Charulata
Un jeune riche intellectuel, Bhupati, édite en anglais un journal politique libéral à Calcutta à la fin du XIXe siècle. Tout à sa presse d’imprimerie, il porte peu d’attention à son épouse Charulata. Se rendant compte de la solitude de sa femme, Bhupati demande à son cousin Amal, un jeune lettré insouciant, de stimuler le talent qu’elle semble posséder. Cette venue ne va pas seulement bouleverser son quotidien, Charulata va rapidement tomber sous le charme d’Amal.
La scène d’ouverture est un pur bonheur de cinéma. Sans qu’une seule parole explicative ne soit prononcée, Satyajit Ray met le spectateur dans la peau de Charulata, épouse oisive et délaissée de la bourgeoisie bengalie. Son mari la frôle dans un couloir sans la voir, aussi oublieux d’elle que de la superbe tapisserie recouvrant les murs de la maison. Élégamment, la caméra la suit traînant son ennui dans sa maison luxueusement meublée, cherchant un nouveau livre, observant le monde extérieur à l’aide de jumelles de théâtre via des persiennes…
L’arrivée d’Amal va tout changer, ébranlant la cage dorée dans laquelle Charulata était enfermée. Sa présence va lui donner un nouvel élan. Le talent littéraire de la jeune femme avait en effet déjà été reconnu, sans qu’aucun de ses proches ne soit au courant.
Satyajit Ray met merveilleusement en scène la libération de Charulata via un hommage direct à Une Partie de campagne de Jean Renoir, influence majeure du cinéaste bengali. Dans la première séquence de la balançoire, il illustre magnifiquement le retour à la vie de Charulata. La scène est l’une des rares en extérieur : l’oiseau s’est libéré de sa cage dorée.
Les deux comédiens, Madhabi Mukherjee et Soumitra Chatterjee incarnent magnifiquement Amal et Charulata. Le premier est aussi enjoué qu’il semblait déprimé dans Le Lâche. Madhabi Mukherjee rayonne littéralement.
Charulata se déroule dans sa quasi-intégralité à l’intérieur de la maison, mais jamais l’action ne semble statique, ni les plans répétitifs. Film sur une histoire adultère et sur le désir d’écrire, Satyajit Ray transforme en scène d’amour, sans consommation physique, le moment où Amal découvre l’étendue du talent littéraire de Charulata. Il la couvre de compliments comme il la couvrirait de baisers.
Satyajit Ray est un cinéaste humaniste. Même si son cousin, sa femme et le frère de cette dernière ont trahi sa confiance, Bhupati sait aussi faire la part de ses torts.
Charulata contient déjà le triangle amoureux constitué d’un couple et d’un homme, aussi présent dans son film suivant, Le Lâche. Les maris possèdent également comme point commun dans les deux réalisations de ne pas accorder suffisamment d’attention à leur épouse. A l’instar de nombreux films du cinéaste, contrariées par l’ordre social, les femmes ne peuvent exercer leur talent à la hauteur de leur capacité.
Le cinéaste indien nous offre une mise en scène particulièrement riche, à la fois classique et moderne. Il continue de surprendre même dans les dernières minutes du métrage. Charulata est un pur plaisir de cinéma où presque chaque plan, chaque mouvement de caméra, chaque geste possède une dimension poétique. Quel plus bel hommage à rendre à Rabindranath Tagore, qui a écrit l’histoire originale.
Charulata est disponible en version restaurée 2K en DVD et en Blu-ray dans un box édité par Carlotta, qui comprend également La Grande ville, Le Lâche, Le Saint, Le Héros et Le Dieu éléphant.





