Cannes 2003 - Asie du sud-est : le sous-continent perdu ?
Longtemps cantonné à son marché local à l’exception des œuvres de grands maîtres comme Akira Kurosawa, le cinéma du "Far East" a connu au cours des dernières années un essor international que sa présence au cœur des festivals mondiaux ne permet plus d’ignorer. Cette année encore, quoique demeurant largement minoritaires, les films chinois, japonais, coréens étaient présents sur les écrans cannois. La production asiatique, ou du moins ce que l’on en a vu tout au long des dix jours du Festival de Cannes, a eu l’avantage de nous offrir un panorama des considérations du moment, des craintes et des espoirs nés et vécus dans cette partie du monde. Et le constat n’est pas des plus optimistes... Hors Gozu, farce burlesque et surréaliste signée Takashi Miike, qui est si éloignée de la réalité qu’on en oublie les obsessions et les peurs qui l’ont fait naître, les sujets choisis par les réalisateurs de l’Asie du sud-est ont de quoi saper le moral du plus optimiste des spectateurs.
Incommunicabilité (Akarui Mirai), impossibilité de vivre libre (All Tomorrow’s Parties) ou d’atteindre à ses rêves (Robinson’s Crusoë), perte des illusions (Drifters) ou d’une partie de soi (Shara), histoire d’amour brisée (Oasis), critique du show business (Interstella 5555) ont été au menu de l’expression des cinéastes du "grand Est" en cette édition 2003. Et si le rythme narratif des films asiatiques (en dehors de ceux de Hong Kong, souvent plus proches du modèle occidental) est traditionnellement lent, on a pu percevoir une espèce de manque d’entrain, un désenchantement des réalisateurs. Or, ce comportement quasi-dépressif trouve ses causes dans la société qui entoure les créateurs.
C’est particulièrement patent chez les Japonais, pour qui cette attitude n’est pas neuve, bien qu’elle ait été renforcée ces dernières années par la crise économique que traverse leur pays. Au travers de leurs œuvres, la pression sociale paraît telle que la vie y semble impossible. Cela ressort formidablement, notamment dans Akarui Mirai (Bright Future), film dans lequel Kiyoshi Kurosawa mêle l’incapacité à vivre en société, rupture du lien familial et recherche d’une reconstruction sentimentale, le tout baignant dans une difficulté de communication que l’on peut interpréter comme la source ou la conséquence des autres maux.
Le réalisateur de Robinson’s Crusoë, s’il emploie un point de vue différent, puisque son personnage principal est un cadre supérieur, un homme installé, ne dit pas autre chose. En effet, s’il mène une vie de célibataire confortable et égoïste, au point que son seul véritable rêve est de s’acheter une île déserte pour y finir ses jours, c’est surtout par impossibilité de vivre en société... et d’aimer.
L’amour, en revanche, est très présent dans le Shara de Naomi Kawase, mais il est cause de plus de malheurs que de bonheurs, puisque c’est la disparition d’un jumeau adoré qui est le déclencheur d’un mal-être et, là encore, d’une incapacité à vivre et à aimer.
Et les Japonais ne sont pas seuls touchés : d’amour encore, il est question dans le film coréen Oasis, histoire touchante entre une handicapée et un homme accusé, à tort, d’avoir tué son père. De belles images et des idées apaisantes font passer la pilule, mais le fond est tout aussi désespéré que chez les confrères nippons.
Dernier pays représenté : la Chine. Entre le retour au pays, après son expulsion des Etats-Unis, du héros de Drifters, l’inadaptation à la liberté des protagonistes de All Tomorrow’s Parties et le véritable drame de Purple Butterfly, qui retrace une période bien sombre de l’histoire récente du pays, les idées ne sont pas plus roses dans l’ancien Empire du Milieu.
En fait, le seul film asiatique qui ait offert un abord moins dramatique, c’est Interstella 5555, électropéra animé par Leiji Matsumoto, bien connu des trentenaires comme père du pirate de l’espace Albator. Mais à l’origine du projet se trouvent... les Français de Daft Punk !

