Sancho does Asia, cinémas d'Asie et d'ailleurs
Corée du Sud

Blue Swallow

aka Cheong yeon | Corée du Sud | 2005 | Un film de Yoon Jong-Chan (Yun Jong-Chan) | Avec Jang Jin-Young, Kim Joo-Hyuk, Toru Nakamura, Yu Min (Yueko Fueki), Han Ji-Min, Kim Tae-Hyun

Second film de Yun Jong-Chan quelques années après Sorum, Blue Swallow conte l’histoire de Park Kyung-won, figure historique controversée des années d’annexation de la Corée au Japon. Cette jeune femme qui, toute petite déjà, rêvait de voler et s’opposait à ses parents pour affirmer son désir d’éducation, parvient dans les années 20 à rejoindre les rangs d’une prestigieuse école d’aviation nippone, où elle devient non seulement la première femme coréenne pilote, mais la plus brillante des aviatrices du Japon. Yun retrace son parcours forcément politique au travers de rencontres et évènements clés, depuis son amitié avec Han Ji-hyuk, militaire malgré lui, jusqu’à sa fin tragique au cours de son premier vol longue distance ; en passant par ses éclats aux commandes d’un biplan, portant les couleurs de ce pays qui, s’il n’est pas le sien, lui permet de concrétiser le rêve de sa vie...

Après un détour plus ou moins apprécié par l’horreur intello et esthétisante, le réalisateur Yun Jon-Chan se lance avec Blue Swallow dans la réalisation d’une fresque historique, à la fois moderne dans sa maîtrise technique, et étonnamment classique, à la manière des épopées d’antan, dans l’ambition de sa narration. Reconstitution superbe, ce portrait décrié de Park Kyung-wun a tout du biopic, genre en vogue depuis des années, avec ses ellipses justifiées par des rencontres clés et autres pivots historiques. Pourtant Blue Swallow est plus qu’un simple portrait de femme : au travers de son objet ambigü, c’est un film d’aventures qui incarne la complexité, humaine et politique, de la conciliation des ambitions personnelles et du nationalisme en temps de colonialisme.

Si les adultes coréens au début du siècle, ressassent avec colère la façon dont le Japon s’est approprié leur terre, les enfants eux, gardent un souvenir ému des ninjas. C’est sur ces sentiments mêlés que débute l’histoire de Blue Swallow ; un point de vue enfantin, désincarné sur le plan politique, qui dessine les motivations de Park Kyung-won. Son objectif est simplement de voler ; pour ce faire, étant donné le contexte, elle n’a d’autre choix que de passer pour une traitresse aux yeux de ses compatriotes, réalisant ses exploits sous les couleurs japonaises. La réputation de la véritable Park Kyung-won est donc entachée de soupçons de collaboration, qui ont fortement nuit à Blue Swallow lors de sa sortie en 2005. D’aucuns ont accusé Yun d’avoir trop blanchi son héroïne, d’autres encore ont soupçonné les japonais d’être derrière cette incarnation cinématographique de l’affront qu’ils ont subi au cours de la première moitié du 20ème siècle.... Se déclarant simplement romancé, Blue Swallow fait donc partie de ces rares films asiatiques qu’il ait certainement plus aisé de voir avec notre ignorance occidentale, ou tout du moins depuis le confort de notre manque d’implication.

Car le film, lui, dresse un portrait loin d’être manichéen de l’ascension de l’aviatrice. Ralliée au camp de l’oppresseur par la force des choses, Park Kyung-won semble incarner l’expression d’un désir difficile mais humain : celui de vivre en dépit de la force de l’Histoire. Consentante mais pas collaboratrice, on pourrait tout au plus accuser Kyung-won, comme le fait la sœur adoptive de Ji-hyuk, d’être purement égoïste. Traitre apparente au sol, elle se déclare simplement femme lorsqu’elle est dans les airs, et la force du film ne peut que lui donner raison. D’autant que personne ne souffre directement de son engagement implicite ; même Ji-hyuk, victime collatérale de la situation à la suite d’un attentat anti-japonais qui amène l’héroïne à être elle aussi soupçonnée d’ "infidélité" (au cours de séances de torture à faire grincer Eli Roth), est plus sacrifié à cause de la collaboration, très explicite elle, de son politicien de père, qu’à cause du refus de nationalisme (car c’est de cela qu’il s’agit plus que de trahison) de l’objet de son affection. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue la réticence nippone à faire d’une coréenne leur championne ; une problématique qui parsème l’histoire des relations nippo-coréennes, comme l’illustre dans un tout autre registre, le complexe Rikidozan de Song Hae-sung.

Complexité de l’interprétation politique et diplomatique nonobstant, il convient avant tout de considérer Blue Swallow pour ce qu’il est, à savoir comme un film remarquable. Sa réalisation est superbe, aussi bien dans les scènes aériennes que dans le quotidien. Le clou du film - la victoire de Kyung-won au cours d’une épreuve d’ascension - cristallise toute la force de la mise en scène et de l’approche de Yun Jong-Chan, qui crée un moment d’inspiration, poétique et rageur à la fois. Perçant la canopée des nuages à plus de 4 500 mètres d’altitude, Kyung-won laisse exploser sa colère, tristesse et sa joie mêlées, enfin libre et pourtant manipulée, participant uniquement parce que l’un de ses collègues et amis s’est tué en vol, travestissant son exploit personnel en réussite japonaise. L’amorce du cri est assourdissante, le reste se perd dans une suspension contemplative et silencieuse, parfaitement saisissante. Puis l’avion retombe, dans un hurlement mécanique qui prolonge et accentue la volonté, personnelle et apolitique, de l’aviatrice.

Ces alternances de bruit et de silence, de musicalité épique et de force induite, Yun les gère à merveille tout au long du film, qui évite ainsi l’écueil classique de la sur-explicitation émotionnelle, chère notamment aux épopées occidentales contemporaines. La dernière séquence du film, qui nous conforte dans l’idée que la version argentique de Kyung-won est bien coréenne, en dépit des couleurs de son "Blue Swallow" lancé dans un vol pro-nippon, reliant le Japon, la Corée et la Mandchourie, est absolument magnifique avec ses dialogues en morse, qui permettent à l’Histoire de suivre son cours pendant que Kyung-won s’affirme en silence, non par les idées mais par les actes. Yun Jong-Chan signe avec Blue Swallow un film inestimable, qui transcende à la fois son budget et son sujet par une maîtrise narrative et visuelle d’autant plus étonnante, qu’elle faisait cruellement défaut à sa première réalisation.

Blue Swallow est disponible en DVD coréen sous-titré anglais chez KD Media.

- Article paru le lundi 11 février 2008

signé Akatomy

Japon

Time Traveller

Hors-Asie

Des serpents dans l’avion

Hors-Asie

8 Mile

Hong Kong

Dummy Mommy, Without a Baby

Taiwan

The Sadness

Hong Kong

Fox Ghost

articles récents

Chine

Jeunesse : Les Tourments

Hong Kong

Life Is Cheap... But Toilet Paper Is Expensive

Japon

La Harpe de Birmanie

Japon

La Vengeance de la sirène

Japon

Le Pavillon d’or

Chine

Les Feux sauvages