Crows Zero
The world is yours to take.
Genji Takaya débarque à Suzuran en terminale. Ce « lycée des corbeaux » est réputé être le plus dur du Japon. Ici, le statut d’un élève n’est pas décidé par ses résultats scolaires mais à la force de ses poings. Genji est bien décidé à accomplir ce qu’aucun élève n’a jamais fait : conquérir Suzuran. Pour ce faire, il doit affronter le monstre de l’école, celui qui est déjà presque au sommet au bout de plus de deux ans de combat, Tamao Serizawa. Mais il ne suffit pas pour cela, de se lancer tête baissée dans un duel ; il faut avant tout former une véritable armée, unir les différentes factions en présence, toutes désireuses de gravir au sommet de l’établissement. Une brutale méprise conduit Genji à s’allier à une petite frappe yakuza, Ken, désireux de l’aider à accomplir ce rêve qui était autrefois le sien. Ensemble, ils s’attaquent aux classes de terminale, une par une, pour tenter de les convaincre, par la force, la manipulation ou le charisme, de rejoindre leurs rangs...
Fidèle à sa réputation d’acharné de la caméra, c’est sitôt l’exceptionnel Sukiyaki Western Django terminé que Takashi Miike s’est plongé dans l’univers du mangaka Horishi Takahashi. Si celui-ci avait toujours décliné les propositions d’adaptation de son œuvre, véritable phénomène au Japon, la proposition du producteur Mataichiro Yamamoto a finalement eu raison de ses réticences. A une nuance toutefois, puisque Crows Zero n’est pas une adaptation des œuvres publiées, mais une préquelle à l’univers du lycée des corbeaux. Une histoire originale, élan rageur devant servir de point de départ rétroactif, qui donne l’occasion à Miike de livrer un film de nouveau foisonnant après ses récentes expérimentations en économie narrative et figurative.
Il est évident dès les premières minutes de Crows que Miike comme à son habitude, saisi son sujet à bras le corps. Le réalisateur abat en premier lieu la carte du flash forward, amorce anticipée chère aux séries télé contemporaines, en nous montrant l’exécution en guise d’exemple, d’un yakuza qui proclame son amour pour un certain Genji. Lequel jeune homme nous retrouvons sur le toit du lycée Suzuran, marquant à la bombe son nom par dessus celui du proclamé leader des lieux, Serizawa. Une rixe entre yakuza et Genji plus tard – mise en parallèle d’une course poursuite hilarante entre un flic et le dénommé Serizawa, de retour de l’hôpital où son meilleur ami s’est fait diagnostiquer une condition qu’il passe sous silence, - le désir de liberté par procuration scandé par le yakuza des premières minutes est repris par le chanteur de feu Thee Michelle Gun Elephant. Laquelle chanson, jouée en live devant un Genji que Miike parvient sans peine à isoler dans la foule, construit le générique tardif de Crows Zero, véritable bande-annonce intégrée au métrage.
Spécialiste de l’exposition iconoclaste, Miike livre avec ces premières minutes une nouvelle référence en la matière : collusion de plusieurs rythmes, utilisation de l’image pour donner un nom aux deux antagonistes du film (les tags sur le toit de l’école), compression de l’action à venir pour donner plus de force à l’explosion d’énergie que constitue Crows Zero... En une dizaine de minutes, Miike a déjà rempli son cahier des charges, définit son univers, posé une structure et les différentes facettes du film, entre humour, violence et action. La première bagarre opposant Genji aux yakuza reproduit fidèlement, avec une inertie en force surround, le découpage en cases du matériau d’origine, et grâce au procédé de condensation, Crows parvient à être exo-énergétique avant même d’avoir réellement démarré.
Le reste n’est « que » la confirmation de cette promesse faite au spectateur, avec cette conscience du public qui caractérise le réalisateur, comme en témoignent les intermèdes pop jouissant du charme de Meisa Kuroki. Dans la peinture de ce microcosme lycéen improbable, tout entier voué à la castagne, Miike injecte plus que jamais de l’amour dans sa violence, approche qui lui a toujours permis d’exceller dans l’excès sans jamais nous épuiser. Mais la nouveauté de Crows Zero est que cet amour dans la violence s’accompagne d’un amour de la violence. Pas vraiment inoffensive, elle n’est toutefois pas une fin en soi. Car ce combat que se livrent Genji et Tamao est simplement celui de la vie.
Leur démarche guerrière n’est en effet pas fortuite. Il ne s’agit pas de blesser l’adversaire, de l’humilier. Il est beaucoup question de respect dans cette guerre étudiante, et Genji rassemble finalement plus par son charisme que par la force. Quelle que soit la force de la raclée infligée, tout le monde se relève toujours tôt ou tard du champ de bataille. Et c’est avec le sourire que Tamao se lance dans l’ultime affrontement rageur du film, heureux d’avoir un adversaire à sa taille, heureux de se sentir vivre sous une pluie battante, d’eau et de coups pendant que son ami se bat, sur une table d’opération, pour survivre.
Crows Zero est un film dense et énervé, rempli d’idées de réalisation, notamment en matière de gestion du son. Ainsi la bande son, régulièrement puisée dans l’environnement direct des personnages, est-elle une pure merveille : le scintillement électrique d’un néon qui rythme une confrontation verbale, le volume manuellement baissé puis remonté pour laisser percer les dialogues... Miike se débrouille pour ne jamais briser le flot de sa narration, éminemment visuelle. A la sortie de Crows, on est empli d’une rage de vivre que peu de réalisateurs ont su nous livrer avec un tel enthousiasme, une telle force. Et l’élan dans lequel Miike fige Genji, dans une image reprise de son incroyable Fudoh, n’utilise sa violence qu’en simple prétexte. Ce qui compte, c’est le sourire de ce jeune homme prêt à conquérir le monde, lancé dans une fuite en avant qui est empli de tout sauf de désespoir et de nihilisme. Let it rip. Let us live. Let us fly !
Crows Zero a été diffusé au cours de la dixième édition du Festival du film asiatique de Deauville (2008), en compétition dans la sélection Action Asia.




