Beastie Boys
Love for sale.
Adepte des sujets délicats, c’est avec un certain enthousiasme que l’on accueil le retour de Yoon Jong-bin derrière la caméra après l’émouvant The Unforgiven (2005), dont le décryptage désenchanté de l’univers militaire et sa “masculinisation” à outrance au travers du destin croisé de ses deux protagonistes, nous laissait entrevoir la possible naissance d’un auteur singulier. Avec Beastie Boys, Jong-bin poursuit son anthropologie des dysfonctionnements sociaux d’univers masculins formatés, à travers une plongée nocturne dans le milieu des clubs d’escort boys, ces jeunes Casanova pourvoyeurs de réconfort pour des clientes fortunées en mal d’affection.
De nouveau centré sur deux destinées croisées, le cinéaste trace ici le chemin parallèle de Jae-hyeon (Ha Jeong-woo), un vétéran du métier qui forme de jeunes protégés, et le populaire Seung-woo (Yoon Kye-sang), jeune débutant au naturel décontracté et au romantisme naïf. Ce dernier envisage cet emploi temporaire le temps de gagner suffisamment d’argent pour monter sa propre société, alors que Jae-hyeon tente d’échapper à son débiteur en extorquant de l’argent, profitant de la faiblesse de certaines de ses clientes.
Si le Japon, pays pionnier en matière de services sexuels, s’était déjà penché avec attention sur le sujet grâce au brillant documentaire de Jake Clennell The Great Happiness Space : Tale of an Osaka Love Thief (2006), le cinéma coréen plus pudique en la matière, demeurait en reste, malgré les similitudes dont les deux pays font preuve en la matière, à l’image du trait d’union final du film. Mais le milieu des gigolos de luxe tel que décrit par Jong-bin, malgré ses jeunes éphèbes aux frusques de marques et aux coupes de cheveux tendances, se veut tout sauf glamour, à l’instar d’une réalité sociale bien plus pénible et crue que les façades rutilantes de ces clubs privés ne le laissent supposer.
Le cinéaste adopte d’emblée une approche résolument documentaire, caméra à l’épaule et plan-séquence de rigueur. Il filme frontalement tout en apportant la distanciation nécessaire, décidé à faire de Beastie Boys davantage qu’une chronique sur la vie dissolue de deux jeunes Casanova urbains dans l’univers de la prostitution de luxe. Cette approche étant renforcée par le parti pris réaliste du cinéaste qui lors de l’écriture du script, s’est immergé en officiant lui-même dans l’un des nombreux host clubs du quartier branché de Chungdamdong (Séoul).
Outre sa vision dénuée de toute complaisance, l’intérêt de Beastie Boys réside dans sa démarche de mise à nu des dysfonctionnements sociaux, davantage que dans la qualité de ses portraits psychologiques. Si le romantisme de Seung-woo tranche avec la vénalité manipulatrice de Jung-woo, la vacuité de leurs existences respectives n’en est pas moins exemplaire d’une préoccupation matérialiste qui gangrène les relations interpersonnelles des personnages, emblématique d’une jeunesse en quête de sens. Le cinéaste montre ainsi, en décrivant la lente dérive des existences de ces héros du réconfort, l’impossibilité de construire une relation stable et de confiance, dans un monde tourné vers la recherche du profit et l’exploitation affective de l’autre. Cet “hyper-matérialisme” tournant parfois à la paranoïa semble être à la base de tout préambule relationnel, comme le montre les conversations entre filles ou les avertissement de Jung-woo à l’encontre de son collègue, qui commet l’erreur de s’amouracher d’une cliente. Les illusions du jeune Seung-woo, et sa rencontre pleine d’espoir avec la sublime Ji-won, finiront à l’image de la vision de Beastie Boys, par nous laisser un goût amer mêlé de tristesse et de désenchantement, doublé d’un profond malaise.
Même si Beastie Boys, à l’image de son titre, se focalise sur la masculinité, il n’en demeure pas moins que transpire en toile de fond une vision machiste récurrente au cinéma coréen, s’exprimant par la brutalité physique infligée aux personnages féminins ; dont la volonté d’émancipation n’en sera que plus cruellement réduite au silence, à l’image de la fin tragique de Ji-won.
Pour autant, la franchise de l’auteur malgré son parti pris réaliste, n’échappe pas au travers d’un cinéma coréen victime, tout autant que le milieu dans lequel il plonge, d’un certain formatage. Impersonnelle et peu engageante, la mise en scène de Jong-bin affadit sensiblement la pertinence du propos malgré de belles séquences nocturnes en extérieur et un refus de l’artifice mélodramatique. Outre la prestation convaincante de ses protagonistes, signalons la fidélité du cinéaste au talent de Ha Jeong-woo qu’il propulsa sur le devant de la scène dans The Unforgiven, et qui après la superbe froideur de son rôle de tueur en série psychopathe dans le haletant The Chaser démontre ici toute l’étendue de son jeu.
Drame urbain aux accents tragiques, doublé d’une réflexion désabusée sur les valeurs de la jeunesse urbaine coréenne, Beastie Boys mérite davantage votre attention pour sa volonté de lever le voile sur un milieu interlope constitutif d’un aspect culturel peu évoqué, que pour la pertinence de ses portraits manquant de finesse et de profondeur.
Beastie Boys a été diffusé lors de la dernière édition du Festival du film asiatique de Deauville (2009).
Beastie Boys est disponible en DVD coréen avec sous-titres anglais.





