Dagon
Je ne vais pas vous refaire une énième fois le coup du "pays voisin dont le cinéma ne nous parvient pas, horreur !" (cf articles La Secte des sans-noms et Muertos de Risa), mais il faut quand même bien l’avouer : l’Espagne est un beau pays. Brian Yuzna ne s’y est pas trompé d’ailleurs, en fondant sur la péninsule sa Fantastic Factory (avec sieur Julio Fernandez), dont vous savez certainement que sont issus les récents Darkness (le second film de Jaume "Los Sin Nombre" Balaguero) et Arachnid (Jack "The Hidden" Sholder), ou encore Faust et le futur Beyond Re-Animator - tous deux réalisés par Yuzna lui-même. Re-Animator, Yuzna... tout ceci ne vous rappelle rien ? J’en vois qui me répondent : si, bien sûr, c’est Yuzna qui a signé Bride of Re-Animator en 1990. Mais remontez un petit peu plus loin, aux premières aventures de Herbert West au sein de la Miskatonic Medical School...
Produite par Yuzna, la première incarnation du célèbre docteur (imaginé par Lovecraft dans sa nouvelle "Herbert West, réanimateur") est réalisée en 1985 par Stuart Gordon. Vous vous souvenez certainement - au moins de Barbara Crampton, non ? Barbara, fantastique scream-queen aujourd’hui presque disparue, qui a aussi joué dans From Beyond et un certain Castle Freak, tous deux signés... Stuart Gordon, comme par hasard ! Peut-être qu’un fil directeur commence à se dessiner dans votre esprit ; ce qui serait louable, car Gordon est l’un de ces grands noms oubliés du cinéma d’horreur/fantastique des années 80, le réalisateur de Dolls, de Fortress (et si !), et surtout - j’insiste, mais c’est inévitable ! - l’homme qui a immortalisé Barbara Crampton en en faisant l’incarnation de ses nombreux fantasmes (et, soyons francs, d’une partie des notres ;-). Inactif depuis 1998, Stuart Gordon a pu profiter de la structure montée par son compère de toujours (Yuzna, donc) pour revenir sur le devant de nos (petites) lucarnes, avec une nouvelle adaptation de Lovecraft : Dagon (basé sur la nouvelle qui donne son titre au recueil français contenant "Herbert West, réanimateur"). Alors ça, pour une nouvelle...!
Pays de production oblige, le casting de Dagon est presque intégralement espagnol ; je dis bien presque car, aux côtés de la belle Raquel Meroño (Airbag, rien que ça !), de la troublante Macarena Gomez et des célèbres Francisco Rabal et Fernando Gil, on retrouve l’acteur américain Ezra Godden (la série Band of Brothers) dans le rôle de Paul Marsh. Paul est en vacances ; sur papier tout au moins, car il ne peut s’empêcher de surveiller les actions de sa société depuis son portable, au grand désespoir de sa petite amie Barbara qui aimerait que son homme profite de l’air marin. Car j’oubliais de le préciser, mais les tourteraux se détendent sur un bateau avec Howard et Vicki, au large des côtés espagnoles. C’est d’ailleurs ce qui permet à Barbara de balancer l’ordinateur perturbateur à la flotte. S’en suit une engueulade majeure qui trouve un écho naturel dans l’orage le plus soudain de la création : en l’espace de quelques minutes, le bateau s’échoue sur un rocher. Vicki, qui s’apprêtait à se rincer en fond de cale, se retrouve prisonnière, sa jambe broyée entre la coque et le gros caillou. En bon capitaine et mari, Howard reste avec sa femme pendant que Paul et Barbara sautent dans l’annexe pour aller chercher de l’aide au village voisin, qui semble mystérieusement désert.
A quai, ils sont accueillis par un homme de foi qui dirige Barbara vers le seul hôtel du village, pendant que Paul repart chercher Howard et Vicki à bord d’un bateau de pêche ; il arrive malheureusement trop tard, car les naufragés ont disparu... A nouveau à terre, Paul part attendre Barbara dans son hôtel, le prêtre lui ayant expliqué que son amie est partie à 50 km de là pour prévenir la police. Fatigué, excédé, Paul découvre une chambre parfaitement insalubre qui termine de le faire craquer. Il s’assoupit, et est visité dans ses cauchemars par une femme qui lui apparaît de façon trop régulière pour ne pas être inquiétante. C’est alors qu’il est agressé par une horde de villageois, étrangement difformes et particulièrement effrayants...
Trève de suspense : Stuart Gordon est bel et bien de retour ! Avant d’aller plus loin dans cet article, remercions comme il se doit la Fantastic Factory de faire revivre le cinéma d’horreur eighties aussi intelligemment, au travers de certaines de ses "petites" figures historiques. Gageons qu’aussi bien Gordon que Sholder ont dû apprécier les opportunités offertes par la structure de Yuzna... Merci pour eux et pour nous, donc !
Dagon s’inscrit parfaitement dans la veine des précédentes adaptations de Lovecraft par le réalisateur (Re-Animator et From Beyond), même si certains spectateurs rateront la référence directe que constitue le sweat du héros (label Miskatonic) - d’ailleurs un signe que Dagon est bien l’œuvre d’un homme qui retourne à ses sources (ses deux premiers films). Et c’est une bonne chose ! Car Dagon, au cours de ses quatre-vingt dix huit minutes de fantastique Lovecraftien, ne souffre d’aucun temps mort, et joue d’abord le jeu du mystère (avec l’apparition cauchemardesque que représente chaque nouveau villageois rencontré) avant de jouer celui d’un certain acharnement : pendant un long moment, Paul est poursuivi et nous offre une visite passionnante de ce village païen, dont tous les habitants (mi-hommes mi-poissons !) vouent un culte au Dieu de la Mer, Dagon. Au cours de cette poursuite presque épuisante, la bande son agresse le spectateur de toutes parts, avec grognements et bruitages dérangeants. Les apparitions et leurs difformités sont très bien utilisées, notamment celle du personnage de Uxia (prétresse du culte), en décalage flagrant avec son allure angélique. Francisco Rabal est redoutable dans son rôle de vieil alcoolique et subit la seule scène gore du film, tandis que Raquel Meroño accepte d’endosser le rôle de la scream-queen "à la Gordon", plus abusée et dénudée au fur et à mesure que l’intrigue progresse : un véritable cahier des charges à respecter, avec enthousiasme ! Autant dire que l’objectif est atteint...
Dagon respecte donc parfaitement l’ambiance de mouvement de la nouvelle de Lovecraft, avançant sans heurts et sans ralentissements jusqu’au final magnifique qui unit le héros à la prétresse de la mer et à l’immensité des profondeurs, suite à un retournement excellent. Un vrai film d’horreur comme seule la Fantastic Factory semble décidée à en remettre sur le devant de la scène, ce qui est certainement l’une des plus grandes nouvelles de ce début de millénaire pour les fans de cinéma de genre authentique.
Dagon est disponible en DVD zone 1 ou en DVD zone 2 espagnol.




