Besieged City
Regarde les enfants tomber.
Ling vit au milieu des quelques 270 000 habitants de la « Cité de la tristesse », le district de Tin Shui Wai à Hong Kong. Alors qu’il est sans nouvelles de son petit frère depuis plus de deux ans – celui-ci s’est enfui de la maison, las des coups de son père et de l’immobilisme de son frangin, tout autant que des humiliations qu’il subissait quotidiennement à l’école – la police lui annonce que Jun est dans le coma suite à une tentative de suicide. Et ce n’est pas tout : il est accusé d’homicide. Sans même avoir eu le temps de digérer la nouvelle, Ling est enlevé par un gang de jeunes menés par Ocha, au service de Chu Hin. Ocha attend de Ling qu’il retrouve une grande quantité de drogues, soit disant dérobée par son frère. Sur le territoire d’Ocha, il fait la connaissance d’Eggy et Block, deux amis de Jun. La menace des Triades a raison de l’abstinence fraternelle du garçon ; après s’être rendu au chevet de son frère, il se met en tête d’en savoir plus sur ses deux années d’absence. Il retrouve la trace de Blocky the Blockhead et Handsome Eggy, pour apprendre comment Jun est tombé dans le vol et la drogue à leur côté, sous la houlette de la toute jeune Panadoll...
Si elle est généralement un terrain de mauvais goût, la Category III hongkongaise abrite aussi des films aux sujets difficiles, adultes et/ou sociaux, qui traduisent une réalité sociale dérangeante ou autres cicatrices de l’histoire. Besieged City, l’un des derniers films de Laurence Lau (Spacked Out) est l’une de ces œuvres, rare dans le paysage cinématographique HK mais un peu moins dans la filmographie de son réalisateur. D’un négatif éprouvant, Besieged City dépeint la chute d’enfants lâchés dans cette ville nouvelle, qui n’est jamais devenue le dortoir d’un renouveau industriel espéré. En marge de la critique directe de la responsabilité gouvernementale dans l’évolution de ce territoire délaissé – ce qui aurait certainement empêché le film d’exister -, Lau utilise l’imposant project comme toile de fond écrasante à son récit d’enfances impossibles.
Si les histoires de délinquance juvénile et errances adolescentes sont nombreuses dans le cinéma contemporain, Besieged City s’en démarque d’emblée par l’âge de ses protagonistes. Le meurtrier comateux qui incarne la culpabilité de Ling en effet, n’ont visiblement même pas quinze ans, comme l’ensemble de ses camarades d’infortune volontaire. Volontaire oui, car Jun comme son reflet féminin, Panadoll, ont volontairement quitté leur domicile pour vivre dans la rue. Des enfants non pas orphelins ou abandonnés, mais qui ont rejeté leurs parents, leur famille, leurs murs.
We’re in this together, brothers and sisters...
Les adultes sont les grands absents de ce monde qui ne laisse pourtant aucune place à l’enfant ; et pour cause : leur seule implication consiste à précipiter la chute des protagonistes. Le père de Jun qui le frappe pour un rien, celui de Panadoll qui a abusé d’elle... Cloisons potentielles entre ces inhumanités et leurs victimes, le frère (Ling pour Jun) et la sœur (Yee Wah pour Panadoll) décident de rester, dans leur détestable neutralité - instinct de survie égoïste -, perméable à ces catalyseurs de marginalisation. La cellule familiale existe bien dans Besieged City ; mais elle est avant tout cancéreuse.
Les liens du sang, inévitablement destructeurs, sont donc essentiels dans ce tableau nihiliste : les voyous survivent en cambriolant régulièrement leurs propres appartements, et la fraternité comme la filiation, assurent le développement et la transmission de la marginalisation. Incarnation complexe et ultime de cette funeste propagation, le jeune Lok, fils de Panadoll mais aussi son frère, constitue l’impasse extrême de Tin Shui Wai, condamné à l’aliénation avant même d’être en âge d’aller à l’école. Les dernières images du film l’abandonnent seul face à l’imposant complexe urbain, et terminent de noyer Besieged City dans un pessimisme redoutable.
Lawrence Lau ne livre pas, dans cet instantané qui parvient à conférer une historicité crédible à de simples enfants, un discours critique explicite. Mais son constat, effrayant et sans espoir, est omniprésent au travers des acteurs du film, tous excellents en dépit de leur jeune âge, et nous entraîne inévitablement sur la voie de l’interrogation.
Besieged City est disponible en DVD HK sous-titré anglais chez Mei-Ah. Le VCD, lui aussi sous-titré, est pour l’instant épuisé.




