Born to Kill
Triste fin de parcours...
Pour se plonger dans la découverte d’un cinéma, quoi de mieux que de se trouver un point d’ancrage, que ce soit sous la forme d’un réalisateur, d’un acteur ou d’une actrice ? Remonter le fil de sa carrière offre un parcours idéal, propice à de nouvelles rencontres qui, à leur tour, vous entraînent sur de nouvelles voies, parfois bonnes, parfois sans issues ; vous éprendre d’une figure cinématographique vous offre donc un guide, un(e) ami(e) pour entamer ce merveilleux voyage qu’est la rencontre avec le cinéma d’un pays étranger. Parmi les noms qui ont marqué ma découverte du cinéma coréen - Han Seok-Gyu, Ahn Seong-Gi, Park Jung-Hun, Choi Min-Sik, Song Gang-Ho - il y en a un en particulier, auquel je me suis rapidement attaché : celui de Shim Eun-Ha.
Shim Eun-Ha, je l’ai tout d’abord rencontrée au détour du merveilleux Tell Me Something, mystérieuse et envoûtante, puis croisée le temps d’une Interview, avant d’enchaîner avec Art Museum by the Zoo, Christmas in August, Les insurgés... un parcours sans faute, malheureusement trop court étant donné que l’une des plus belles femmes du cinéma coréen a mis un terme prématuré à sa carrière sur grand écran. Après son premier film, My Old Sweetheart, il ne me manquait qu’une œuvre à découvrir : Born to Kill, une réalisation signée Jang Hyeon-Su (Everybody Has Secrets) avec Jeong Woo-Sung, acteur de l’excellent Beat du réalisateur de Musa. C’est aujourd’hui - malheureusement - chose faite...
Gil est un tueur. Au service d’un mafieux traitre et amoral, il exécute ses contrats avec violence, comme dans cette expédition punitive qui ouvre Born to Kill et se solde par une très graphique énucléation. Une passion ravageuse qui contraste fortement avec la vie de cet homme, presque simplet, faite de solitude et de nombreux riens. Il vit seul dans un appartement sans mobilier ou presque, et conserve l’argent de ses contrats dans son frigo, fuyant les lieux publics comme les banques. Depuis sa fenêtre, il observe sa voisine, Soo-Ah, une barmaid qui rentre tous les soirs passablement éméchée. Après qu’il l’ait récupérée un soir, ivre morte au milieu de la route, la jeune femme tombe amoureuse de lui. Un amour qui s’exprime sans gêne, de façon très rentre-dedans, la barmaid s’imposant à lui de façon presque indécente. Taciturne, Gil a du mal à exprimer ses sentiments et fuit le contact humain. Pourtant sa relation avec Soo-Ah le transforme peu à peu en homme « normal », et il tente de prendre ses distances avec la violence qui l’habite. Son boss cependant, ne l’entend pas de cette façon ; surtout quand Gil refuse de tuer l’un de ses supérieurs, récemment sorti de prison, et autrefois protecteur de Gil...
A la base de ce Born to Kill sorti en 1996 donc, une histoire de tueur solitaire maintes fois contée, et qui s’apparente à des centaines de film hongkongais similaires. Bien loin d’un Johnnie To ou de The Killer cependant, Born to Kill lorgne plutôt, dans ses premières minutes, du côté du fleuron policier de la Category III : éclairages contrastés et saturés, faux ralentis, musique électronique eighties et un penchant très marqué pour l’utraviolence gratuite... même si le film de Jang Hyeon-Su affirme très vite son manque de qualités cinématographiques, rien ne laisse donc présager, à ce stade, du désastre à venir... Rapidement toutefois, tout s’emballe - ou plutôt devrais-je dire, l’ensemble cale. Comme un véhicule mal démarré, la narration de Born to Kill semble s’arrêter net avec l’apparition d’une Shim Eun-Ha paumée et grimée à outrance, en plein surjeu de femme-enfant capricieuse. Jeong Woo-Sung pour sa part, n’est ni bon ni mauvais, la platitude de son personnage n’offrant aucune possibilité véritable de jeu d’acteur. Dès lors, le film navigue entre le drame intimiste et le polar foireux, Born to Kill prétendant être autre chose qu’une simple histoire de tueur retourné contre sa hiérarchie, avant de finalement se résigner et d’accepter sa véritable nature. Lorsqu’il le fait cependant - après plus d’une heure et quart de film - le sommeil nous a déjà gagné et la revendication est bien trop illisible pour sauver la tenue désastreuse de l’ensemble.
Il y avait bien pourtant une ou deux idées à creuser, comme le fait que Gil, protégé par un ponte de la mafia locale, était destiné à devenir l’inverse d’un bad guy, peut-être même un prètre, mais qu’il a été abusé et transformé en instrument de violence. Mais Born to Kill possède un défaut majeur qui empêche cette piste de prendre son envol : il n’est pas écrit, tout simplement. Un peu comme si le film avait été tourné dans l’ordre chronologique et scénarisé au quotidien, avec une tentative intervenant au dernier moment, de lui conférer une personnalité. Quoiqu’il en soit c’est un échec, d’autant plus cuisant qu’on ne peut que ressentir de l’amertume face à cette resortie tardive, qui vient ternir la filmographie par ailleurs sans faille de Shim Eun-Ha. Reste l’immense beauté de cette actrice, lorsque le réalisateur daigne la laisser s’exprimer sans un maquillage effectué à la truelle ; mais dans le cas présent, c’est trop peu !
Born to Kill est disponible en DVD coréen chez Dawoori Entertainment. L’édition pourtant récente, compte certainement parmi ce qui s’est fait de plus minable dans l’histoire du format. La copie, bien qu’indiquée comme étant en 1.85 :1 anamorphique, ne l’est pas : son format bâtard, est situé quelque part entre le 14 :9 et le 16 :9, et vous force à trancher entre un applatissement vertical ou horizontal. Sa définition, dramatique, ressemble plus à du MPEG-1 baclé qu’à du MPEG-2. Pour parfaire le tout, l’image perd parfois ses couleurs - qui sont déjà très mal restituées - et les sous-titres anglais sont à la limite du compréhensible, quand ils ne sont pas ridicules - le « you » devenant par exemple régulièrement un « ya » très gangsta tout à fait déplacé. Bref, pas de quoi renforcer notre capital sympathie, déjà au plus bas pour ce film sans grand intérêt.



