Bona
The fan.
Aux Philippines, les alalay constituent une classe à part d’aficionados, qui poussent très loin le culte de la célébrité.
Jeune fille issue de la classe moyenne philippine, Bona est une de ces groupies, qui a cessé de fréquenter le lycée. Elle préfère suivre comme son ombre Gardo, pourtant simple figurant dans des films à petit budget. Exaspéré par le comportement de sa fille, son père la chasse de la maison familiale. Bona part s’installer chez Gardo, dont elle devient la bonne à tout faire. La jeune fille répond aux caprices de cet acteur raté au physique avantageux, tout en étant obligée de supporter le défilé de ses conquêtes…
Bona débute sur une scène de procession religieuse où la foule se presse autour du Nazaréen noir, une statue du Christ vénérée par les philippins pour ses pouvoirs miraculeux. La ferveur religieuse des Philippins est bien connue : ils n’hésitent pas à reconstituer sans trucage la passion du Christ. Lino Brocka introduit les thèmes de la dévotion et de la soumission qu’il explore dans Bona, et en filmant la véritable procession religieuse, il marque l’inscription de son film dans la réalité de son pays. Brillante Mendoza s’en souviendra pour Tirador.
Bona possède une dimension méta. Le personnage principal est interprété par la chanteuse Nora Aunor, l’une des superstars du pays. Alors même qu’elle jouait cette fan absolue, elle était elle-même entourée d’alalay, qui lui allumaient ses cigarettes lors de ses pauses.
Homme immature et égoïste, Gardo est un macho dans sa toute sa splendeur, qui profite de la dévotion de Bona sans jamais rien lui offrir en retour. Elle a pourtant reçu une certaine éducation : les voisins du bidonville lui demandent de l’aide pour les devoirs de leurs enfants.
Au spectateur de s’interroger sur l’absence – ou presque – de révolte de Bona contre toutes les couleuvres que Gardo lui fait avaler, même si elle a choisi son destin. À travers son histoire, Lino Brocka nous invite à réfléchir sur notre propre complicité dans les systèmes d’exploitation.
Bona est une mise en garde contre une trop grande docilité et un appel en creux à la révolte. Révoltez-vous avant qu’il ne soit trop tard, pourrait être la morale de ce film tourné sous la dictature de Ferdinand Marcos, contre laquelle Lino Brocka était engagé.
La force de son cinéma est d’inscrire son engagement via l’utilisation du mode documentaire – Bona se déroule en partie dans un bidonville - dans le mélodrame, un genre très populaire dans son pays. Un résumé succinct du film pourrait être le suivant : une jeune femme tombe follement amoureuse d’un homme, qui ne partage pas ses sentiments et est rejetée par sa famille pour cette raison. Lino Brocka ne juge pas non plus ses personnages.
Bona doit sa résurrection à Pierre Rissient, grand passeur du cinéma asiatique s’il en est. Des cinéastes comme King Hu et Lino Brocka connaîtront grâce à lui la reconnaissance qu’ils méritent en occident. Sa passion pour le cinéma, et particulièrement pour celui de Lino Brocka permettra au film de réapparaitre après avoir disparu des écrans depuis sa sortie il y a 40 ans.
Bona est sorti chez Carlotta Films dans une version restaurée en 4K UHD ou en Blu-ray.







