Dead Run
Dans la petite ville côtière de Hama, une animosité tacite partage la population locale, entre la rive et l’ « offshore », plaine autrefois immergée. Shuji et son grand frère Shuichi, naviguent entre leur domicile de la rive et cette zone reprise à l’océan, où s’installent Oni-Ken (« Ken le démon »), yakuza de bas étage, et sa petite amie et hôtesse, Akane. Un jour où la chaîne de son vélo lui fait défaut, Shuji reçoit l’aide d’Oni-Ken, sous les railleries amusées d’Akane ; bien que le gangster soit retrouvé mort quelques jours plus tard, la rencontre s’ancre dans l’esprit du garçon taciturne. Les années passent et Shuji reste dans l’ombre de la réussite scolaire de son frère. Comme si l’offshore était un écrin propice à la part sombre des hommes, le prêtre catholique qui y ouvre une église sans autres ouailles que l’agressive Eri, orpheline dont Shuji s’éprend au point de briser son silence pour prendre sa défense en classe, traîne avec lui la rumeur d’un passé meurtrier. Seconde figure négative croisée par Shuji, le prêtre exerce aussi une fascination certaine sur son frère, dont la réputation et la santé mentale partent en lambeaux avec la découverte d’une quelconque tricherie à l’école. Alors que sa famille s’étiole, Shuji recroise le chemin de la belle Akane, de retour à Hama avec des connexions plus imposantes, pour tenter d’exproprier le prêtre et faire de l’offshore un nouveau havre immobilier. Au fil des rencontres, la vie construit ainsi un funeste destin pour le garçon, rejeté par ses pairs et abandonné par ses parents, après que les virées incendiaires de Shuichi dans l’offshore, aient conduit le frère prodigue en réclusion...
Pour la première fois de sa carrière, Sabu délaisse en 2005 les collisions tragi-comiques qu’il écrivait de sa propre plume, pour adapter un roman de Kiyoshi Shigematsu, plus connu en nos contrées pour ses écrits vidéoludiques (Lost Odyssey). Alors que son ouverture, très axée sur le mouvement, qu’il soit à pied, à vélo ou en voiture, laisse penser que Dead Run marche sur les traces de ses dynamiques prédécesseurs, l’inertie qu’il déploie apparaît rapidement comme toute autre, force d’attraction résolument pessimiste. Ses rencontres ne semblent pas tant être le fruit de quiproquos fondateurs, que celui du destin – ou du karma, c’est selon, suivant la différenciation faite par l’homme de foi meurtri interprété avec mystère et grâce, comme toujours, par Etsushi Toyokawa.
Puisque l’humour qui le caractérisait répond aux abonnés absents de Dead Run, Sabu dévoile une face sombre, en phase avec l’attrait implicite de l’offshore, qui ne cesse d’étendre son emprise sur le métrage. Cela commence avec la sévérité d’un système éducatif japonais, qui ne peut tolérer la queue de cheval d’Eri, qu’un professeur veut couper en cours, à la manière d’un samouraï déchu. Profitant des protestations de Shuji pour ôter à cette détestable figure d’autorité le plaisir de la déshonorer, Eri se coupe elle-même les cheveux et affirme sa marginalité, qui contamine progressivement un héros dont chaque décision paraît, paradoxalement, plus passive que la précédente. Et le rapproche d’une existence interlope, où se succèderont violences, abus et viol, sur fond de réminiscences du même acabit, jusqu’à l’inévitable geste meurtrier. Celui-ci, rendu possible par la faillite du système familial, garde-fou de l’enfance et, plus encore, de l’adolescence, sera une première fois initié par Shuji, interrompu et assumé par une mère de substitution, Akane, par ailleurs amante d’un âge adulte précipité. Mais l’obscurité est bien décidée à empêcher la course au ralenti de Shuji, l’amener ailleurs qu’à la condamnation.
Sabu nous déstabilise plus encore, en laissant les figures destructrices de la narration survivre à son héros dans un optimisme ambigu - sa progéniture notamment, lui succédant dans une course, circulaire et fermée, forcément vaine - qui paraitrait déplacé si la mise en scène de Sabu n’était pas si mesurée, à même de déceler des beautés fugitives dans ce microcosme dysfonctionnel qui se nourrit, involontairement, de la chute des autres. La principale étant non pas l’espoir – il n’y en a pas une once dans cette course effectivement morte, peut-être même mort-née – mais la capacité de chacun à se satisfaire de son sort imparfait. It’s our lot in life. It’s not a lot, but it’s our life. En ce sens, bien que foncièrement déprimant, Dead Run reste du cinéma made in Sabu, un cinéma de la vie, empreint d’une religiosité absolvante dont Shuji, impeccable Yuya Tegoshi, est le martyr inexorable.
Dead Run est disponible en DVD japonais, sans sous-titres je crois, ainsi qu’en DVD et CVD HK chez Universe, sous-titré anglais.





