Beautiful
Auteur sous influence.
Précédemment remarqué avec le court Fish lors de la dernière Mostra de Venise et sa compétition Corto Cortissimo, Juhn Jai-hong, l’assistant-réalisateur de l’enfant terrible du cinéma coréen Kim Ki-duk (sur Time et Souffle), trépignait déjà d’impatience à l’idée de pouvoir exprimer un mal-être et une rage profonde envers la société contemporaine de son pays d’origine.
C’est avec Beautiful, premier long-métrage d’après un scénario original de son mentor, que le cinéaste de nationalité américaine, livre avec force et émotion sa première pierre à l’édifice d’un cinéma indépendant coréen moribond, tentant de surnager face à la lame de fond modelée sur les canons Hollywoodiens qu’est devenu peu à peu l’industrie du “made in Chungmuro”.
Eun-yeong est une très belle jeune fille, simple, naturelle et fragile à la fois. Complètement étrangère à la fascination qu’exerce auprès des hommes sa beauté particulière, elle s’en étonne même auprès de son amie, jusqu’au jour où, harcelée par l’assiduité d’un jeune prétendant, elle se fait violer chez elle. Cette tragédie provoque en elle un profond choc émotionnel. Désormais, cette dernière se met à haïr sa beauté et entreprend de changer son apparence pour s’enlaidir, afin de se protéger et d’échapper ainsi aux sollicitations dont elle fait l’objet au quotidien.
Fable urbaine contemporaine, Beautiful nous décrit l’enfer d’une persécution qui hante la jeune Eun-yeong et la conduit inexorablement vers la folie. Ce cheminement fait d’une lente agonie sonne comme un cri désespéré de son auteur par le truchement de son héroïne, incarnée par la jeune Cha Soo-yeon (For Eternal Hearts) qui livre là une vraie performance d’actrice aux antipodes des ses précédents rôles romantiques. Un cri qui, dans la tradition du cinéma “Kim Ki-dukien” se veux provocant et agressif envers une société machiste et patriarcale.
La caméra de Juhn Jai-hong ne s’embarrasse d’aucune afféterie, filmant de façon souvent directe et frontale, dévoilant la fragilité de son personnage, usant parfois des idiomes du thriller, afin de figurer l’angoisse d’une persécution virant à la folie paranoïaque. Cette angoisse est celle d’une violence imperceptible au yeux du commun ; celle qu’une trop grande beauté, vécue comme une damnation, peut ressentir au quotidien. L’oppression qu’éprouve Eun-yeong est adroitement suggérée par le cinéaste, évoquant de façon certes lointaine, l’angoissant chef d’œuvre de Polanski Répulsion (1965) dans lequel la solitude et la vulnérabilité pesant sur Carole (Catherine Deneuve) provoque en elle des pulsions violentes.
Loin de la schizophrénie meurtrière engendrée dans Répulsion, Beautiful nous fait pourtant ressentir la profonde solitude vécue par l’héroïne dans son combat pour se construire une défense, tout autant que se fondre dans une identité sociale anonyme. Rejetée par son amie qui ne croit pas en sa sincérité, elle s’enfonce peu à peu vers la folie. Ce cheminement conduisant vers un cul-de-sac lors d’un final choc évoquant pour une part celui de Coast Guard (2002), et signant par là-même un constat amer et désespéré sur notre société.
Cinéaste enragé, Juhn Jai-hong l’était sans nul doute lors de la réalisation de Beautiful. Malheureusement cette rage s’exprime à travers une absence de personnalité, semblant bien trop soucieuse de marcher sur les talons de son mentor. A décharge s’agissant d’une première œuvre, la réalisation est pourtant techniquement aboutie mais semble parfois incapable d’aller au bout d’une idée pourtant exigeante et ambitieuse. Ceci se révélant notamment au travers des efforts entrepris par le personnage devenant tout d’abord boulimique, puis tendant vers l’anorexie, mal contemporain à la triste banalité. Les séquences de vomissement manquant d’une certaine laideur, dont la fascinante poétique de la beauté morbide constituait l’expression même du cinéma de Kim Ki-duk dans ses oeuvres pré Printemps, été, automne, hiver... et printemps (2003), exception faite du chef d’oeuvre Samaria (2004).
Tout concourt à faire de ce Beautiful une oeuvre sous influence, à tel point qu’on finit par croire à un choix délibéré de son auteur. Ceci se dénote en particulier dans le symbolisme visuel utilisé par le cinéaste et coutumier chez le maître. De la fleur de lys fanée jetée au sol symbolisant la défloration, en passant par le tableau au trait « matissien » maculé de sang, sans oublier l’usage de la photographie ; ces métaphores picturales récurrentes chez Kim Ki-duk, signe d’un cinéaste éminemment visuel, semblent ici trop empruntées.
Ce traitement inabouti ne doit pourtant pas nous détourner d’une œuvre signifiante, et dont l’existence même suffit à entretenir l’espoir d’un cinéma Coréen indépendant non formaté aux longs plans-séquence et autres imitations façon nouvelle-vague. Car Beautiful, sous couvert d’être une fable réflexive sur la beauté à notre époque, est un virulent commentaire social sur la Corée contemporaine.
D’un simple regard qui épie la jeune femme, au violeur incapable de communiquer son amour, en passant par le policier obsessionnel, les hommes se révèlent des prédateurs incapables de s’adresser à la jeune femme sans l’agresser. Cette oppression tyrannique dénonce un triste portrait d’une société masculine brutale, en témoigne la scène de l’interrogatoire de police, succédant au viol de Eun-yeong, dans laquelle la culpabilisation de la victime se révèle dans son effroyable banalité. Fait social établi en Corée, où l’attitude de la police envers les victimes féminines de viols est régulièrement mise en cause, n’hésitant pas à les culpabiliser sans vergogne. En montrant cette absence de protection dont souffre l’héroïne solitaire, l’auteur traduit une situation conditionnant la place de la femme dans la société, place qui induit implicitement une dépendance autant financière, qu’affective envers l’homme, comme le montre le choix de Eun-yeong, qui n’a d’autre résolution que de se prostituer pour obtenir cette protection, face à la violence sociétale extérieure.
Aussi si la dictature de l’apparence est mise en cause au travers de la boulimie et de l’anorexie choisie par la jeune femme dans son désir d’annihiler sa "coupable" beauté, le cinéaste rejette la solution terminale de la chirurgie esthétique, qui s’offre pourtant avec évidence de nos jours, et vers laquelle optait l’héroïne de Time (2006), afin de provoquer la renaissance du désir chez son homme. Juhn Jai-hong fait lui le choix d’une solution radicale faite de souffrance physique, confiant ainsi son attachement à la beauté naturelle de la femme coréenne et à son fort tempérament, contre la marche forcée d’une esthétique de l’apparence dictée par l’occident et la mode.
Si pour le cinéaste la société n’offre au final plus aucun espoir face à la détresse d’Eun-yeong, sa dérive suicidaire aura eu pour mérite de sensibiliser le spectateur à la cruauté du réel. Cruauté que le cinéaste trop engoncé dans les habits d’un autre aurait gagné à rendre moins aseptique - à l’image des récents opus de son mentor et tuteur -, d’autant que l’écriture éminemment cinématographique du scénario laissait pourtant présager d’une réussite plus aboutie. Œuvre féministe et courageuse, Beautiful nous engage à l’avenir à guetter l’émancipation souhaitable de Juhn Jai-hong.
Beautiful a été diffusé au cours de la dixième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2008), en compétition officielle.





