Crank
Chev Chelios, hitman extraordinaire, vient de se faire assassiner dans son sommeil ; c’est du moins ce que lui explique Verona, petite frappe à la solde de la mafia HK locale, qui lui prouve par vidéo interposée qu’il s’est introduit chez lui pendant la nuit, et lui a injecté un poison synthétique d’origine chinoise qui devrait venir à bout de son existence dans l’heure qui suit. Et pour preuve, Chev se sent faible, incapable de se déplacer. Une heure... juste assez de temps pour mettre la main sur son assassin. Chemin faisant, il se rend compte que la vitesse l’aide à se sentir mieux ; ce que lui confirme son médecin, certain qu’il a hérité du « Beijing Cocktail », une saloperie qui bloque sa sécrétion d’adrénaline. Pour repousser une mort certaine, il ne reste à ce héros improbable qu’une solution : foncer, et surtout ne jamais s’arrêter.
Il y a quelque chose de Takashi Miike dans ce premier film de Neveldine et Taylor, dont il est certain qu’ils vont, un temps du moins, devenir un « couple » de renom dans le paysage de l’actionner moderne : une hystérie, certainement, qui rappelle par exemple l’exposition de Dead or Alive, mais aussi cette normalité amorale qui régit l’univers de Crank sans jamais être remise en question ni sembler étrangère. Crank est un film excessif, jusqu’au-boutiste, politiquement et socialement incorrect, qui s’assume avec tellement de naturel et de brio qu’il est à la fois parfaitement irréel - son ultraviolence très cartoon - et parfaitement crédible. Pour justifier ce dernier point, il faut préciser que les deux auteurs / réalisateurs, dans la gestion impeccable d’un pitch aussi simpliste qu’excellent, redéfinissent la notion de « suspension d’incrédulité », grâce à ce maître mot du film qu’est la vitesse.
Dès ses premières images en effet, Crank s’affirme comme un film speed. Ce qui chez beaucoup de réalisateurs passerait pour un héritage clipesque injustifié, trouve ici très rapidement sa raison d’être grâce à une exposition à cent à l’heure, explicitant la délicate situation de Chev Chelios. Utra-maîtrisée, cette exposition oppose la tension du tueur empoisonné au calme de ses interlocuteurs, puis renverse la situation en faisant montre d’un cool implacable alors que le héros traverse un centre commercial en voiture, la police aux trousses, avant de se retrouver sur le toit sur un escalator, imperturbable dans sa communication téléphonique. L’action incarne immédiatement un rôle particulier, oscillant à toute vitesse entre le premier plan et l’arrière plan, le sujet et le background. Seul référentiel du film, Chelios en est un en mouvement ; la caméra s’attache à lui, lui court après, virevolte pour retranscrire son état physique, qui alterne lui-même entre la montée d’adrénaline et la chute brutale. Autour de ce roller-coaster humain, tout n’est qu’obstacle.
Au cours de cette course, le spectateur n’a que peu de temps pour souffler et constater combien Chelios, parfaite incarnation de la présence, verbale et physique, de l’acteur Jason Statham, est un héros atypique. L’homme serait même à peu de choses près, un monstre de première classe : pour s’en convaincre, il suffit de le voir traverser un hôpital dans le but de trouver de l’adrénaline de substitution - n’omettant pas de se faire défibriller au passage -, renversant patients et médecins comme s’il s’agissait de vulgaires objets, persécutant de son arme des médecins en route pour le bloc opératoire, menaçant un homme mourant. Mais rien de tout ça ne dégoûte le spectateur, ne parvient à entamer la sympathie que l’on éprouve pour ce héros sur le tard : pas plus le stratagème honteux du personnage pour se débarasser d’un chauffeur de taxi d’origine arabe (en réalité prétexte à une superbe attaque contre la mentalité Bush), que l’exhubérance d’une partie de jambes en l’air énergisante en pleine rue, parodie grandiose de ces scènes de retrouvailles qui parcouraient le cinéma mielleux américain des années 80, sollicitant les applaudissements d’une foule touchée par tant d’émotion. De bout en bout, Crank se prend à la fois très au sérieux et pas du tout ; il est brutal, atypique, résolument moderne dans sa narration visuelle et dans cette vitesse, parfaite retranscription des possibilités littéraires de la langue anglaise. Crank est un petit film estimé qui n’a certainement pas eu le succès qu’il méritait ; il ne fait aucun doute toutefois qu’il fait partie de ces œuvres qui seront maintes fois copiées avant d’être redécouvertes, et appréciées à leur juste valeur. Car oui, Crank est un bijou... sauvage et épuisant, certes, mais un bijou tout de même !
Prévu dans nos salles le 14 mars 2007, Crank est d’ores et déjà disponible en DVD, aux USA comme en Angleterre.