (provoquant une fatigue morale évidente), ce que l’on voit dans le making of et ses insoutenables images. La jeune femme est talentueuse, cela ne fait pas de doutes. Espérons qu’elle ne mette pas trop longtemps pour se remettre de ses émotions, car nous ce genre de prestation on en redemande.
Face à elle c’est Jo Jae-Hyeon qui s’emploie à la torturer. Déjà vu en tortionnaire de chien dans Address Unknown, SDF dans Crocodile - tous deux réalisés par Kim Ki-Duk - ainsi qu’en partenaire de Shim Eun-Ha dans Interview, Jo Jae-Hyeon dynamite le métier d’acteur. Lui aussi a hérité d’un rôle difficile, il a dû s’entraîner à faire passer tout son trop plein d’émotions permanent en ne se servant que de son regard. Et croyez-moi, cela peut vous glacer le sang et dans la même seconde vous toucher l’âme au plus profond.
La participation de la fabuleuse Nam Gung-Min en tenancière/surveillante de bordel est somme toute la bienvenue tant elle était impressionnante dans la romance fantastique Bungee Jumping of Their Own.
Bad Guy est donc une fois encore un film très à part, capable de scandaliser les publics les plus avertis. Mais il serait temps d’y être habitué. J’avoue être tombé dans le piège, comme pour The Isle. Heureusement la réflexion est le propre de l’homme, et ça Kim Ki-Duk sait la mettre à rude épreuve.
DVD coréen (Zone 3) édité CJ Entertainement. Pressage anamorphique ultra réussi comme d’habitude. Le film est au format, en surround et 5.1 - ce dernier ne servant pas à grand chose étant donné le peu d’effets arrières dans la réalisation de Kim Ki-Duk. Mais le thème principal au piano le nécessite.
Suppléments : notes de productions, commentaire audio du réalisateur, profils et interviews de l’équipe et des acteurs non sous-titrés, galerie de photos et extrait de la musique du film, bande annonce, et making of presque aussi insupportable que les scènes telles qu’elles sont dans le film.




