Cold Prey
Une excursion en voiture en direction des massifs déserts de Jotunheim, dans le but de rejoindre un spot de glisse inconnu du plus grand nombre, offre à Roar Uthaug l’occasion de reprendre à son compte une dynamique de groupe asymétrique, chère au survival, avec ses cinq amis qui composent deux couples et une individualité solitaire. La hiérarchie implicite du groupe est celle de ses relations : Jannicke et Eirik font office de moteur, Ingunn et Mikal, fraichement entichés, d’accompagnateurs, et Morten Tobias de maillon libre, et par conséquent potentiellement handicapant. L’ombre d’une conscience collective de l’horreur occidental plane sur Cold Prey comme elle planera, quelques années plus tard, sur son compatriote Manhunt. A tel point que le handicap de l’électron libre s’incarne rapidement dans la fracture ouverture de Tobias, amorce de la narration évolutive de ce slasher protéiforme.
Il a été dit à maintes reprises, dans diverses revues spécialisées on et offline, que Cold Prey marquait une renaissance du slasher. Et pour cause : Roar Uthaug en reprend les motifs classiques en les teintant de mécaniques issues du survival, sans perdre de vue une douleur humaine qui soustrait le film d’une véritable justification, pour l’ancrer dans une contextualisation autrement plus intéressante, silencieuse et hors-champ. Alors que dans bon nombre de slashers, la violence vient d’une menace qui constitue le background de la narration, souvent mélange de défiance, provocation et stupidité adolescentes, aucune légende urbaine ni tueur en liberté n’amorce le périple horrifique de Jannicke et ses amis ; tout au plus quelques coupures de presse relatent des disparitions en montagne, que l’on ne saurait relier, dans un premier temps, au flashback de la disparition d’un enfant dans les massifs norvégiens.
Uthaug profite de la blessure de Tobias pour isoler ses protagonistes dans un hôtel abandonné, plongé dans l’obscurité, duquel ne se dégage aucune menace avant que la lumière électrique des néons, relancée par les connaissances mécaniques d’Eirik, ne baigne l’ensemble d’un jour nouveau. La crainte nait alors du visible puisque c’est sous la lumière que les lieux deviennent inquiétants, dans une lisibilité propre à la compréhension, en filigrane, d’une histoire de violence. Une approche contrariée de l’horreur teenager confirmée dans la relation sexuelle avortée entre Ingunn et Mikal, point de départ des morts en séries du film. Ici, ce n’est pas le sexe qui tue mais son absence, et, Cold Prey a beau avoir constamment l’air familier, ce contrepoint parmi d’autres lui permet d’offrir au genre une nouvelle virginité.
D’autant que la réalisation comme l’écriture, garantissent le succès de l’entreprise. Jannicke, figure Ripleyienne, s’éloigne faussement des sophismes exploités et enterrés par la trilogie Scream. Si elle trouve dans son environnement matière à passer de victime à bourreau de façon plausible (un fusil saisi hors champ qui transforme la traque unilatérale en duel), elle élabore une stratégie qui semble s’éloigner de la sempiternelle impasse volontaire (une victime qui monte volontairement s’enfermer dans une chambre à l’étage pour échapper à son poursuivant, par exemple) pour finalement mieux précipiter la chute des adolescents. Ses décisions sont bonnes mais sa perception incomplète, ce qui donne à Cold Prey des faux airs d’improvisation alors que, justement, il est infiniment réfléchi. Uthaug construit un puzzle précis (la cartouche de fusil délaissée par Jannicke alors qu’elle recherche de quoi refermer la plaie de son ami au début du métrage, le cutter saisi par Tobias) dont les morceaux se rejoignent logiquement et brutalement à chaque accident narratif, sans jamais céder à la facilité d’un twist ni à d’ostentatoires effets d’explicitation rétroactifs.
Les pièces de ce puzzle aux teintes désaturées ne s’assemblent que dans les dernières images du film, uniquement offertes au spectateur, sans le moindre dialogue. Et alors qu’Ingrid Bolsø Berdal, magnifique actrice teintée de Sigourney Weaver donc, dans sa beauté faussement froide et masculine, contemple une issue au cauchemar, Cold Prey se pare, à l’insu de sa protagoniste, d’une véritable humanité, tout aussi contrariée que les mécanismes horrifiques qu’il détourne et confronte à merveille. Plus qu’un slasher, Cold Prey est une synthèse intelligente et dynamique des principaux sous-genres sans cesse revisités par le cinéma contemporain : « simplement » un film d’horreur, remarquable.
Cold Prey est notamment disponible en DVD en Angleterre, dans une édition superbe et très abordable, et devrait finir par débarquer chez nous si l’on en croît le trailer reel spécial Norvège de l’édition Studio Canal de Next Door.




