Claustrophobia
Tom, en manager sympathique, raccompagne chaque soir ses collègues chez eux. A l’arrière de la voiture, Jewel et John s’attrapent tandis que Pearl semble attendre que le doyen, Karl, riding shotgun comme on dit, soit arrivé chez lui, pour se retrouver seule avec le chauffeur. Dans l’habitacle, la tension est palpable ; Tom annonce à Pearl qu’il lui a trouvé un entretien dans une autre société – une façon impliquée de préfigurer son licenciement. La gêne, jusqu’alors immatérielle, s’incarne en discussions puis oppositions silencieuses, et l’on devine que les deux êtres partagent un passif autre que professionnel. Aussi lorsque Pearl se décide à terminer le trajet à pied, sous la vigilance de Tom qui la suit en voiture, la séparation prend-elle des allures de rupture ; une impression que la réalisatrice Ivy Ho va confirmer, en creux, en remontant le temps non pas pour évoquer les jalons de cette relation implicite, mais les espaces qui les séparent.
La première scène de Claustrophobia, longue séquence en voiture, est certainement l’une des introductions les plus maîtrisées que le cinéma de Hong Kong nous ait offerte depuis longtemps. Ivy Ho, pour la première fois derrière la caméra après une carrière bien remplie de scénariste (Comrades : Almost a Love Story, Anna Magdalena, The Accidental Spy, Jade Goddess of Mercy, Divergence), parvient à créer une claustrophobie qui tient autant de l’exiguïté du décor, que de la proximité humaine forcée - une claustrophobie sociale. Celle là même qui condamne deux personnes dont les sentiments ne sont plus réciproques ou ne peuvent l’être, à partager un espace au sein duquel ils ne peuvent plus, justement, partager.
L’espace est le mot clé de cet étonnant périple émotionnel, alambiqué voyage à rebours dans une relation entièrement absente à l’écran. Le film est composé de saynètes espacées dans le temps – d’un ou plusieurs mois – qui évoquent une vacuité en opposition, paradoxale et pertinente, avec le manque d’espace dont souffre le personnage de Pearl. La force hypnotique de Claustrophobia, tient à l’aptitude d’Ivy Ho à créer des émotions à partir de leur absence, à évoquer un rapprochement sans jamais le montrer. La mise en scène s’attarde longuement sur les personnages, en gros plan – Karena Lam surtout, qui vampirise la caméra avec une attraction déconcertante – sans jamais tenter d’aller plus loin que l’esquisse nécessaire à notre compréhension, non pas d’une histoire, mais de sentiments, étouffés et étouffants. Régulièrement, la réalisatrice recourt à l’intermédiaire du reflet, pour évoquer l’intériorité de sa narration. Comme elle recourt aussi aux caméras de surveillance pour exposer le mensonge bénin du doyen au cours d’un rendez-vous professionnelle ; l’objectif n’étant pas tant de semer le doute sur le personnage, que de faire naître, par écho, un terrain de possibles dans l’apparente gentillesse de Tom. Le personnage du docteur de Pearl – superbe Eric Tsang, comme d’habitude - sert aussi, dans la reconnaissance d’une émotion partagée, autrefois, avec la mère de sa patiente, à donner corps à cette possibilité ; tout comme les soupçons de Jewel quant à l’intégrité professionnelle de Tom.
Claustrophobia, en dépit du résumé aberrant qu’en ont livré ses chargés de presse dans le catalogue de la dernière édition du Festival du film asiatique de Deauville (où le film fut présenté en compétition officielle), laissant penser que Tom allait s’avérer être un dangereux psychopathe, est un film extrêmement inhabituel sur la scène HK : un film d’auteur réussi. Ce d’autant plus qu’il met en scène deux pointures du cinéma grand public, Karena Lam et Ekin Cheng. Si nous avons déjà évoqué la facilité avec laquelle la première occupe l’écran, ravissant notre regard avec la beauté de son désespoir, il convient de rendre hommage à l’homme à la mèche, ici paré d’une retenue qui lui sied à merveille. Rarement l’ancien Young & Dangerous aura-t-il été aussi convaincant, véritable acteur et non endive marketing.
Un couple qui contribue, sous le regard détourné d’Ivy Ho, à faire de Claustrophobia une réussite à la fois évidente et distante. Le film, dont les attraits moins superficiels ne se révèlent pas facilement, pourra en effet paraître austère à certains, obscur à d’autres ; mais c’est là le risque que l’on prend, lorsque l’on parvient à créer un espace infini d’émotions à imaginer, dans un cadre, narratif et physique, aussi contenu. C’est donc bien la force du non-dit de cette première œuvre, qui fait son intérêt ; Ivy Ho y ayant trouvé matière à transmettre l’Histoire d’une relation sans jamais la montrer.
Claustrophobia a été présenté en compétition officielle au cours de la 11ème édition du Festival du film asiatique de Deauville (2009).



