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Taiwan | Festival du film asiatique de Deauville 2006 | Rencontres

Cheng Wen-tang | Lu Yi-ching

"Je pense que, en réalité, il y a beaucoup de problèmes auxquels on peut trouver une solution de manière très simple. Il faut simplement utiliser l’innocence, simplifier notre façon de communiquer."

Le troisième film du réalisateur Cheng Wen-tang, présenté au cours de la dernière édition du Festival du film asiatique de Deauville, est le portrait d’une relation mère-fille implicite entre deux femmes qui se sont rencontrées en prison. Pour prolonger la vision de Blue Cha Cha, nous avons pu rencontrer son metteur en scène, ainsi que la très belle interprète d’Ann, cette grande - et espiègle - dame qu’est Lu Yi-ching...

Sancho : Comment est né le projet Blue Cha Cha ?

Cheng Wen-tang : J’ai pas mal d’amies, des femmes, qui ont le même genre de problèmes que ceux exposés dans le film ; j’ai décidé de le réaliser car je voulais montrer que les solutions basées sur l’amour ne fonctionnent pas forcément.

Les hommes dans Blue Cha Cha, vivent les femmes comme une danse, de façon intense et sans promesse, alors que leurs partenaires attendent autre chose, s’investissent trop...

C’est le résultat d’un point de vue personnel ; pour moi les hommes - du moins ceux que je connais dans mon milieu - sont plus animaliers, alors que les femme ont toujours envie que les relations soient profondes, qu’elles durent plus longtemps... mais c’est seulement mon point de vue !

Comment avez-vous abordé la retranscription de cette amitié presque plus exclusive qu’une relation amoureuse, entre votre personnage, Ann, et celui interprété par Su Hui-lun ?

Lu Yi-ching : Pour la plupart des femmes que je connais, l’amour, c’est toute leur vie ; un peu comme ce que représente un métier pour un homme. Du coup à chaque fois qu’une relation se termine, leur vie s’écroule autour d’elles. C’est cela qui m’a amené à me demander s’il y avait dans la vie, quelque chose de plus important que l’amour pour les femmes. Nous jouons suivant des règles très différentes de celles des hommes, qui sont avant tout professionnelles, et je crois que j’ai trouvé la réponse dans le fait que nous avons tourné dans le sud du pays. Là-bas, il y a la mer, et pour moi la mer, c’est aussi la mère, la parente. C’est cette inspiration qui m’a donné l’opportunité de jouer non pas une femme, mais presque une mère, qui englobe tout, qui essaye de protéger A-Yu. C’est comme cela que j’ai abordé mon rôle, ma façon de jouer.

Celle-ci est très physique et musicale ; ce n’est pas la première fois que l’on vous voit danser ainsi, pour surmonter...

Je crois que vous faites référence à La Saveur de la pastèque de Tsai Ming-Liang ; c’est différent car La Saveur de la pastèque est une tragédie, qui justifie que l’on doive trouver un moyen de la surmonter. Ici, c’est une idée du réalisateur.

Cheng Wen-tang : Je trouve que la danse à deux, parfois, c’est mieux que le dialogue. Et lorsque l’on voit deux personnes danser, on voit leur désir, ou alors l’amitié qui les unit. Ca peut être à la fois très proche et très distant ; la figure de la danse à deux me semblait donc très appropriée pour cette histoire.

A l’issue du film, on garde plus en mémoire la mer qui entoure Taiwan que la ville à proprement parler...

La mer est très importante pour les taïwanais bien entendu, puisque Taiwan est une île au milieu de l’océan Pacifique. Mais le problème c’est que, pour des raisons politiques, les taïwanais ne peuvent pas rester trop près de la mer ; ils en ont le désir mais ne peuvent pas le faire. C’est pareil pour moi ; nous avons envie d’aller nager, d’aller nous amuser mais nous ne pouvons pas. Il reste donc ce désir très fort, qui attire les taïwanais vers la mer. De plus l’histoire de Blue Cha Cha est celle de deux femmes, et la femme pour moi, est un être généreux, comme la mer. Il était donc approprié de raconter cette histoire au bord de l’eau.

Du coup les marionnettistes qui vont et viennent en bateau à la fin du film, incarnent-ils un idéal de liberté taïwanais ?

Chez nous il existe un proverbe, qui dit que la vie est comme la mer. On peut y préter beaucoup d’interprétations, penser que c’est un peu cynique, mais je trouve que c’est vrai dans le sens où il y a beaucoup de liberté dans la vie. Ces personnages à la fin du film, les marionnettistes, sont donc un symbole de liberté parce que ce sont des gens ambulants ; leur idée de la liberté est certainement l’une des meilleures.

Tout au long du film il y a le spectre de la prison qui plane sur l’héroïne, la marginalisant au-delà de son incapacité à communiquer. Pourquoi apporter cette dimension criminelle au personnage ?

D’après mes observations, les femmes désirent trop l’amour, et ce jusqu’au point où elles deviennent prisonnières de leur désir et se limitent dans un certain espace de vie ; c’est pour cela que j’ai rajouté cette idée de prison en toile de fond. C’est aussi parce que le film est inspiré d’une histoire vraie...

Ce qui est étonnant au final, c’est que l’héroïne n’arrive à avoir une relation généreuse qu’avec ce jeune marionnettiste qui est, lui, véritablement autiste...

Je pense que, en réalité, il y a beaucoup de problèmes auxquels on peut trouver une solution de manière très simple. Il faut simplement utiliser l’innocence, simplifier notre façon de communiquer. Parce qu’on peut communiquer par un regard ou même un geste ; l’idée est donc de mettre en scène une façon plus libre de s’exprimer et résoudre les problèmes de communication.

Vous avez travaillé avec Tsai Ming-Liang chez qui la réalité est très crue, et qui est très exigeant avec ses acteurs ; Blue Cha Cha à l’inverse est un film tendre, délicat...

Lu Yi-ching : Le point de vue de Tsai Ming-Liang sur les femmes me semble un peu spécial. Il m’est difficile d’expliquer comment il est arrivé à cette vision si particulière de la femme, car dans son enfance il a dû avoir une mère, une grand-mère, comme tout le monde... je voudrais utiliser une image mais je ne sais pas si je vais être très claire : j’ai l’impression que pour lui, une femme c’est comme un bâton de glace que l’on aurait sorti du congélateur, mais qu’on ne mange pas. Dans Blue Cha Cha par contre, c’est un rapport à la vie que je comprends mieux, c’est plus la vie pour moi : la façon d’y traiter les hommes et les femmes est plutôt égale, et il y a de la peine, du bonheur... et lorsque Ann ressent de la peine, elle danse pour se soulager. Je dirais que dans ce film, c’est comme si j’étais en train de manger une barbe à papa, très sucrée à l’extérieur, mais vide à l’intérieur. Mais c’est encore une image...

Interview réalisée le dimanche 12 mars 2006, à l’occasion de la présentation de Blue Cha Cha en compétition officielle au cours du 8ème Festival du film asiatique de Deauville. Photos : Kaelu San.

- Article paru le mercredi 5 avril 2006

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