Blue Cha Cha
Lorsque A-Yu sort de prison, elle prend Ann au mot : cette femme mûre rencontrée derrière les barreaux, lui avait promis de s’occuper d’elle à sa libération. Ann l’héberge, l’emploie le soir dans son bar ; en échange, faute de mieux, la présence de la demoiselle la met de bonne humeur. Un jour, un client habitué et fortuné propose une somme d’argent conséquente à A-Yu pour qu’elle devienne sa petite amie pendant un mois ; A-Yu accepte à contre-cœur, puis s’éprend du businessman. Mais celui-ci se désintéresse d’elle au terme d’une soirée. Ann avait pourtant mis sa protégée en garde contre les hommes mais rien n’y fait : l’abandon de la jeune femme dans l’amour incompris qu’elle porte à un garçon, son supérieur dans une usine d’électronique, fait éclater cette famille, aussi incomplète qu’improvisée...
Blue Cha Cha est le troisième film de Cheng Wen-tang. Son portrait du parcours d’A-Yu à sa sortie de prison - chape qui pèse légèrement sur le film sans véritablement lui offrir une dimension supplémentaire, si ce n’est rendre menaçante une violence latente - est celui d’un autisme social déroutant. Car Blue Cha Cha n’est pas plus un film social qu’un film générationnel, en dépit d’un message explicite sur les relations qu’entretiennent les jeunes taïwanais contemporain. Le film est un portrait simple, et dans une certaine mesure généreux, d’une jeune femme en mal de repères amoureux.
Aussi A-Yu interprète-t-elle la moindre trace d’attention comme un signe d’amour, tout en restant aveugle à l’amour, véritable car pur, quasi-maternel, que lui porte Ann, interprétée par la fantastique Lu Yi-ching (La Saveur de la pastèque). Ces deux femmes, l’une par déception, l’autre par incapacité, sont condamnées à vivre seules, à moins qu’elles n’arrivent à vivre ensemble. Pour ce faire bien entendu, il faudrait qu’elles sachent se contenter du bonheur léger, exempt de promesse, que leur procurent leurs séances de cha-cha, qu’elles soient à même de les partager plutôt que de danser côte à côte.
Blue Cha Cha, toile bleutée sur les lacunes de communication de deux êtres humains en marge, est un film taïwanais tout ce qu’il y a de plus... taïwanais. Ce n’est pas une critique en soi, mais l’ensemble reste trop classique pour qu’on y puise, avant ses derniers instants enjoués, une quelconque fraîcheur. Dans cette conclusion silencieuse - si ce n’est pour les cris de deux femmes désireuses d’affirmer le sursaut de vie que constitue leur acceptation mutuelle - A-Yu rencontre un autre autiste - véritable celui-ci - qui, paradoxalement, parvient à lui communiquer un plaisir sans condition, à lui offrir ce qu’il a de plus beau, à l’aimer sans lendemain. Ce n’est pas une surprise si ce dernier cadeau vient de la mer : la baie de Taiwan dans Blue Cha Cha, est le lieu d’une liberté implicite, d’un réconfort qui est forcément temporaire, mais aussi régulier. Car la mer devant la maison d’Ann, ne fait jamais que passer. Mais elle le fait, généreuse, tous les jours, chaque instant. Suffirait-il alors de s’en contenter ?
Présenté en compétition officielle au cours du 8ème Festival du film asiatique de Deauville.


